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4 juillet 2011

Les Insolences du frère Untel

Jean-Paul Desbiens, Les Insolences du frère Untel, Montréal, Édition de l’Homme, 1960, 158 pages. (Préface d’André Laurendeau)

En préface, André Laurendeau assure au lecteur que frère Un Tel (sic) n’est pas un pur esprit ni le pseudonyme d’un journaliste trouillard, bref qu’il existe bel et bien, et qu’il l’a même rencontré à deux reprises. Tout a commencé par un article sulfureux de Laurendeau sur la piètre qualité de la langue des jeunes dans Le Devoir. Un petit frère mariste d’Alma lui envoie une lettre dans laquelle il en rajoute. Laurendeau la publie le 23 octobre 1959 et la signe du pseudonyme Un Tel. Cette lettre déchaînera  tout un débat sur la langue, sur le système scolaire et sur la place de la religion dans notre société.

Le recueil (qui reprend en grande partie le débat) compte deux parties : Frère Untel démolit et Frère Untel ramollit. J’escamoterai la seconde qui me semble très datée et peu intéressante pour le lecteur d’aujourd’hui : Desbiens parle de la profession enseignante et de la vie en communauté.

La première partie contient quatre chapitres.

Chap. 1 - Échec de notre enseignement du français
Laurendeau avait baptisé « joual » la langue parlée par les jeunes. Untel lui emprunte le terme : « … parler joual, c’est précisément dire joual au lieu de cheval. C’est parler comme on peut supposer que les chevaux parleraient s'ils n'avaient pas déjà opté pour le silence et le sourire de Fernandel. / Nos élèves parlent joual, écrivent joual et ne veulent pas parler ni écrire autrement. Le joual est leur langue. Les choses se sont détériorées à tel point qu'ils ne savent même plus déceler une faute qu'on leur pointe du bout du crayon en circulant entre les bureaux. "L'homme que je parle" - "nous allons se déshabiller" - etc... ne les hérisse pas. Cela leur semble même élégant. »

La thèse d’Untel devient intéressante, quand il établit un lien entre cette langue et le statut de colonisé du Canadien français, discours qui sera repris ad nauseam dans les années 1960 : « Cette absence de langue qu'est le joual est un cas de notre inexistence, à nous, les Canadiens français. On n'étudiera jamais assez le langage. Le langage est le lieu de toutes les significations. Notre inaptitude à nous affirmer, notre refus de l'avenir, notre obsession du passé, tout cela se reflète dans le joual, qui est vraiment notre langue. »

Chap. 2 - Échec de notre système d’enseignement
Untel attaque surtout le secondaire public, création récente du Département de l’instruction publique. Il dénonce l’improvisation des décideurs qui n’avaient d’autre but que de satisfaire l’opinion publique. Une bonne partie du chapitre est consacrée à la place de la philosophie dans ce programme. Quant à lui, comme les heures de philosophie sont comptées, il vaudrait mieux abandonner la métaphysique (eh oui!) et retenir surtout la critique scientifique et la sociologie.

Au-delà de la place de la philosophie dans le cursus du secondaire, c’est l’improvisation dans la mise en œuvre des changements qui l’horripile : « On en est là : à se demander si tout effort sérieux n'est pas un effort pour rien. La confusion est telle, l'atmosphère de conspiration est telle, qu'on n'ose rien entreprendre. On est si peu assuré de l'avenir, en ce domaine, que l'on vit dans un climat de parousie. Les programmes sont remis en question tous les deux ans ; les manuels, approuvés et désapprouvés, tous les six mois. Que voulez-vous que l'on fasse ? C'est démoralisés, que nous sommes, par les contrôles abusifs, d'une part ; par l'incertitude de l'avenir, d'autre part. » Il termine en demandant l’abolition du DIP.

Chap. 3 - Impasse de la pensée canadienne-française
Le chapitre 3 est très court. Untel critique surtout la faculté de philosophie de l’Université Laval. « On a l'impression que les hommes qui travaillent là, par manque de lucidité ou par instinct sécuritaire, ont refusé d'endosser une bonne partie de leurs responsabilités véritables. Ils ont comme déserté l'homme d'ici ; ils se sont cantonnés, sous toutes sortes de prétextes, dans un univers clos, facile, protégé, où ils étaient sûrs de n'avoir à rendre aucun compte sérieux à personne, sinon à Parménide ou à AIfarabi, oubliant seulement que les factures de l'Histoire finissent toujours par rejoindre leurs débiteurs. »

Chap. 4 - Crise de la religion
Voilà sans doute le chapitre qui a le plus dérangé à l’époque quoi qu’on en dise. Avec beaucoup de clairvoyance, Untel prédit l’effondrement de l’Église catholique au Québec. Plus encore, le ton est « baveux ». « La majorité des Canadiens français en ont soupé, paraît-il, des histoires de bavettes et de cornettes, il faut pourtant parler de religion. » Ou : « On commence en parlant du joual, et on s'aperçoit qu'on est à décrire l'atmosphère religieuse au Canada français. »

Untel questionne la façon dont les religieux, qui occupent les hauts postes dans les écoles,  exercent l’autorité. « La lettre sur le parler joual, que j'avais envoyée à Laurendeau et qu'il avait publiée dans Le Devoir du 3 novembre 1959, avait amorcé une réaction en chaîne. Ce fut, pendant quatre mois, un cortège de Lettres au Devoir traitant de l'enseignement. La plupart, émanant de professeurs religieux ou laïques. Laurendeau finit par remarquer que personne parmi ces enseignants protestataires ne voulait que son identité fût révélée. "Pourquoi cette peur ?" se demanda Laurendeau. » Untel va relever le défi proposé par Laurendeau dans une lettre qui provoquera davantage de réactions que ses écrits précédents sur le joual. Il ose écrire :

« On renonce à l'argent ; on renonce à la chair ; on ne renonce pas au pouvoir. Pauvre et chaste, mais écrasant. Mais plein de morgue. »

« Historiquement, notre catholicisme est un catholicisme de contre-Réforme. Ajoutez la conquête (protestante). Vous avez notre catholicisme crispé, apeuré, ignorant, réduit à une morale, et à une morale sexuelle, et encore négative. »

« La vraie religion n'est pas écrasante. C'est la magie, c'est les sorciers qui écrasent. Il peut arriver que l'on soit, que l'on se sente écrasé par la religion. Il s'agit alors d'une caricature de la religion. Pharisaïsme et jansénisme, c'est tout un. Je prends quelques exemples dans un milieu que je connais bien. Ce milieu n'est d'ailleurs pas différent du milieu général : notre clergé est un clergé canadien-français ; les Frères enseignants sont des Canadiens français ; nos supérieurs sont des Canadiens français. C'est tous des nous autres. Or ce n'est pas Jésus-Christ (ce n'est même pas Rome) qui impose aux Religieuses (et aux Religieux, mais à un degré moindre) ces costumes irrationnels et anachroniques ; c'est notre jansénisme, notre routine, notre angélisme, notre frousse, notre mépris de l'homme. »

« Je cause avec un prêtre. Il me dit que la patronne des Canadiens français, ce devrait être Notre-Dame-de-la-Trouille. »

Dans le reste du chapitre, il expose quelques-unes des réactions (outrées ou favorables) que son article a suscitées.  Il reproduit in extenso la lettre de Sœur une Telle, une religieuse anonyme tout comme lui qui partage son point de vue : « Frère Untel, vous dites tout haut ce que nous, Sœurs, nous pensons tout bas. Oui, nous refoulons, nous avons peur, nous avons la trouille, comme vous dites. Vous dévoilerai-je que nos Mères Supérieures sont plus ombrageuses (j'emploie ici un euphémisme) que vos Frères Supérieurs ? Aussi, l'auteur de la présente lettre, si l'on parvenait à l'identifier, se ferait d'abord décapiter puis démolir... »

Il est toujours intéressant de retourner en arrière pour mesurer le chemin parcouru. Et le livre d’Untel joue ce rôle à la perfection. Bien entendu, tout cela a vieilli et seuls ceux et celles qui ont vécu cette époque peuvent en mesurer l’audace. Le livre a connu un succès de librairie sans précédent (140 000 exemplaires). Pris en soi, ce brûlot ne brûle plus rien, tant nous semble surréaliste  la situation décrite par Untel.

Que Desbiens et Laurendeau puissent dénoncer avec autant de virulence la piètre qualité de la langue des étudiants et l’improvisation de la bureaucratie chargée de rénover les programmes a de quoi surprendre ; n’a-t-on pas trop souvent l’impression que ce sont deux maux du système scolaire actuel? Ah la langue des étudiants et les medias sociaux! Remarquez que Camille Roy disait lui aussi la même chose dans les années 20…

Le ton est donné dès la première phrase. « C’est à la hache que je travaille. » Le frère Desbiens prend soin de signifier qu’il est un homme de terrain, un intellectuel paysan, ce qui peut devenir agaçant à la longue. De même ce besoin de bien nous faire sentir sa virilité, tout frère qu’il soit. Certains passages vont déranger les féministes, c’est certain.  

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