7 mars 2011

Les Révélations du crime ou Cambray et ses complices

François-Réal Angers, Les Révélations du crime ou Cambray et ses complices, s.n., Québec, 1880, 105 pages. (1re édition : Québec, Fréchette et cie, 1837, 73 p.)

« Pendant l'été de 1834, et surtout après la cessation du Choléra, vers l'Automne de la même année, Québec fut le théâtre d'un fléau non moins alarmant que celui de l'épidémie. Des vols, des assassinats, des bris de maisons, des profanations et des sacrilèges se succédèrent avec une inconcevable rapidité, et jetèrent l'épouvante dans tous les rangs de la société. Jamais crimes et brigandages, accompagnés de circonstances plus atroces, n'avaient été commis avec plus d'audace et d'impunité au milieu d'une société comparativement peu nombreuse et proverbialement morale. »

Tel est le début de ce récit à peine romancé. Le livre fut publié quelques semaines avant L’Influence d’un livre ou Le Chercheur de trésors d’Aubert de Gaspé fils, ce qui aurait dû en faire notre premier roman, mais voilà il y a un débat sur le sujet : Les Révélations du crime ou Cambray et ses complices, est-ce un roman ou simplement le récit d’un fait divers (voir le DOLQ)? Angers, qui était avocat, s’est inspiré fortement d’une cause qui a marqué les annales judiciaires de son époque. Il raconte l’histoire de Charles Chambers (Cambray dans le récit) et George Waterworth, deux malfrats qui faisaient partie d’une bande de criminels connus comme « les brigands de Cap-Rouge ». Ils commencèrent par voler du bois aux cageux et poussèrent l’audace jusqu’à dérober de l’argenterie dans la Chapelle de la Congrégation de Notre Dame de Québec. Ils furent arrêtés, disculpés, puis finalement condamnés quand Waterworth devint délateur.

Angers nous présente dès le premier chapitre les principaux faits, puis remonte dans le temps pour essayer d’expliquer ce qui a amené ces deux types à commettre des crimes aussi odieux (vols accompagnés de viols et de meurtres). Il relate quelques-uns de leurs principaux crimes, tels que les avait racontés Waterworth lors du procès.

L’histoire est sordide et l’auteur sent le besoin de se prémunir contre certaines critiques qu’il pourrait encourir, prenant ses distances face à l’imagination, arguant que son but est louable : « L'histoire des crimes ne pourrait être qu'une lecture propre à flétrir l'imagination et à inspirer inutilement du dégoût et de l'horreur, si elle n'était écrite dans un but philanthropique, celui d'exciter la sympathie du Législateur en faveur de la misérable condition de l'homme, que des passions violentes et le vice des lois ont conduit par degrés dans l'abîme du vice. Notre objet n'est pas simplement de satisfaire la curiosité par le récit d'aventures extraordinaires, mais bien, d'appeler l’attention du Législateur aux misères et aux souffrances de l'humanité, comme de soulever de questions de morale publique. »

À la fin du récit, on suit les deux prisonniers dans leur cachot, leurs tentatives d’évasion et leurs relations qui changent quand Waterwoth devient délateur. La peine de mort qui attend Cambray et ses complices (sauf Waterworth) sera commuée en condamnation à l’exil vers « la colonie de la nouvelle Galle méridionale ». (Quel plaisir pour les Australiens de recevoir ces canailles!)

Ce pseudo-roman se veut une étude sur la criminalité ou plus précisément sur l’âme criminelle. Ce qui a mené Waterworth au crime, c’est la faiblesse de sa personnalité : il est complètement dominé par Cambray. Quant à ce dernier, il est issu d’un milieu pauvre qui lui offrait peu de chances de réussite. C’est donc par ambition qu’il est devenu brigand. D’un crime à l’autre, lui qui n’était pas vraiment croyant, il s’est endurci, rejetant toute morale, passant de voleur à assassin. Jamais il ne cédera aux remords et aux repentirs. Au passage l’auteur critique le système carcéral, véritable école du crime, et le peu de moyens dont dispose la société pour réhabiliter les criminels : « Dans l'état actuel des choses, quand un homme a le malheur de tomber dans nos Prisons, il est perdu : il n'y a plus pour lui de barrière du premier au dernier pas ; le chemin du vice lui est aplani d'un seul coup ; les plus heureuses dispositions ne peuvent le sauver de l'influence de l’air corrompu qu'il respire. » Au total, on obtient une image assez réaliste et assez surprenante des milieux criminels dans la première moitié du XIXe siècle.

Le récit est assez factuel. L’auteur ne cache pas qu’il a utilisé les documents liés au procès. Cependant, il y a des dialogues, des portraits, des analyses qui sont le fait de l’auteur. Ce récit est un roman dans l’acception moderne du mot « roman ». Eugène L’Écuyer dans La Fille du brigand, Alphonse Gagnon dans « Geneviève » et Louis Fréchette dans Mémoires intimes ont aussi raconté les méfaits de la bande de Carouge.

Extrait (le crime de Carouge)
Nous fesons sauter la porte sans cérémonie avec de forts leviers : les deux femmes épouvantées s'échappent par une fenêtre de derrière, nous les poursuivons, et nous les ramenons bon gré mal gré ; sans plus tarder, nous les jetons toutes deux à la cave, où Cambray et Matthieu les suivent pour les consoler.

« Tiens, tu vois bien cette cave, me dit Gagnon, c'est la seule manière de faire les choses en sûreté. »

Toute cette scène s'était passée dans les ténèbres qui nous étaient nécessaires ; car nous n'étions pas déguisés : ce n'était pas notre usage. Les moineaux une fois dans le cachot, Gagnon et moi nous fesons de la lumière, et tandis que nos camarades s'amusent à leur guise dans la noirceur, nous apportons sur la trappe de la cave une petite table, que nous chargeons de bouteilles et de provisions, et assis tous deux en face l'un de l'autre nous nous mettons à manger, à boire et à chanter comme des lurons. Les deux autres ne tardent pas à sortir de leur cage, et à nous rejoindre.

« Elles peuvent appeler cela comme elles le voudront, dit Matthieu en sortant, mais du moins la résistance n'a pas été grande : le diable m'emporte, si elles n'ont pas pris cela comme une bonne fortune. J'ai pincé le bras de la fille, elle a eu cinq cents amants, m'a-t-elle avoué ! »

« Et moi, je lui ai ôté son jonc », dit Cambray, en nous le montrant. (p. 28)

Extrait (la fin)
Le lendemain Cambray, Gillan et Mathieu surent que leur sentence de mort avait été commuée en une sentence de déportation, et que dans deux mois ils partiraient avec les autres pour la colonie de la nouvelle Galles Méridionale. De ce jour, plus de conversion ! Mathieu et quelques autres ont tenté de s'évader par un canal ; Cambray a voulu se rendre malade, en avalant du tabac ; mais le médecin-visiteur a déjoué son projet, en lui recommandant un voyage sur mer pour le rétablissement de sa santé. En effet, le 29 mai (I837) vers dix heures du matin, trente-neuf criminels, enchainés deux à deux, sont sortis de la prison. Cambray et Mathieu étaient à leur tête.

Arrivés sous la potence, ils ont fait entendre tous ensemble des hourras répétés, et ils sont descendus tout joyeux vers le Port, saluant celui-ci, appelant celui-là, comme de vieux soldats qui partiraient pour l'armée. Ils ont été mis à bord du Brick Cérès, capitaine Squire, et dès le même soir ils ont fait voile pour les Antipodes. (p. 105)

Patrimoine, histoire et multimedia : pour connaître tous les tenants et aboutissants de cette affaire criminelle.

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