Si je me fie à La
Flore laurentienne, il y aurait trois variétés d’osmonde au Québec :
l’osmonde royale, l’osmonde cannelle et la claytonie (chère à Miron). Pour le
commun des mortels, l’osmonde est une grande fougère. Il ne faut surtout pas se
fier au titre qui évoque une nature paisible (le sous-bois des fougères). Dans Osmonde, les fougères ont les allures
fantasmagoriques du cauchemar et le poète est un homme en colère.
L’amour est un thème qui traverse
le recueil : un amour tantôt douloureux, destructeur, scabreux; tantôt
refuge, abri, « sublimatoire ». Même quand il pointe des
« révolvers remplis d’amour » sur cette Inyassa qui l’a
abandonné (« Inyassa mon amour ecchymosé de ton absence »), le
poète continue à rechercher cet amour : « S’il advenait que je fisse
mourir / Inyassa dans un de mes poèmes / Coupez-moi la tête et portez-la sur
une croix à travers la ville ». L’amour est associé aux catastrophes
humanitaires : « L’amour sort des fours crématoires »
et : « Un flambeau nucléaire à l’intérieur d’une miche
amoureuse ». Pourtant, l’amour constitue une voie de libération,
d’exploration : « Chère Inyassa avec ses roses qui lui poussent sur
le crâne / Et son œil orphelin en cristal pétassé / De sa cuisse s’émane un
prisme de sentiments / Comme les yeux mélancoliques d’une vache / Étrangement
cruels quand les branches fouettent le ruisseau / Vie embrasée rature ardente /
Libération effervescente et translucide exploration / L’amour de la chair
fiévreuse / Mer salée des bordels célestes ». On le sait, la
représentation féminine (objet de contemplation, objet érotique, femme rêvée,
femme démoniaque) des surréalistes a souvent été critiquée. Ne peut-on pas lire
une déclaration d’amour dans l’extrait suivant? « Désir délire joie
jouissance / Amour possédé amour donné / Jouir faire jouir / Amour amour amour
/ Femme homme femme homme enfant / Amour-joie amour-folie amour-générosité /
Amouramouramour amour / Réciprocité des jours sans fin ».
Cette femme « Ruche-abbaye
de l’amour sublimatoire » ne peut rien contre les cauchemars récurrents,
le désordre psychique. « La vie et sa pestilence marbrée / Les plaies qui
muent / Les murs désossés de leurs charpentes. » Martino décrit à maintes
reprises un monde apocalyptique : « Au roulis délirant d’un tambour
meurtri / Les cris rauques de caillots des agonisants / Les vociférations
blasphématoires des désespérés / Les hurlements aigus des enfants
piétinés ». On nage en pleine paranoïa : « La nuit je suis
poursuivi par des M tentaculaires / Par des voix grises et rocailleuses / Et
des mots qui projettent de multiples ombres / L’âme découpée dans un faisceau
lunaire / Un vent d’ardoise traînant la mort à son flanc ». Il faut voir
plus que le thème romantique du poète rejeté dans les vers suivants :
« L’estomac du POÈTE vient d’éclater / La capsule / Un explosif à
retardement / Éventré par le génie d’un sadique inventif / Traînant son sang et
ses tripes sur la neige innocente ».
Le poète cherche des coupables et
s’attaque aux « domanistes » (« reptiles à attitude
humaine »), aux religieux (« Tas de fumier sous la neige »), aux
femmes (« Cent vierges à enfoncer qu’il me faut » ou
« Périphérie douloureuse qui fige les articulations »). Les métaphores
guerrières, les images de violences, de tortures, de supplices, de vengeance,
les évocations de la folie abondent. : « Encore un arrachement
de seins par un puma furieux / Ou un crabe géant qui vous étreint de ses serres
sur son ventre glacé ». On dirait un être coincé qui ne sait plus sur qui
frapper.
Martino est un épigone de
Gauvreau. Tout comme son maître, il invente des mots, sans aller aussi
loin : « supinataire, zoanthropique, empyème, nyctalopesurabiline,
richopathos, escarlophages ». Ce n’est pas la filiation de Gauvreau mais celle
d’Artaud qu’il revendique dans son recueil : « Quelle était cette
voix à ma fenêtre la nuit de mes vingt ans / C’était toi ANTONIN / C’était toi
ARTAUD / Dès cet instant mon esprit a fleuri à travers sa prison osseuse /
Comme des taches de soleil sur la neige sombre ».
On trouve beaucoup d’images percutantes
dans Osmonde. En voici quelques-unes :
« orgies sulfuriques, envol cidrique, plantes cosmogoniques, couilles de
l’arcadie, pestilence marbrée, latrines gloutonnes, pubis de satin chaud, corps
ignifuge, l’égoïne de l’hallucination octuple, émotions combustibles, haleine
équatoriale, souvenirs amiantes, l’ectoplasme amnésique, l’ozone
croustillant ». Pour terminer sur une note plus légère, je cite ce court
passage humoristique : « Une poule cannibale / Dans la végétation
prolixe / Couvait imperturbable / Un singe lunatique ».
Frontispice de Léon Bellefleur |
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