De Ruts et Et le cycle du sang dure donc à Lapokalipsô, on fait un saut dans l’espace et dans le travail de création. Si les deux recueils précédents appartenaient plus ou moins au mouvement contreculturel, toute hésitation s'estompe dans Lapokalipsô.
Peut-on encore parler d’un recueil de poésie? Je dirais qu’on se trouve devant un livre-objet dans lequel on lit souvent des poèmes. Je
ne sais pas si on peut affirmer que la contreculture a contribué à l’éclatement
des genres, mais si tel est le cas, ce livre participe de ce mouvement
cher au postmodernisme.
Ce recueil est devenu illisible, du moins pour moi. Déjà le parcourir est une aventure en soi. Ce qui ne veut pas dire qu’il est sans intérêt. J’entends par lisible : ouvrir un livre et enfiler les pages de la première à la dernière. Il vaut mieux le parcourir, abandonner le poème ou le texte qui ne mène nulle part, lire des passages par-ci par-là, reprendre dix pages plus loin, revenir en arrière. C'est un peu la méthode que propose Duguay dans le premier texte du recueil : « Ce livre propose une nouvelle méthode de lecture:la lecture ubiquique. L'œil est multidirectionnel et se déploie comme une gerbe avant d'atteindre le blanc. »
Je n’essaierai pas de dénombrer toutes les fantaisies utilisées par l'auteur, ce serait trop long. Mais celles qui sautent aux yeux rapidement, c’est l’absence d’espace avant et après les signes de ponctuation, le mélange des genres, la reprise de certains titres, la déformation, la fusion ou la scission de certains mots. Comme le dit Duguay, « toutédentou ». Le sérieux et le non-sens se côtoient. Des lettres échappent aux mots; des signes, des borborygmes émanent des mots. Plusieurs textes-poèmes disposent de la page à leur façon : format poétique, d'affaires, scientifique...
Le recueil est
inspiré du travail de Duguay avec l’Infonie, donc on devrait peut-être le parcourir
en écoutant de la musique dodécaphonique. J’ai l’impression que certains textes-poèmes
ont perdu tout leur impact en quittant le champ de l’oralité dont ils proviennent.
Si le recueil
vous intéresse, ouvrez-le, flânez à l’intérieur, on ne s’y ennuie pas. Vous
allez vous promener dans la tête de l’auteur le plus éclaté depuis Gauvreau.
Raoul Duguay sur Laurentiana
Lapokalypsô