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23 mars 2009

Désespoir de vieille fille

Thérèse
Tardif, Désespoir de vieille fille, Montréal, L’Arbre, 1943, 123 pages.

Ce recueil eut un retentissement certain. Ce discours féminin, où pointent une audace et une révolte mal contenue, dérangeait. Chose assez rare, le livre provoqua même une réplique cinglante de la part de Marie de Villers (Simone Routier) : Réponse à « Désespoir de vieille fille ».

Le texte ne ressemble à rien de connu : disons qu’il contient surtout de courtes réflexions, mais aussi quelques passages anecdotiques et quelques poèmes. Au cœur de Désespoir de vieille fille, on découvre une femme partagée entre ses désirs amoureux et les contraintes morales de son époque. Rien à voir avec la vieille fille traditionnelle!

Même si le recueil est divisé en dix sections, il n’y a pas vraiment de continuité, ni dans le contenu ni dans la forme. On passe d’un poème à un aphorisme, de considérations générales à des éléments biographiques. Certains passages sont en anglais. Compte tenu de l’effacement des genres dans la littérature actuelle, on pourrait y voir un certain modernisme.

Les éléments biographiques affleurent sans qu’on puisse les saisir clairement. Compte tenu de l’audace du discours, il est évident que l’auteure s’est protégée, mais cette trop grande retenue nous prive probablement d’un excellent livre, dans la veine des Mauriac, Bernanos, Julien Green.
Voici un aperçu des dix sections :

I- Le recueil s’ouvre sur l’image d’un homme qui répudie une femme. Tardif fait référence à Saint-Augustin renvoyant son épouse. Le texte n’est pas exempt d’une certaine violence. L’homme agresse cette femme parce qu’elle l’attire, parce qu’elle le veut et qu’il n’arrive pas à se défendre d’elle. La femme dispute l’homme à Dieu. Plus loin, un homme apparaît : il se nomme Jacques et il est malade. Dans le reste de cette section, il ne sera question que d’abandon, de solitude et de désespoir. Il y a les amis, la guerre et cette phrase qui vient clore la première partie : « Le péché porte sa punition. L’épreuve est dans la vertu. »

II - Dans la deuxième section, le discours devient plus désespéré, la vision du monde, très noire. Elle s’ouvre sur une série d’aphorismes : « Le cœur et les intestins du monde ne font qu’un »; « L’amour est une ruse de la chair. » On y parle de perte, d’humiliation, de désirs, de culpabilité. Les hommes apparaissent comme des êtres sans courage, cruels : « Les hommes se plaisent en ma compagnie parce qu’elle leur permet d’être vils sans indignité. » Comme élément biographique, on note la présence d’un deuxième homme, un romancier, nommé R…

III- L’auteure évoque son enfance malheureuse. Elle se sent étrangère au monde, en porte-à-faux. Elle ressent une forte culpabilité, elle ressent le poids du péché.

IV- Cette section met aussi en scène des éléments biographiques : la narratrice désire un homme qui n’est pas libre. Elle se défend contre son désir : « Mon Dieu, à la veille de Pâques, pourquoi envoyer cet homme vers moi pour quémander le péché? »

V- L’auteure pose le problème du libre arbitre. « Et moi, si je suis en bordure de la route, c'est que je me suis retirée de votre chemin. Et Vous passez sans me regarder, parce que c'est à ce point que Vous me concédez la liberté que Vous m'aviez promise. Mais les ordures s'y trouvaient avant que je descende dans le fossé ! C'est que Vous ne Vous étiez point engagé à organiser cette liberté. Vous les y avez laissées, peut-être pour rappeler à mon choix le confort de la route monotone ouverte sur l'Infini. » On nage en plein jansénisme. Seule la grâce peut la sauver du péché : « Mon orgueil, s’il en reste, c’est malgré qu’il soit à cœur de jour déchiqueté. Et tous ses lambeaux ne vont pas céder sans le couteau de la grâce. » Plusieurs réflexions portent sur la condition féminine. En voici deux : « Le mensonge de la femme. Figure de joie auprès de l’enfant, doux visage de pardon auprès de l’époux coupable. »; « Il faut bien que nous, les femmes, nous y pensions à la soupe; il faut bien que nous pensions à l’enfant qui naîtra de notre péché. »

VI- « Satan danse sur mes lèvres. / Un peu de force et j'achève de le cracher. Mais il a laissé un tas de petits démons pour garder l'intérieur : l'égoïsme à la porte du cœur ; dans l'âme, un dégoût de l'argent qui ressemble à de l'avarice ; au sein des entrailles, un gripet qui n'arrive à rien mais persiste dans ses tentatives immondes. » Il me semble qu’on va plus loin dans les méandres du péché : « Jouissance charnelle, unique jouissance, unique certitude. » Toujours la femme, comme une Ève tentatrice, dont se sert le démon pour provoquer la chute de l’homme : « La vertu des femmes est à la merci des tentations des hommes. » Toujours le discours janséniste : « Il n’y a pas les péchés du monde. Il y a le péché du monde. Le monde est coupable du péché du monde. Je suis du monde. Je suis donc coupable du péché du monde. » ; « Je ne suis pas patiente avec les desseins de Dieu et ne puis admettre que ma destinée soit de prédestination plutôt que de malédiction. » La section se termine sur cette phrase qui aurait pu devenir un beau poème : « J’ai respiré dans la nuit et l’herbe sauvage a germé dans ma bouche. »

VII- La souffrance est au cœur des hommes. L’auteure évoque celle qui donne du génie aux artistes, celle de son enfance, celle de l’amour, mais le divorce entre le corps et l’âme est sans doute sa plus grande souffrance. « La puissance de l’âme est nulle parmi les désaccords de la chair. » La section se termine par l’espoir : « Le givre a courbé jusqu’à terre les petits arbres du parc. La sève du printemps va les redresser. »

VIII- Toujours le problème de la prédestination. Pourtant, on ne peut pas dire que sa foi soit touchée. Le fait qu’elle ne tienne pas les rênes de sa destinée atténue son sentiment de culpabilité : « Mon Dieu, Vous prenez cruellement soin de moi. Vous permettez que je me promène dans les ténèbres de l'Enfer, et quand j'ai trouvé la lanterne de Satan, Vous m'en retirez par les cheveux. Et le poids immonde de la chair se ballotte dans le vide. / Je tends à Vous. Mais, comme la femme de Loth, ma tête est tordue en arrière et mes pieds sont figés dans d'épaisses couches de sel. » ; « Qu'importe si l'Enfer danse en rond autour de moi, et que je sois imprégnée de la bave du serpent ; ne suis-je pas votre créature, que Vous avez aimée, jusqu'à mourir. » Elle finit par se percevoir comme l’instrument des impénétrables voies divines : « J’ai été méchante; mais c’est pour Dieu que toujours j'ai travaillé. »

IX- Période d’apaisement. L’orage semble passé. L’auteur redit que c’est la femme qui porte le « fardeau du péché ». Et pourtant, elle doit être capable d’en faire abstraction, pour se livrer toute entière à l’amour : « Qu’est-ce que cela vaut une femme qui ne sait pas aimer, qui ne sait pas se perdre dans l’amour? Quelle valeur son sacrifice si elle ne fait point son esclave. »

X- Dans cette section, intitulée « Le dernier Christ », on y lit des appels à la bonté de Dieu (« Mon Dieu, arrache aux mains des hommes cette soie qui les rend fous et fais de ce tissu fragile ton tabernacle. »), une profession de foi (« Le bonheur, c’est marcher dans l’air pur et prier Dieu »), des prières (« Mon Dieu, résigne-moi au monde. »; « Mon cœur est dans l’Enfer; ne laissez point périr mon âme. ») Et la dernière phrase du recueil : « Que les arbres au dehors toujours soient fleuris à cause des vitraux transparents. »

Ce recueil, bien écrit, conserve avant tout une valeur de témoignage. On est dans les années 1940 et il me semble que Thérèse Tardif évoque un peu avant tout le monde (sauf saint-Denys Garneau dans son journal, mais il ne l’a pas publié) ce divorce entre l’esprit et la chair, entre la grâce et le péché, entre la vraie vie et l’idéalisme chrétien. Il nous rappelle les interrogations spirituelles des grands romanciers français, que vont reprendre ici les Garneau, Lasnier, Langevin, Élie, etc. J’ignore si beaucoup d’études ont été consacrées à ce recueil, mais il me semble qu’il mérite une plus grande attention. Il nous aide à comprendre ce qu’on a appelé « la grande noirceur », et la relation étroite que la religion catholique établissait entre la femme et le « péché de la chair ».

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