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24 mai 2019

Une rencontre

Louis Fréchette (traducteur), Une rencontre, roman de deux touristes sur le Saint-Laurent et le Saguenay, Montréal, Société des publications françaises, 1893, 132 pages. (A chance acquaintance, William Dean Howells, 1873)

Comment expliquer que Louis Fréchette se soit lancé dans la traduction de ce roman ? Rappelons d’abord qu’il a vécu 5 ans au Michigan après ses études, d'où sa connaissance de la langue anglaise. Pour le reste, c’est une affaire de famille. Achille, le frère de Louis Fréchette, épouse Annie Howells, la sœur de William, en 1877. Et comment expliquer la connaissance du Québec de William Dean Howells (1837-1920) ? Son père a été consul à Québec dans les années 1870. 

La famille du Dr Jack Alisson a fui le Sud ségrégationniste pour l’État de New York. Après la mort de sa femme, le vieux Jack s’est beaucoup attaché à sa nièce Kitty qui est venue habiter avec lui. Ses autres enfants sont déjà mariés. Un de ceux-ci, Dick, et sa femme Fanny, entreprennent un voyage en vapeur qui les amènent à Niagara, Montréal et Québec. Kitty les accompagne. Lors d’une randonnée de quelques jours sur le Saguenay, Kitty fait la rencontre de Miles Auburton, un Américain de Boston, que tout le monde imagine Anglais, tant il est snob, froid. Une relation distante s’établit entre eux, même si tout les sépare. Pour Auburton, cette fille et sa famille lui semblent « infréquentables ». Fanny, s’étant blessé, la famille doit prolonger son séjour à Québec. Et contre toute attente, Auburton décide d’y rester aussi. Il a beau lutter contre lui-même et ses préjugés, il est amoureux de Kitty. Pendant quelques semaines, les deux arpentent en tout sens la ville de Québec et les environs. La fin du séjour étant proche, Auburton demande Kitty en mariage. Il lui avoue son amour sur tous les tons, mais celle-ci hésite, consciente de leur différence de classes sociales. Quand elle est toute prête à accepter de l’épouser, un événement lui ouvre les yeux : lors d’une visite, Auburton rencontre deux vieilles amies de la « haute société » de Boston. Plutôt que de leur présenter sa future épouse, il la laisse poireauter à l’écart, faisant semblant de ne pas la connaitre. Kitty, malgré ses protestations, met fin à la relation.  Elle a compris que ses préjugés de classe sont plus forts que tout le reste.

L’intrigue repose sur une histoire sentimentale à la Jane Austen. Mais, selon moi, là n’est pas l’essentiel pour le lecteur québécois. Il ne me semble pas avoir lu un roman qui mette autant en valeur la ville de Québec. Bien entendu, l’angle n’est pas celui de Lemelin, qui décrit le tissu social. Disons que Dean Howells est en admiration devant la vieille ville, son histoire, ses monuments, son architecture. « Jamais ville ne fut plus minutieusement explorée; mais aussi nulle ville n’est plus féconde en objets intéressants. » Il ne parle pour ainsi dire pas des Québécois eux-mêmes, même s’il aime le caractère français de Québec. Il prête ces paroles à Kitty : « Je suis triste et indignée de ce qu’on ait ainsi enlevé Québec aux Français, après tout ce qu’ils avaient fait pour le construire. Mais c’est encore une ville bien française sous tous les rapports. » On trouve beaucoup de descriptions précises des attraits touristiques de Québec, de la citadelle à la cathédrale en passant par les jardins des Ursulines. Son regard est beaucoup moins sympathique lorsqu’on s’éloigne de Québec, surtout lors du voyage qu’ils font au Saguenay et dont la destination est la Baie des Ha Ha. Le vapeur passe par La Malbaie, Cacouna, Tadoussac, tous des lieux fréquentés par les touristes américains, mais rien de tout cela ne semble émouvoir Howells. Il n’y voit que froideur (on est à la fin d’août), pauvreté, misère.

Extraits

« Par-dessus le beffroi de la caserne, nos fenêtres commandent une vue de la moitié de Québec avec ses toits et ses clochers étagés en pente jusqu’à la basse-ville où ils se mêlent aux pointes aiguës des mâts de navires à l’ancre, et l’on découvre en même temps toute la plaine qui monte des bords de la rivière coulant au fond de la vallée, jusqu’à la chaîne de montagnes qui borde l’horizon, et dont les plis bleuâtres sont éclairés çà et là par de petits villages tout blancs. La plaine est parsemée de maisonnettes et émaillée de champs cultivés; et les fermes distinctement divisées, s’étendent à droite et à gauche de grandes routes bordées de peupliers, tandis que, près de la ville, le chemin circule à travers de jolies villas. »


« Je marche pour ainsi dire enveloppée dans un nimbe romanesque. A chaque coin de rue vous rencontrez des gens qui paraissent n’avoir rien autre chose à faire qu’à inviter le romancier de passage à entrer dans leurs maisons afin de prendre leurs portraits pour en faire des héros et des héroïnes. Et pour cela point de changement de costume; ils n’ont qu’à poser comme ils sont. Or puisque tel est le présent, pas besoin de vous dire que tout le passé de Québec n’aspire qu’à être transformé en romans historiques! »

1 commentaire:

  1. Tolfrey, dans Un artistocrate au Bas-Canada nous laisse avec un chapitre captivant de l'hiver à Québec...
    J'imagine que vous avez lu, mais ça serait certainement dans vos cordes : https://www.erudit.org/fr/revues/rs/1980-v21-n3-rs1554/055909ar.pdf


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