Eudore Évanturel, Premières poésies 1876-1878, Augustin Coté,
Québec, 1878, 203p. (Préface de Joseph Marmette).
On comprend mal que Joseph
Marmette ait pu offrir une préface aussi élogieuse aux poésies d’Eudore
Évanturel, tant elles sont loin de son œuvre. Est-ce simplement l'amitié qui l’a
motivé ou voulait-il secouer l’arbre un peu trop classique du monde littéraire
de son époque? Toujours est-il que sa préface fit scandale et qu’elle attira
sur l’œuvre de son « jeune ami » bien des critiques dont il aurait pu
se passer. Évanturel cessa d’écrire et publia, en 1888, une version
expurgée (autocensurée) de son œuvre.
Contrairement à la plupart des
recueils du XIXe siècle, Premières
poésies n’appartient pas au courant patriotique. Évanturel cite Musset
et s’inspire de sa vie personnelle. D’autres l’ont fait avant lui, mais seulement
à travers quelques poèmes perdus dans une mer de patriotisme. On peut
comprendre les sautes d’humeur de ses contemporains qui n’y virent que « niaiseries »,
tant l’enjeu leur semblait sans intérêt. Aujourd’hui, Évanturel, que les années
1960 ont redécouvert, demeure le poète du XIXe siècle le plus près de
l’inspiration contemporaine.
Dans sa longue préface de 21
pages, Joseph Marmette présente son « jeune ami » : ils se sont
rencontrés sur l’Île d’Orléans que les deux fréquentent l’été quand ils veulent
« aller s’abreuver d’air pur ». Marmette insiste beaucoup sur la
délicatesse de l’inspiration d’Évanturel pour finir par dire que, dans
l’avenir, il devrait imiter les élans patriotiques du grand Crémazie.
Le recueil est divisé en deux
parties. La plupart des poèmes n’obéissent pas à une construction classique :
le nombre de vers varient d’un à l’autre et parfois, d’une
strophe à l’autre.
Pinceaux et palettes
« Le printemps », le premier poème, impose un ton et une légèreté qui nous reposent
des envolées du grand Crémazie et de ses épigones : « Phtisique, et
toussant dans la neige, / L'Hiver s'est éteint lentement. / Le ciel pleurait
pour le cortège, / Le jour de son enterrement. // C'est au Printemps à lui
survivre. / Il revient en grand appareil. / Non pas en casquette de givre, /
Mais en cravate de soleil. » Oui, le ton est léger et les métaphores s’inspirent
du quotidien le plus banal.
L’humour, présent dans l’extrait
ci-dessus, n’est pas une constante, mais on le retrouve ici et là, et même
quand il s’agit de parler d’amour comme dans le poème « Les amoureux » :
Évanturel y présente un vieux garçon de cinquante ans qui courtise une veuve comme s'il avait la vie devant lui.
Dans certains vers, l’inspiration
est on ne peut plus prosaïque (vulgaire, diraient ses contemporains) :
« Les nuits sont froides; l’on s’enrhume » ou encore :
« L'Hiver, le pied dans sa pantoufle, / Se réchauffe près des
tisons. » On pourrait multiplier les exemples.
On trouve beaucoup de petits
tableaux parnassiens, comme « Pastel », « Promenade », « L’opticien »,
assez bien ficelés mais dont il y a peu à dire.
Tout n’est pas riant dans cette
poésie, loin de là : Évanturel parle des pauvres, des solitaires et
surtout des personnes malades. À preuve ce tableau pathétique sur la mort d’un
ami dans le poème « Au collège » : « II mourut en avril, à la
fin du carême. // C'était un grand garçon, un peu maigre et très blême, / Qui
servait à la messe et chantait au salut. »
Ou encore l’évocation d’un homme frappé par le tonnerre ou celle d’une
jeune fille qui se prépare à aller à un bal alors que c’est la mort qui
l’attend. Par contre, il traite de tels sujets davantage sur le mode parnassien
que romantique. Un sujet triste comme « Les orphelins » pourrait
laisser cours à tous les débordements lacrymaux. Rien de tel chez
Évanturel :
LES ORPHELINS
A pas
égaux, toujours au centre du trottoir,
Trainant
les bouts ferrés de leur semelle épaisse,
Le
dimanche et les jours de fête, l’on peut voir
Les
petits orphelins revenir de la messe.
Deux
à deux, les voilà silencieusement.
La
Sœur de Charité qui les suit par derrière,
Les
mains jointes, les yeux inclinés humblement,
Achève
d'égrener les Ave du rosaire.
II
est midi. La cloche a fini de tinter.
Leur
longue file est droite et leur tenue est bonne.
II
passe !
II est passé, sans vouloir s'arrêter,
Le
petit régiment commandé par la nonne!
Œillades et soupirs
Une dédicace coiffe la seconde
partie : « A ma lectrice ». Le premier poème lui est adressé :
« Et ces riens brodés dans mon âme / Je vous les offre à vous madame /
Comme on offrirait des bonbons. » Encore une fois, la modestie et la
légèreté de l’inspiration.
« Œillades et soupirs »
commence par « En revenant des eaux », un long poème (31 strophes de
six vers), en fait un petit récit versifié : lors d’une croisière sur le
fleuve, le poète a rencontré une jeune fille; le soir même, un orage secoue le
navire en tous sens. À la demande de la jeune fille, les deux demeurent sur le
pont malgré le danger. Le lendemain, il débarque à Québec et il ne reverra
jamais cette jeune voyageuse de 15 ans dont le souvenir le poursuit :
« Les amis étaient froids ; — je courus à ma chambre. / Ce ne fut, je
crois bien, qu'à la fin de septembre / Que j'ouvris au soleil un coin de mes
volets. // Jamais je n'ai revu, mon ami, l'étrangère! »
Les oeillades et les soupirs du titre, ce sont ceux des amoureux. Évanturel évoque la rencontre amoureuse sous toutes ses
facettes : l’éblouissement de la première rencontre, le partage des rêves
les plus fous, l’élégie pour sa belle, le rendez-vous manqué, les querelles et
les réconciliations, la tristesse de la séparation, le rappel mélancolique d’un
ancien amour, la promenade solitaire
dans la nature. Le ton est parfois romantique, parfois banal, mais le plus
souvent courtois (celui du chevalier moyenâgeux pour sa belle dame).
En guise d’extrait, voici un
court poème qui offre un bel aperçu de l’auteur. Remarquez la liberté formelle,
la simplicité du langage, la narration qui affleure et l’humour du dernier
vers.
LE RENDEZ-VOUS
J’étais
sorti, croyant la voir après la messe.
Comme
elle m'en avait d'ailleurs fait la promesse,
En me
quittant, la veille au bas de l’escalier.
Et
j'allais respirant un parfum printanier,
Qui
me versait l’odeur du paradis dans l’âme
En
songeant que j’allais rencontrer cette femme,
— Qui
me faisait souffrir encor plus que jamais —
Pour
ne plus lui cacher enfin que je l’aimais.
Je ne
l'entrevis point au sortir de l’église.
Pas
un chapeau pareil au sien, ni robe grise.
J’attendis
vainement jusqu’au soleil couché.
Je
revins, cependant, sans paraître fâché,
Très
lentement, les yeux levés, la tête haute.
Mais
j'ai battu mon chien en entrant.
C'est sa faute.
Pour des raisons qui deviennent sensibles particulièrement à cette période de l’année, j’ai apprécié la lecture du texte ‘Les orphelins.’
RépondreEffacerJe dépose ici mes sincères vœux de Bonnes Fêtes et le souhait d’une Nouvelle Année étoilée de bonheurs.