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29 mars 2019

Il suffit d’un jour

Robert Élie, Il suffit d'un jour, Montréal, Beauchemin, 1957, 230 p.

Dans son deuxième roman, une œuvre plutôt décousue, Robert Élie met en scène un petit village qu’il nomme Saint-Théodore. Au départ, on comprend que la venue d’une industrie américaine, qui doit bouleverser la communauté, va générer une certaine opposition, donc une action dramatique. Mais ce conflit initial est perdu en cours de route. On s’attache alors aux tribulations d’une jeune fille qui a été renvoyée de son couvent et qui a couché avec son petit ami, au grand dam de ses parents adoptifs, soit le docteur du village et sa sœur, une vieille fille frustrée. Mais encore une fois, ce conflit ne sera pas celui qui donnera du corps au roman. À la toute fin, ne voilà-t-il pas que le garagiste, un personnage très secondaire jusqu’ici, est assassiné par son employé, parce que celui-là avait fait des beaux yeux à la petite amie de celui-ci. Et pour clore le roman, la petite amie va assassiner sauvagement le témoin qui a mené à l’accusation de son copain, avant de sombrer dans la folie.

On a l’impression de lire un mélange d’Yves Thériault et André Langevin. Les hommes sont rudes, les femmes à leur merci,  les jeunes cherchent à quitter ce milieu, les curés s’interrogent sur le bien et le mal. Aucun personnage n’est digne d’admiration sauf peut-être le jeune curé, qui négocie comme il peut ses remises en question dans cette communauté dépourvue d’humanisme. 

Formellement, ce roman d’analyse psychologique, « très années 1950 » par l’atmosphère lourde et les questionnments existentiels, n’est pas réussi. Il y a beaucoup de personnages et Élie prend beaucoup trop de temps (de pages) à mettre en place les différents éléments (les relations entre les personnages et leur lien avec l’action principale) qui composent l’assise de son roman. Les personnages (et même des personnages secondaires) font l’objet d’explications subtiles, souvent un peu inutiles. On dirait un long portrait qui n'arrive pas à se mettre en branle plutôt qu’un récit, tant l’analyse psychologique étouffe l’action.  

Est-ce dire qu’il n’y a rien de bon dans ce roman? La réponse bien entendu, c’est non. Mais les qualités il faut les chercher dans les dialogues et dans certains passages où l’analyse sonne juste.

Extrait

Charlie laissa partir le messager sans rien dire. Ce n’était pas l’étonnement qui le clouait sur place. Au contraire, il eut l’impression que l’histoire se terminait tel que prévu. Tout se décomposait, non pas au rythme ordinaire du temps qu’il savait si bien filer, mais avec une précipitation derrière laquelle il fallait voir quelque volonté vengeresse. Lui-même n’avait pas tenu le coup et, comme un imbécile, il était parti à la recherche d’une jeunesse depuis longtemps perdue. Dans quelle rêverie de vieillard abruti n’avaient-elles pas tourbillonné ces images de Marie-Justine et d’Élisabeth, comme, si la jeunesse était la vie dans toute sa fraîcheur et toute sa vérité! Yves avait détruit le peu d’espoir qui lui permettait de ricaner encore au bord de l’abîme, et il avait voulu se jeter sur lui parce qu’il désirait voir palpiter la vie à nouveau, mais il s’était heurté à des désirs vieux comme le monde, à la peur, la résignation de l’âme. S’il ne l’avait pas atteint, s’il avait buté contre une chaise comme une bête aveugle, c’était qu’il savait déjà que la vie est morte et que rien ne peut assouvir la colère, triste faim de mauvais riche. Le messager parti, il comprit qu’il ne trouverait pas en lui-même le peu qu’il faudrait pour alimenter son avare passion de voyeur. L’ennui l’accablait déjà, et il resta plusieurs minutes immobile au milieu de la pièce, à l’endroit où l’avait atteint la nouvelle. Des bruits se répercutèrent enfin dans ce vide, le chant d’un coq, le vrombissement d’un camion, des cris aigus d’oiseaux, et il sortit. (p. 185-186)


Robert Élie sur Laurentiana
Il suffit d’un jour

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