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4 décembre 2010

Le Nom dans le bronze

Michelle Le Normand, Le Nom dans le bronze, Montréal, Le Devoir, 1933, 163 pages.

Encore le thème du mariage mixte, encore une fois traité dans une perspective ethnique, comme on l’a vu déjà esquissé chez Aubert de Gaspé et Chauveau, mais surtout chez Potvin, Groulx, Bernard et Dugré, etc. Cette fois-ci, on est dans une famille bourgeoise de Sorel. Marguerite, la plus jeune fille des Couillard, a rencontré Steven Bayle, un Anglais qui semble bien intégré à la société canadienne-française, sauf pour ce qui est de la religion. Il est presbytérien. Au début, ni Marguerite ni Steven ne croient que leur relation les mènera bien loin. Mais de rencontre en rencontre, leur sentiment grandit et sans trop s'en rendre compte, ils tombent amoureux. Ils sont conscients de la réprobation générale autour d’eux, ils savent que ce mariage est impossible à moins que l’un d’eux renonce à ses croyances religieuses, mais ils refusent de se poser le problème. Tout à leur amour, ils évitent le sujet, même entre eux.

C’est un voyage à Québec qui va dessiller les yeux de Marguerite. Elle a été invitée à passer une quinzaine chez les Dupré, d’ardents patriotes. La découverte de la ville va éveiller la fibre patriotique chez la jeune fille. « Ces vestiges admirables qu'elle découvre, lui font comprendre à quel point il faut être fier d'un pareil passé de travail, d'héroïsme, de gloire, de batailles. Ces batailles, nos ancêtres les ont subies parce qu'ils ne voulaient pas devenir anglais, pour rester français, dans le pays français qu'ils avaient fondé. Vaincus, une sourde victoire a tout de même suivi la défaite matérielle: notre foi, notre langué vivent toujours. L'image de son pays et de sa race s'éclaire. Les idées de Philippe lui paraissent moins inexplicables, mais le problème de son mariage avec Steven se complique de nouveaux obstacles. »

Plus encore elle découvre sur la statue de Louis Hébert que son nom est gravé dans le bronze : « Crispée pour retenir ses larmes, elle comprend à peine ce qu'il dit. Et cette phrase bat dans sa mémoire : "Une des filles de Louis Hébert épousa le premier Couillard venu de France..." Les mots sonnent une gloire, mais une gloire qui résonne pour Marguerite, comme le glas de son amour. Que fera-t-elle?
Sur une des faces du piédestal est incrustée une grande page de bronze, où sont inscrits les noms des pionniers du pays et de leurs compagnes. Philippe entreprend de les énumérer:
— Louis Hébert, Marie Rollet, Guillaume Couillard, Marguerite Guillemette Hébert, (votre aïeule, Marguerite), — Abraham Martin, (le premier propriétaire des plaines), — Marguerite Langlois, — Nicolas Marsolais, Marie Le Barbier, Pierre Desportes, Françoise Langlois, Olivier Le Tardif, Marguerite Couillard! Je savais que vous y étiez....
— Quel honneur ! À votre place, je ne me marierais pas pour ne jamais changer de nom, suggère Louise. »

Quand elle revient à Sorel, sa résolution est prise. Elle rompt avec l’homme qu’elle aime plus que tout au monde : « Je vous ai laissé m'embrasser parce que je vous aime, moi aussi, parce que jamais, il me semble, je n'aimerai personne comme je vous aime. Mais je ne veux pas vous épouser. Il ne faut plus nous revoir. Notre religion n'est pas la même, notre nationalité non plus. Avant, vous paraissiez, vous en soucier, et moi tout cela m'était tellement égal, pourvu que vous fussiez, avec moi, toujours. Et je rêvais, attendant avec impatience, que vous me disiez enfin ce que vous me dites ce soir. Je voulais tant que vous n'aimiez; que moi, toute la vie. Maintenant, je ne veux plus. Je ne peux plus vouloir, parce que ce serait pour moi une mauvaise action. » Il ne lui reste plus qu’à cuver sa peine. C’est ce qu’elle fera stoïquement puisque personne n’admettra qu’on puisse démontrer un grand chagrin pour une relation vouée à l’échec. Pour la consoler, sa famille lui paie un voyage en Europe.

La première partie du roman, celle qui décrit la montée du sentiment amoureux, est bien menée. L’auteure évite les clichés, son analyse des sentiments est fine, les personnages sont crédibles. Le seul reproche qu’on pourrait lui faire, c’est de ne pas suffisamment décrire les personnages autour des amoureux afin de mieux mettre en contexte la marginalité de cette union amoureuse. On en vient même à se demander si cette auteure, près de Groulx, osera défier les codes sociaux de l’époque. Dès que Marguerite pose le pied à Québec, on a notre réponse, on tombe dans le roman à thèse, on baigne dans l’idéologie de conservation : le peuple canadien-français doit se conserver coûte que coûte. Marguerite Couillard et Blanche d’Haberville : même combat à 70 ans d’intervalle! Comme le dit le père de la famille Dupré : « Rien n’est plus affaiblissant pour notre peuple que ces mariages mixtes ». Dommage qu’il en soit ainsi puisque Le Normand excelle à décrire les sentiments : même le chagrin amoureux qui occupe les derniers chapitres est bien rendu, avec subtilité et finesse.

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