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5 avril 2024

Le fou de la reine

Michèle Mailhot, Le fou de la reine, Montréal, Les éditions du jour, 1969, 126 p. (Coll. Les romanciers du jour, R 49)

Le fou de la reine raconte les difficultés que vivent Hélène et Charles, un couple mal assorti. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas d’amour entre eux, ce serait plutôt qu’ils ont une philosophie de vie tellement différente que les relations sont toujours tendues. Hélène est vibrante, elle mord dans la vie, elle ne s’enfarge pas dans les grands débats d’idées; Charles est un intellectuel, idéologiquement à gauche, inquiet, toujours en train de se questionner, de questionner son couple et la société dans laquelle ils vivent. Il est hésitant, elle a une totale confiance en elle-même. Ils s’aiment et se haïssent, se font du mal. Elle règne sur leur couple, sûre d’elle-même, forte des pouvoirs de la séduction, comme la reine de cœur et son fou. Des soupirants, elle n’a qu’à tendre les bras et ils vont accourir. Et il le sait. « Il fallait l’adorer et savoir se réjouir du seul fait qu’elle existât. » Il est en quelque sorte un dépendant affectif, il croit que cette femme va le sauver de ses tracas, qu’elle va faire de lui un nouvel homme. 

« Je vengeais mes rêves avortés sur la réalité qui les avait étouffés. Une réalité que je confondais avec Hélène et qui s’appelait plaisir, désinvolture, paresse, amabilté, sociabilté, bonté ; des pentes douces qui emmènent de moi exécré vers l’aimable suicide de la vie superficielle, bonne et bête, douce et idiote, irréfléchie inconsciente finalement inacceptable. Le nouveau-né ne ressemblerait jamais à sa mère que par des qualités dont il ferait autant de défauts, de vices et de malheurs. Cela parce qu’il aimait trop sa maman et que sa maman exigeait trop de lui. Hélène voulait que je sois le mari, l’enfant et l’amant ; l’or, la soumission et la fantaisie ; le père, le fils et le saint-esprit : une trinité de poche où fourrer sa main quémandeuse et douce et volage. » (p. 71-72)

Il finit par quitter Hélène et il s’engage dans un groupe révolutionnaire, tout en reprenant son rôle de dépendant affectif en quelque sorte :

 « Parce que je n’ai pas une once d’identité, pas une seule idée à moi, j’emprunte leur air de famille. Je ne suis qu’une âme bâtarde qui quémande une charité spirituelle. Une idée, une toute petite idée s’il vous plaît pour l’amour de Dieu. Arrachez-moi de l’orphelinat de l’esprit et donnez-moi une idée-mère, un refuge aussi vrai qu’un ventre maternel qui nourrit, enveloppe et te dépose dans la vie tout habillé de chair et bourré de sang chaud. »

 « Le banquet est servi, une véritable orgie de croyances, et ils m’invitent. Affamé comme je suis, je n’ai pas à faire la fine bouche. Je m’empiffre et j’en redemande encore. Un plat de grenades m’est resté sur l’estomac mais je bois du cocktail molotov et ça se tasse. Ma tête crépite de credos, le trou est rempli, mon âme déborde d’apostolat. Vous verrez ce que vous verrez, la foi transporte les montagnes et le Mont-Royal en sera témoin ! (113-114)

La situation devient carrément intenable et cruelle quand il découvre qu’Hélène est maintenant la maitresse de Messien, le chef de son groupuscule révolutionnaire. Bien entendu, tout le monde a compris qu’il est vulnérable, on lui lave le cerveau et on l’incite à déposer une bombe dans une boîte postale. Il est arrêté et le présent récit nous parvient de sa cellule.

Ce roman reprend l’intrigue de Prochain épisode : le révolutionnaire amoureux qui échoue amour et acte révolutionnaire et qui écrit de sa prison. Deux anti-héros. Métaphore du Québécois indécis. 

Mailhot se démarque par ses fines analyses psychologiques plutôt que par un récit d’action dans un cadre géographique comme dans Prochain épisode. Elle ne donne pas dans les analyses psychologiques rigoureuses pour autant; par touches successives, on pénètre dans l’âme des protagonistes; on lit de longs passages lyriques pour expliquer leurs états d’âme mais aussi les variations de leur humeur (lire les extraits).Au point de vue de l’écriture, Mailhot n’a rien à envier à Aquin. Ce roman n’a pas eu toute la reconnaissance qu’il méritait.


Extraits

« Mais ce n’est pas ainsi. Ce piteux résultat tient justement au fait que mon ressentiment courait à fleur de peau, de susceptibilité, d’orgueil et qu’il ne trouvait jamais, même à sa pointe extrême intensité, les griefs suffisant à le justifier; que je n’arrivais pas à trouver le point de frappe d’une douleur pourtant vive qui s’exacerbait encore de ne pouvoir être fixée sur tel ou tel de tes gestes. Un carré de soie, un parfum, voilà des arguments qui expliquent mal la guerre. Mais je ne retraçais rien d’autre que de pareilles insignifiances. » (p. 84)

Âme légère, donne-moi la grâce de la futilité, débarrasse-moi du sérieux de l’esprit, de la tristesse des creuses profondeurs et apprends-moi l’effleurement amoureux des surfaces joyeuses, le tendre ghssement du soleil sur la terre.

Âme paresseuse, apprends-moi le renoncement. Retiens-moi de l’agitation stérile, de la turbulente action, pour me garder immobile et satisfait au creux des heures lentes, comme un arbre arrêté sous la lune frivole. Ame égoiste, enseigne-moi la grâce de la contemplation. Délivre-moi des regards extérieurs qui me distraient d’habiter ma maison. Apprends-moi la douceur et l’audace d’être moi-même, attentif à ma vie comme à la seule générosité possible… (P. 91-92)

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