11 septembre 2009

Romanciers de chez nous

Camille Roy, Romanciers de chez nous, Montréal, Beauchemin, 1935, 196 pages.


Dans Romanciers de chez nous, Camille Roy présente une série d’études dont certaines ont déjà été publiées dans Essais sur la littérature canadienne (1907) et Nouveaux Essais sur la littérature canadienne (1914). L’auteur consacre la moitié du recueil aux Anciens canadiens et à Jean Rivard, et l’autre moitié à L’Oublié de Laure Conan, au Centurion d’Adolphe Routhier, à Au large de l’écueil d’Hector Bernier, à André Laurence de Pierre Dupuy, à La Ferme des pins et Juana mon aimée de Harry Bernard, à Le Cœur est le maître d’Antonin Proulx et, finalement, à Nord-Sud de Léo-Paul Desrosiers.

Je ne vais présenter que la première étude, celle qui porte sur Les Anciens Canadiens (pages 11-62). La démarche de Roy est assez classique : il étudie la composition, les personnages, les thèmes, la part autobiographique et le style.

« Décrire les scènes variées et pittoresques de la vie canadienne, esquisser en quelques-unes de ses lignes les plus générales le tableau des grands événements politiques et militaires de la conquête, pénétrer avec le lecteur dans les croyances les plus familières du peuple, voilà bien à quoi s'est particulièrement employé l'auteur des Anciens Canadiens, et de quoi il a surtout rempli son œuvre. » Si on lit bien cette description, on voit que Roy distingue trois ingrédients : la petite histoire (celle des Seigneurs, le naufrage de l’Augustus…), la grande histoire (les plaines d’Abraham…) et la légende (la Corriveau, les sorciers de l’Ile d’Orléans). Il essaie de montrer que le roman prend la forme de l’épopée, de la « chanson de geste en prose ».

Ce qui frappe l’auteur, concernant les personnages, c’est l’absence d’analyse psychologique. « De Gaspé n'ignore pas, lui qui a tant lu ses classiques au manoir de Saint-Jean-Port-Joli, qu'il existe un art de composer un personnage, de constituer en sa vivante complexité un caractère, d'analyser des âmes et d'en étaler les divers états sous le regard avide du lecteur; mais il ne semble pas se soucier de faire pareilles constructions ou semblables dissertations; il affecte plutôt de n'apparaître pas comme un psychologue inquiet qui observe ses personnages et surprend les moindres agitations de leurs consciences; il les fait tout simplement agir, et il les laisse se mouvoir et s'exprimer le plus naturellement du monde… »

Pour ce qui est des thèmes, Roy avance que c’est le patriotisme qui est le principal moteur de l’action. Deux autres thèmes s’appuient sur le premier : l’amitié (le dilemme cornélien d’Archibald) et l’amour (le dilemme cornélien de Blanche). Roy note avec raison que le développement du thème amoureux est à peine esquissé.

La partie, peut-être la plus intéressante pour moi, c'est la suivante : l’auteur essaie de cerner la part autobiographique du roman. Il y décèle deux aspects importants : les arrière grands-parents de l’auteur auraient inspiré les d’Haberville; plus intéressant encore, le personnage du « bon gentilhomme » ne serait qu’un double de l’auteur qui essaie de se justifier (de Gaspé, pour avoir confondu l’argent de l’État et le sien fit quatre ans de prison). Roy est plus critique face au nationalisme de l’auteur : on sait qu’il avait épousé une Anglaise : « L'on peut croire que l'anglomanie, qui, au siècle dernier, a commencé à sévir dans quelques-unes de nos familles bourgeoises, a quelque peu fait fléchir son patriotisme. Sans jamais conseiller ouvertement la fusion, dans ce pays, des deux races anglaise et française, il accepte volontiers que des mariages mixtes fassent se rencontrer et se mêler les deux sangs. […] M. de Gaspé a mieux aimé que ce fût Jules qui donnât l'exemple de ces alliances hybrides où trop de nos familles canadiennes-françaises ont depuis et peu à peu sacrifié les traditions et la langue des ancêtres. L'auteur des Anciens Canadiens, que, d'ailleurs, des relations étroites avaient, dès son enfance, mis en contact avec l'aristocratie anglaise de Québec, ne pouvait plus mal choisir, parmi les personnages de son roman, celui qui serait chargé de donner aux lecteurs, en manière d'épilogue, cette leçon d'anglomanie. C'est le chevalier des Plaines d'Abraham qui désarme tout à fait et accroche au mur d'un foyer, où va régner l'Anglaise, la panoplie de son trophée! […] Il est donc possible, et nous croyons qu'il est certain, que M. de Gaspé a poussé trop loin dans son roman ce sentiment de résignation nationale auquel il a fallu obéir après la conquête, mais auquel M. d'Haberville a lui-même et d'abord si longtemps résisté. »

Enfin, une dernière partie porte sur le style. L’auteur apprécie beaucoup la simplicité de l’auteur, son « naturel ». Il note la justesse de la langue qu’il met dans la bouche des paysans. Par contre, il déplore le goût de l’auteur pour le style oratoire : « Il convient, pourtant, d'observer ici que les dialogues de M. de Gaspé ne sont pas toujours aussi alertes, aussi coupés et primesautiers qu'ils pourraient l'être quelquefois. Il arrive que le dialogue tourne au discours et que les conversations se transforment en trop longs monologues. »

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