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14 octobre 2012

Les Montréalais



Andrée Maillet, Les Montréalais, Montréal, éd. du jour, 1963, 145 pages. (Les romanciers du jour R-7)

Le recueil contient cinq nouvelles. Les deux premières, soit « Les conspirateurs » et « Mœurs amoureuses de cinq Montréalais » forment une suite, puisque les mêmes personnages reviennent.

Dans « Les conspirateurs », on rencontre cinq intellos (syndicaliste, professeurs, journaliste, réalisateur de télé) qui se réunissent tous les jeudis dans un petit bistrot pour discuter du sort du monde. Ils seraient en quelque sorte l’exécutif d’une société secrète, le L. A. C. F., dont le champ d’intervention reste assez vague. On y discute de religion, de politique. On y parle d’action révolutionnaire, mais on ne fait qu’en parler. On propose des interventions, souvent loufoques, auxquelles personne ne se rallie.  « Les autres membres de la L.A.C.F. au nombre de deux cent vingt-quatre ont tous la satisfaction d'appartenir à une société secrète et l'assurance qu'ils contribuent utilement à un grand mouvement de libération intellectuelle. Leur cotisation leur donne droit à une séance clandestine de films non censurés, une fois par mois, à un discours bi-annuel de Jean-Gabriel Duquette, à une conférence sur le développement de la personnalité par Jean-Loup Reider une fois tous les deux mois, et à un bulletin annuel rédigé et publié par Jérémie Pélissier. C'est Ivanovski qui fournit et montre les films. »

Dans « Mœurs amoureuses de cinq Montréalais », on retrouve les mêmes personnages dans leur intimité. Ivanovski est un don juan de pacotille qui réussit à ramener chez lui une jeune fille mais ne réussit pas à coucher avec elle; Philéas Beauregard, malgré ses six enfants et les courbes de température de sa femme qu’il compile sur un graphique, réclame sa pitance sexuelle; Jean-Pierre Duquet est un jeune snob encore vierge qui perd complètement la tête pour une apprenti actrice chargée de lui faire perdre sa virginité; Jean-Loup Reider est un célibataire de 32 ans qui doit endurer l’emprise d’un oncle chanoine qui se mêle de sa vie sexuelle et qui veut le convertir à la religion catholique, condition essentielle s’il veut conserver son poste de professeur d’université; Jérémie Pélissier vient de divorcer de sa femme, une droguée qui se prostitue pour avoir son héroïne. Bref, nos « grands » révolutionnaires apparaissent tous comme de « petits » hommes.

Dans « Portrait de Mrs. Lynch », Maillet décrit une domestique, très digne malgré sa grande pauvreté.

Dans « Les Néo », on rencontre un groupe d’immigrés des pays de l’Est,  bien contents d’être au Canada, même s'ils n’arrêtent pas d’évoquer le pays perdu : « On était si bien. On avait chaud. Il n'existait plus que ces murs, ces barres, cette large glace, ce divan, ce vieux piano, ces coussins brillants, par terre. On parlait allemand ou russe, ou français-de-France, avec des phrases entières en roumain, Canadiens par choix, par chance, par hasard, parce qu'en dehors de sa patrie un pays en vaut un autre. Pourquoi pas le Canada 1 Le Canada parce que, ah, parce qu'on y parle français, parce que c'est grand, parce qu'on dit que c'est très riche, parce que c'est un pays qui n'a jamais fait de mal à un autre, parce que c'est loin, parce qu'il faut recommencer, revivre; renaître à vingt, à trente, à quarante ans. »

Andrée Maillet

Enfin, dans « La vue », on assiste à une scène de famille dans l’une des grandes maisons de Westmount. S’affrontent ceux et celles qui posent un regard paternaliste sur les Montréalais (les « indigènes ») et ceux qui n’ont que mépris (parce qu'eux, ils n’habitent pas Montréal, mais Westmont). La critique du milieu anglophone est virulente. 

Extrait
— Il y a des centaines de milliers d'êtres humains qui supportent notre maison, dit-il, presqu'à voix basse. Ils soupçonnent à peine notre existence. Ils ne peuvent même pas imaginer notre luxe. A travers cette feuillaison dorée, aux différents étages de la prospérité, ils sont là, tous aussi importants pour moi que moi pour eux tous. Je ne connais d'eux que leur labeur; ils ne savent de moi que mon argent. Et je voudrais que quelque chose de plus direct, de plus humain nous fasse communiquer. Mais quoi ? Sans eux tous, je ne verrais pas ce que je vois de ces fenêtres. Et pour cela, je suis leur obligé.
— Qui donc, sinon Harriet — sa sentimentalité ridicule — vous mine, Alfred ?
   L'argent n'a jamais fait le bonheur,  dit Miss White.
— Oh ! Whitey, soupira Lady Barton.  Faites-nous grâce de vos idées reçues.
— Ce n'est pas l'argent qui a fait mon bonheur, dit sir Alfred. C'est le pouvoir qu'il m'a donné. Encore qu'il soit inexact de parler de bonheur quand il s'agit de passion. La puissance est de plus, je devrais dire, surtout, une vocation. Elle doit être mise à l'épreuve comme toute vocation. Je suis bien sévère, ce soir, n'est-ce pas ? Je voulais simplement dire, pensant à Freddy, que si mes descendants veulent à leur tour partager ces privilèges qui reposent sur tant de monde, il faudra qu'ils descendent dans la ville et qu'ils aident à porter la montagne, notre maison et les autres maisons comme la nôtre qui ont une semblable vue du fleuve. (p. 144)

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