20 novembre 2024

Le pain quotidien

Michel Beaulieu, Le pain quotidien, Montréal, Estérel, 1965, 108 p. (Poèmes ornés de 7 dessins de Jean McEwen)

Disons d’abord qu’on se retrouve devant un très grand livre : 28 cm x 21,5 cm. Les illustrations de McEwen sont collées. Beaulieu et Miron sont à l’origine des éditions Estérel.

Les poèmes ont été écrits entre 1961 et 1963, donc à la même époque que ceux qu’on a lus dans Pour chanter dans nos chaines. Dans la première partie, Diurnes, on retrouve les mêmes thèmes : le pays, Montréal, et surtout la guerre nucléaire. Rappelons qu’on était en pleine Guerre froide et que la menace nucléaire était une réalité présente à l’esprit.

Qui que tu sois où que tu sois
entendras-tu l’appel
l’appel aux armes
à la guerre atomique
laisseras-tu un jour ta peau et ta chair
se bercer des aiguilles blêmes de la radiation

La seconde partie, Pavane au jour qui se meurt, apparaît comme un retour sur son passé : les amitiés, les rencontres, les amis, le besoin d’évasions, les amours mais aussi la formation d’un regard, d’une sensibilité :

Lumières du soir reflets mats sur les pavés
quand je marchais par les longs soirs tristes d’octobre
je croyais comme vous que la foule était sobre
j'ai vu partout des visages désabusés
traînant sur les coins de rues leur masque effaré
des chiens au ventre bas cinglé de biseaux

Nocturnes fait état de relations amoureuses qui ont mal tourné. Le vers est souvent ample et la métaphore, parfois excessive : « Nuits à garrots cassés / Froid dans mes veines / Il est d’autres étangs que je puis décrire / Tant de noir me saigne à tout vent ». On comprend que le beau rêve qu’il avait tissé s’est fragmenté et qu’il en est sorti plus que meurtri :

L’OMBRE FUGACE

je vois une ombre passer dans le soir
qui pourrait dire avec certitude
si c'était toi
ou si ce n’était pas toi
qui pourrait dire avec certitude
dans le fin brouillard
du soir
vers quelle eau neuve tu marchais
lentement
à petits pas comptés
sans même te souvenir
dans le soir
de ma main qui t’appelle
depuis des jours
depuis des nuits
au bout du soir
qui pourrait dire avec certitude
si je n ai pas rêvé

  

14 novembre 2024

Pour chanter dans les chaînes

Michel Beaulieu, Pour chanter dans les chaînes, Montréal, Éd. La Québécoise, 1964, n.p. [environ 80 pages]

C’est le premier recueil de Michel Beaulieu. Dans la table des matières, il a daté ses poèmes : ils auraient été écrits entre 1961 et 1964.

Pour qui, comme moi, n’a lu que le Beaulieu de la fin des années 70 et du début des années 80, ce recueil a de quoi surprendre. On n’y retrouve pas le langage dépouillé, sans effusion lyrique, presque réaliste, de ses derniers recueils. On découvre un auteur engagé, prêt à relever les défis de son époque. Dès le départ, on est averti : « A moi la parole / face à la vertu du silence / à moi les paraboles / aux lourdes sentences ». Il semble que le poète soit chargé de crier haut et fort ce qui est tu dans la société, ce qui le rapproche bien entendu des poètes du pays. D’ailleurs, les premiers poèmes abordent le thème : « Mon pays / squelette décharné d’où suinte l’odeur du caveau / et le souffle originel t’insuffle le premier geste ». Montréal parfois se substitue au pays, comme si les deux se confondaient : « mon pays ma ville ma lyre et mon soupir / ma ville à foulard noué au col du venant ».

Plus loin dans le recueil, on découvre que son engagement déborde le créneau nationaliste.  Il se questionne sur le sens de la vie contemporaine et on retrouve un peu le ton désenchanté de ses recueils ultérieurs : « C’est inutile / Nos prières ne changent rien / Ni les satellites / Ni les guerres atomiques ». Ou encore : « La glace fébrile sous les tenailles de la ville / Miroitait un salut blême plus / Que la face des cadavres chauds / Un soleil meurtri comme / Un corps de fosse commune ». Ou encore : « Tout est tout disait-il / De la cendre naît l’homme / De l’homme naît la cendre / Et ce corps est de mort / Et ce corps est de vie / Baigner dans ce lac qui lentement / fuit de spirale en spirale / Et la feuille à l’automne rougeoie / au centre de la saulaie équivoque ».

Extrait

Je ne passerai jamais assez en mon verbe ce
que le sang porte d’amour et ce que le
cœur a de vie en soi de battre au
rythme clouté de la ville

ma ville a froid ce soir de l’étrange violaçure
boréale du printemps je ne pourrai jamais
non plus dire ce que mon œil saisit de
rosaces

et mon oreille de douces-amères paraboles

j’ai besoin fécond de l’univers de mon pays
pour crier à la voix de mon siècle le
rapide cliquetis des trains qui traversent
les campagnes et le gémissement aigu de
leurs roues freinant dans les gares

je n'aurai jamais assez de mains pour caresser
ton corps de femme-fille qui poussera
dans la nuit ses râles de biche éperdue

8 novembre 2024

La charrette

Jacques Ferron, La charrette, Montréal, HMH, 1968, 207 pages. (Coll. L’arbre, 14)

Le livre est dédicacé : « À la mémoire de ma sœur Thérèse. » On a pu lire une amorce de ce roman, dans l’un des Contes du pays incertain, intitulé « Le pont ».

Au début, le médecin narrateur, qui exerce sur la Rive-Sud, raconte la mort de Labbay et de Moriani, deux patients du « Chemin neuf » pour lesquels il avait de l’affection, événements qui semblent un peu antérieurs au récit qui va suivre.  

En plein jour, il rencontre Rouillé et sa charrette brinquebalante chargée « de débris de toutes sortes, de légumes pourris, d’une charogne de chien ou de chat » qui se dirige vers Montréal. Le soir venant, on se retrouve à Montréal, dans l’autre monde, le monde des âmes. On retrouve Rouillé qui ramasse les détritus, y compris les cadavres, qu’il doit ramener dans une « dompe » sur la Rive-Sud avant la lever du jour. Ce soir, il vient rejoindre son « boss », Belial, une incarnation de Satan, aux « Portes de l’enfer », un cabaret où évoluent des prostituées, des buveurs, des travestis; ainsi que Labbay, Marsan et Ange-Aimé; et des personnages déjà rencontrés dans La nuit : Frank Archibald Campbell devenu huissier-bonimenteur, Barbara la nautonière qui, tout comme dans La nuit, incarne la femme et la mère du narrateur.

En cours de roman (p. 64-65), le médecin cède sa place à un narrateur externe et, du coup, il disparaît presque complètement du récit. En fait, on comprend qu’il a traversé le pont, qu’il est mort sur la rue Saint-Denis et que Rouillé l’a chargé dans la charrette avec les détritus. Dans le cabaret « Aux portes de l’enfer » se déroule une suite de scènes carnavalesques, sans grands liens les unes avec les autres. Et les personnages et leurs discours sont à l’avenant : un « cardinal à tête de porc », Linda la jeune intellectuelle banlieusarde qui se prostitue, des discussions sur la nationalité avec Campbell, des allusions à la guerre au Vietnam et à celle des Six-jours, des digressions philosophiques sur l’essence de l’homme, sur l’avenir de la société, etc. Dans le dernier chapitre, le récit retrouve un peu de tonus : la femme du narrateur reçoit la visite des policiers, de Madame Rouillé, de Bélial et de son mari défunt.

J’aime beaucoup Ferron, je tiens à le préciser, mais je pense que La charrette n’est pas un roman réussi. Je sais, Ferron le considérait comme son « meilleur » livre. Et que plusieurs Ferronistes le pensent aussi. Pour moi, un roman inachevé. On y trouve un imaginaire, emprunté à la mythologie, qui aurait pu donner un grand roman : je pense à cette charrette qui traverse le fleuve avant de pénétrer dans la nuit et le monde des âmes, à la rencontre des morts et des vivants. Mais le miracle ne se produit pas. Déjà la première partie, d’un tout autre ton, détonne. Et, dans la dernière partie, le conte interminable de Linda et la série d’échanges philosophico théâtraux n’arrangent rien. Tout cela manque d’unité, n’a pas été suffisamment lié. Travail énorme, il va sans dire. Certains critiques s’extasient du passage du « je » au « il » au tiers du récit. Moi, j’aurais préféré un « il » d’un bout à l’autre.

Extrait

Rouillé faisait sa collecte un peu partout dans la ville, le plus souvent pas trop loin du pont, dans les vieux quartiers. Cette nuit-là son maître l’avait convoqué, comme il lui arrivait de temps à autre, au lieu de rendez-vous habituel, un cabaret dans le voisinage de la morgue, à l’enseigne judicieuse, dont l’à-propos passait inaperçu, des « Portes de l’Enfer ». C’était un petit établissement qui n’était pas plus mal famé qu’un autre dans le genre. Rouillé avait l’habitude de laisser sa charrette devant la porte où sa présence ne surprenait personne, car c’est l’insolite qui remplace le naturel, la nuit; seul le portier se plaignait qu’elle puait.

Rouillé était en avance sur l’heure du rendez-vous. C’est la raison pour laquelle il avait fait un détour en remontant Saint-Denis. Maintenant il roulait vers l’ouest dans la rue Ontario avec l’intention de redescendre à Clark vers le vieux Montréal. Au coin de Saint-Laurent, le cheval malade tombe raide mort, intempestivement, c’est le cas de dire car ce n’est pas sa charogne qu’on était venu ramasser. Rouillé saute dans la rue, dételle le cheval, l’empoigne et parvient à le jeter dans la charrette, à moitié par-dessus le macchabée de la rue Saint- Denis. Puis il s’attelle à sa place et continue tant bien que mal. Il se dit que Clark est la rue voisine et qu’elle fait pente jusqu’à Craig; que c’est en somme la charrette qui le pousse. Et il va, cherchant à ne pas penser à la montée qu’il rencontrera après. (p. 53-m54)

Jacques Ferron sur Laurentiana

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Le Licou
L'Ogre
Tante Élise ou le prix de l'amour
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La barbe de François Hertel

Contes du pays incertain
Contes anglais et autres

Cotnoir

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La charrette

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Le Saint-Élias

Anatole Parenteau et Jacques Ferron
Le parti rhinocéros programmé