10 août 2020

La maison du coteau

Joseph Provost, La maison du coteau, Montréal, L. E. Rivard, 1881, 96 pages. 

J’ai lu beaucoup de romans québécois, mais aucuns ne ressemblent à la Maison du coteau. Je n’ai jamais vu, dans la littérature québécoise, une telle charge contre la religion catholique. Et on se demande comment il se fait que ce roman ne se soit pas attiré les foudres des autorités ecclésiastiques. Se peut-il qu’en 1881 l’église n’ait pas encore assis l’hégémonie qu’elle va exercer sur les productions culturelles du Canada français?

 

Résumons. Adéline, la fille du père Brunel, épouse Florian, un protestant, avec l’accord du curé Nicette. Ce dernier s’autocongratule déjà, étant sûr qu’Adéline réussira à le convertir à la religion catholique. Le manège fonctionne un temps, mais bientôt Florian, plein de remords, renoue avec ses croyances. Le curé est furieux! De concert avec la mère Brunel, qu’il manupule à sa guise, il concocte un plan pour casser « l’hérétique ». À la naissance du premier enfant, on le mettra devant le dilemme suivant : rester et se convertir ou quitter femme et enfant. Le curé et la mère vont si bien jouer leurs cartes que Florian est jeté dehors par sa femme.

 

Adeline se rend compte rapidement qu’elle s’est laissée berner par sa mère bigote et par un curé manipulateur. Elle regrette son mari qu’elle aime toujours. Elle voudrait même le rejoindre. Devant ce désespoir, le curé en remet une couche : il veut la forcer à laisser son enfant et à rentrer chez les sœurs. Le matin où elle doit partir, elle sombre dans la follie, ce qui sert bien le curé : « voilà comment Dieu punit ceux et celles qui s’opposent à leur curé. » Le temps passe, Adeline se meurt tranquillement… jusqu’au jour où son mari revient.  Sa mère va en avertir le curé qui la sermonne et lui promet l’enfer si elle ne règle pas le problème. Elle rentre chez elle et à son tour admoneste sa fille : «  Ce fut un flot de menace, d'injures, d'imprécations, tout ce que la haine, enfin, peut produire de plus amer. La pauvre Adéline étouffa sous le poids de cette épreuve. » Cette dernière meurt. Florian réussit à extirper son enfant de ce milieu malsain en le donnant en adoption à une famille protestante. 

 

Joseph Provost est un pasteur protestant qui a étudié en Suisse. Il oppose catholicisme et protestantisme dans un duel qui n’est pas équitable au départ. Il met en scène un curé qui est un véritable despote, pire encore un manipulateur pervers. Ce curé est prêt à tout, je dis bien à tout, pour arriver à ses fins. La religion, dans ses mains, c’est une arme qui broie les conciences, qui annihile le libre arbitre, qui détruit les personnalités… La religion, c’est un grand rouleau compresseur qui écrase tout ce qui dépasse. 

 

Pour bien montrer l’audace – ou le caractère outrancier, c’est selon – du roman je cite quatre extraits.

 

« La religion romaine, nous dit un livre célèbre au temps de la Ligue, est le breuvage qui nous endort comme un opiat bien sucré et qui sert de médicament narcotique pour stupéfier nos membres, lesquels, pendant que nous dormons, nous ne sentons pas qu'on nous les coupe pièces à pièces, l'un après l'autre, et qu'il ne restera que le tronc qui, bientôt, perdra le sang et la chaleur de l'âme par une trop grande évacuation. » (p. 17)

 

« Malheureusement, Adéline avait passé cinq années au couvent et le couvent, c'était tout le contraire de la vie réelle. Le couvent, c'est le milieu le plus favorable à l'hypocrisie; c'est l’espionnage érigé en système ; c'est la suspicion d'un côté, la ruse de l'autre. Le couvent, c'est l'esprit rampant du jésuite; c'est la mort à la liberté de l'âme, à la liberté de penser, d'agir et de vivre en chrétien. Cinq années de cette vie étiolée, c'en était assez pour ternir les plus belles vertus, et pour émousser la volonté la plus énergique. » (p. 19)

 

« Mais, pauvre femme, j'ai été dans ton église plusieurs fois, j'ai admiré le luxe des autels, j'ai été charmé par l'harmonie de vos chants ; mes sens, partout, ont été agréablement surpris, mais le cœur ne s'est jamais senti ému. La religion ne consiste pas dans la dorure, les guirlandes, les richesses, ou dans les cierges qui fument au nez des statues. Là où il n'y a point de vie pour le cœur, il s'étiole, languit quelques années et cesse de battre. Cela m'explique pourquoi les catholiques confient si stupidement leur âme aux mains du prêtre... C'est une prostitution. Quand ils ont abdiqué leur existence individuelle, ils deviennent une espèce de machine que le pape fait mouvoir selon son caprice. » (p. 34)

 

« Il est un fait, que plusieurs ont dû remarquer comme moi, c'est que, chez les nations catholiques, le cœur est plus féroce que chez les nations protestantes. Au Canada, par exemple, la jeunesse de nos campagnes éprouve un plaisir exquis à dénicher les oiseaux, à torturer les animaux inoffensifs, à faire battre des coqs ou à exciter les chiens à s'entre-déchirer. On abîme de coups les bêtes domestiques; les parents corrigent brutalement leurs enfants, et les enfants se montrent les dignes fils de leurs pères. » (p. 40-41)

 

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