Berthelot Brunet, Le Mariage
blanc d’Armandine, Montréal, L’Arbre, 1943, 210 pages.
Brunet présente les 10 récits
qui composent son recueil comme des contes. En fait, ce sont des nouvelles,
même si la présence du narrateur qui s’adresse au lecteur est davantage le fait
des contes. J’ai déjà présenté Les Hypocrites
du même auteur.
Le mariage blanc d'Armandine
Ferdinand et Armandine se sont
mis en ménage sans amour. Le mariage n’est pas « consommé ». La
bisbille finit par les rattraper. Armandine en veut tellement à Ferdinand que,
même mort, elle continue les procédures de divorce amorcées de son vivant.
Le bâton de vieillesse
Une veuve met tous ses espoirs
sur le plus jeune de ses trois enfants. Elle espère en faire un prêtre.
La prévoyance de M. Lapointe
M. Lapointe s’est marié sur le
tard. Très religieux, il se culpabilise du fait qu’il n’a pas d’enfant. Il en
adopte un qui meurt, puis un second qui va lui poser bien des ennuis surtout
lorsqu’il deviendra veuf. Pourtant, ce mauvais fils va remplir le vide de sa
vie.
Les méfaits de la poésie
Une vieille fille, en
apparence bien sous tous rapports, vit seule avec son neveu, un grand niais de
16 ans qu’elle essaie sans succès d’éduquer. Par bigoterie (la peur des
spectacles), elle s’oppose à ce qu’il aille s’amuser au cirque dans la ville
voisine. Il passe outre et elle tombe malade. Le médecin et le curé, accourus,
découvrent qu’elle vit dans la crasse.
Le méchant
Depuis son enfance, Jules
Langlais déploie sa morgue hautaine sur son entourage. Pour son plus grand
malheur, en se mariant, il achète un journal à sa femme. Elle finit par lui
voler la vedette. Jaloux, il emploie les grands moyens pour s’en débarrasser.
Le vendu
Le docteur Duprat est médecin
chef dans une clinique pour malades mentaux. Il présente au narrateur
quelques-uns des patients bizarres qu’il doit traiter.
L'Irlandais
Arthur Pesant est avare et
usurier. Il exploite de pauvres Irlandais, alcooliques pour la plupart. À sa
mort, son frère prend la relève.
Coadjutrice
Florestine Huspé est une
vieille fille dont la dévotion et le dévouement pour les œuvres paroissiales sont
sans limite. Un jour, elle commence à organiser des tombolas pour ses œuvres.
Elle y prend tellement goût que le curé et l’évêque doivent intervenir pour
qu’elles cessent ses activités caritatives.
La photo de M. Robert
Maurice déteste ses parents.
En fait, il en a honte. Son père est un petit commis. Sa sœur ainée, vu sa
ressemblance, est probablement la fille du patron de son père. Maurice en est
jaloux.
Le naïf
Autobiographie de l‘auteur :
comment devient-on un notaire alcoolique, dopé, repenti sur le tard.
Berthelot Brunet, c’est un
style, une certaine affèterie qui passe mal l’épreuve du temps, lorsque trop
appuyée. Tous ces personnages sont ce que Fréchette aurait appelé des
« originaux et détraqués » : le plus souvent, des monomaniaques.
Le récit s’ouvre souvent sur une réflexion. Plutôt qu’un pan de vie, c’est
l’existence au complet du personnage qui est mise en scène. Les chutes ne sont
pas toujours bien trouvées. « Le mariage blanc d'Armandine » et
« Le bâton de vieillesse » sont assez typiques de sa manière.
Extrait
Comme tant de villageois, il
avait fait fortune dans l'épicerie, il s'était enrichi dans la boisson. Arthur
Pesant était allé chez les Frères pourtant, il avait fait un bon cours
commercial, et, quand on quitte le collège à 18 ans, autant dire qu'on a
poursuivi son cours classique. Pesant aurait su compter sans cela, mais, au
collège, il gardait une belle main d'écriture, et quand il lui arrivait de
composer une lettre, ce qui était rare, il ne s'y trouvait pas de fautes
d'orthographe. Dans son village, on disait d'Arthur Pesant, d'abord qu'il avait
réussi et ensuite qu'il était instruit.
Il n'avait pas de qui tenir
cependant. Son père, marchand général, le marchand général étant en Laurentie
une institution comme le notariat ou la prêtrise, le père Pesant avait Arthur
s'installa au comptoir de l'épicerie, et il y passa vingt ans. Ces vingt
années, il les passa en vérité derrière le comptoir, puisqu'il ouvrait à 5
heures 30 et fermait à minuit. Il vendait du gin à la mesure, et, aux
connaissances sûres, le whisky au verre. A peu près pas de crédit, du cash
presque toujours. Un homme aussi avisé qu’Arthur ne prit pas de temps à mettre
de l'argent de côté. Il s'était établi un budget, et, lorsque les recettes
dépassaient telle somme, il en distrayait les trois quarts pour prêter chez les
notaires sur première, et le reste, à la petite semaine, ce qui était aisé, les
voisins d'Arthur étant toujours à court d'argent. L'usurier pouvait contrôler
facilement, et il ne risquait pas de se faire rouler, puisque, le jour de la
paye, ces grands enfants, Irlandais pour la plupart, venaient l'entamer chez
lui. Quand ce n'était pas le mari, la femme se montrait, soit pour les
provisions, soit pour les bouteilles de bière dont elle se faisait cadeau, le
samedi.
Arthur Pesant s'était aménagé
une chambre dans l'appentis derrière le magasin. C'est là qu'il gardait ses
vêtements et, surtout, ses livres. Ses livres : entendez les grands cahiers où
s'alignaient en colonnes minutieuses ses comptes. (p. 147-148)