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8 décembre 2017

La fleur de peau

Hélène Ouvrard, La fleur de peau,  Montréal, Éditions du Jour, 1965, 194 p.

Jusqu’à ce qu’elle entre aux Beaux-Arts, Anne a toujours été une fille parfaite, sans problème, que les professeurs adorent et dont les parents ouvriers sont fiers. Quand son père meurt et qu’elle doit abandonner ses études, son petit univers s’effondre. Elle doit gagner sa vie. Elle obtient un poste de secrétaire dans une jeune compagnie de cinéma et, par un concours de circonstances, se retrouve script, l’espace d’un film. Et elle tombe amoureuse du réalisateur, Stéphane, un jeune homme qui perçoit son intelligence et en fait sa collaboratrice. Tout aurait été pour le mieux si elle n’était pas tombée follement amoureuse d'un homme, qui est homosexuel, ce qu’elle tarde à découvrir. Stéphane n’accepte pas son homosexualité et fréquente des femmes dont il n’est pas amoureux. Entre les deux se tissent des liens de tendresse qu’Anne voudrait voir évoluer vers l’amour.  

On est en présence de deux personnages qui sont mal dans leur peau. Anne, encore vierge, rêve du grand amour. Stéphane croit qu’à force de volonté il peut vaincre son homosexualité. Les deux personnages s’analysent et analysent leur partenaire. Chaque geste, le moindre signe de tendresse, la moindre parole sont pesés et soupesés, remis en question, replacés dans leur contexte plus large… Je choisis un peu au hasard : « Anne, reprit-il, même quand j’étais enfant, je n’ai jamais eu la foi. Et c’était aussi parce que je n’avais pas connu mon père. Dieu était quelque chose, ou quelqu’un, qui existait pour les autres, mais pas pour moi. Cependant, plus tard, si j’ai opté de continuer dans cette voie, c’est que je n’en suis pas resté à des motifs aussi subjectifs, mais que j’ai trouvé pour confirmer mon incrédulité de solides raisons. Je crois, dit-il avec conviction, qu’un homme sain peut et doit accepter ou rejeter lucidement, comme bon lui semble, l’héritage qu’il a reçu. »

Même si je ne suis pas friand de ce type de roman, je peux admettre que La fleur de peau est un exercice souvent brillant, souvent bien écrit, qui constitue un témoignage éclairant sur l’époque. Se découvrir homosexuel au début des années 60 n’était pas chose facile. Vivre sa sexualité en toute liberté constituait aussi un défi surtout pour ceux et celles qui avaient reçu une éducation puritaine.

Extrait
Unis, nous l’étions alors certes plus que par le frémissement de nos corps. D’ailleurs, ses mains, sa bouche, son sexe, tout habiles qu’ils fussent à l’érotisme, eussent-ils su parvenir ni sûrement jusqu’à mes désirs au cours de leur initiation, et moi, aurais-je si totalement correspondu à chacune de ses avances, l’aurais-je suivi si loin dans ce monde intérieur que créaient nos sensations au fur et à mesure que nos plongées l’un dans l’autre devenaient plus profondes, plus totales nos unions, si une coïncidence beaucoup plus parfaite et déliée que celle de nos corps ne nous eût fait rejoindre l’un dans l’autre les fibres par lesquelles nous nous étions indispensables, et impensable était la dissolution de nos vies qui, dès qu’elles avaient été mises en contact, s’étaient attirées comme deux aimants et comme eux s’étaient jointes par tous les pores de leur surface et tout leur magnétisme intérieur ... Agrippée à lui, ouverte à sa possession, à peine consciente de son nom et de son visage — celui qui allait si loin en moi, qui comblait exactement la place laissée vacante pour que le feu intérieur éclairât toute ma vie et tout out mon être, pouvait-il exister dans les limites si réduites d’un nom et d’un visage ? — je murmurais pourtant l’un et regardais l’autre, comme si j’avais voulu placer dans la mouvance de cette fluidité intérieure les bornes d’une réalité qu’il me serait possible ainsi plus tard de retracer et de rappeler...

Quant à cette virginité, elle ne fut ni une montagne ni même un obstacle. Elle se laissa assez docilement anéantir mais avant de s’évanouir définitivement dans une nuit des temps où j’avais hâte de la savoir perdue à jamais et d’en effacer même le souvenir, elle nous causa quelques embarras à sa façon. Et Stéphane dut s’interrompre une couple de fois, le temps de me laisser reprendre le fil un instant rompu par elle de mon désir... (p. 180-181)


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