9 juillet 2012

Zirska immigrante inconnue


Jean-M. Carette, Zirska immigrante inconnue, Montréal, Serge Brousseau, 1947, 336 pages. (Préface de Rivein Ducault)

Jean Delande travaille comme rédacteur maritime au journal La Vérité. Il rend compte des arrivées et départs au port de Québec. Sans qu’on sache pourquoi, il surveille aussi les groupes communistes qui pourraient s'immiscer parmi  les immigrants qui débarquent au Canada. Il faut le préciser, beaucoup d’Européens arrivent à cette époque et la plupart font escale à Québec avant de se diriger vers l’Ouest. Delande et ses amis voient d’un mauvais œil cet afflux d’immigrants, recrutés sous de fausses représentations (une vie facile), pour peupler et coloniser l’Ouest canadien. On pense que le but caché, c’est de minoriser davantage les Canadiens français. 

Un jour débarque Zirska, une jeune Polonaise de 15 ans. Elle doit rejoindre un oncle qui n’est pas au rendez-vous. De concert avec l’abbé Paquin, Jean s’occupe de lui trouver un logement et un petit travail dans une pension de famille. Il tombe amoureux de cette fille qu’il nomme  « l’enfant » ou même « la fillette ». Lui-même a 21 ans. Elle l’aime aussi, mais elle lui apprend que, malgré ses 15 ans, elle est déjà fiancée à un compatriote, ingénieur minier : Freddy Groversky. Son amoureux étant on ne sait où, le curé la libère de sa promesse. Elle épouse Jean. Tout irait pour le mieux si Groversky n’apparaissait pas. C’est un homme jaloux et ombrageux. Pour mieux l’avoir à l’œil et lui faire entendre raison, Jean l’invite à fêter les 16 ans de sa jeune épouse. Il se présente et en profite pour empoisonner Zirska qui meurt dans les heures qui suivent. Groversky, plein de remords, avoue son crime et est condamné à la prison à vie.

Jean est dévasté, mais il se console rapidement. Jeannine Laurin, la sœur de son meilleur ami, est pour ainsi dire une sosie de Zirska. Il tombe amoureux d’elle et l’épouse un an plus tard. Entre-temps, il a perdu son travail de journaliste maritime et a décidé de fonder un hebdomadaire en Beauce. Dans le dernier chapitre, on apprend que sa petite entreprise prospère.

Est-ce vraiment un roman? Tout le laisse croire jusqu’à ce qu’on  tombe sur une photo de Jean Delande à la page 97. Pourtant, le préfacier le présente comme un roman et nous raconte les circonstances de son écriture : « … bien que mordu par la maladie, l’auteur  a limé ces pages à coups de persévérance, dans une chaise roulante. » 

En plus de l’histoire sentimentale qui nous laisse souvent pantois, Carette, lui-même journaliste, raconte les misères de sa profession, soit les bas salaires, mais aussi l’embrigadement dont ils sont victimes : 

« Et réalises-tu, mon cher Laurin, que nous ne pouvons même pas défendre nos idées, notre politique, enfin notre manière à nous, d'envisager les problèmes? Non, c'est l'opinion du patron. Combien de fois, j'ai écrit des articles pour protester contre les mauvais immigrants qu'on nous a amenés au pays. Jamais une seule protestation n'a trouvé place dans le "journal". Mes articles n'ont pas dépassé le bureau du chef des nouvelles. De plus, ces critiques dont le patron a eu vent ne le disposent pas en ma faveur. Sans raisonnement, il faut savoir se courber en face d'un gouvernement qui représente la force, ou un parti, enfin. Et le moyen à notre disposition pour nous affranchir est paralysé par la finance. Fonder un quotidien publié par une association de journalistes et de typographes! L'idée est bien belle, mais la finance qui est à la base de cette entreprise manque à tous et tu sais comment.
"Pour ma part, je songe, oh! je ne sais comment, à publier un hebdomadaire où je pourrais écrire mon opinion, défendre les causes que je crois bonnes, protester contre les scandales comme ceux que j'ai vus au port, et encourager les mouvements qui méritent de l'être.
— Ainsi, dit Laurin, as-tu songé dans quel cercle vicieux nous sommes? À Trois-Rivières, à Sherbrooke et à Québec, c'est le même magnat qui contrôle les journaux. De l'est à l'ouest, il faut chanter avec lui les gloires du gouvernement ou critiquer les gouvernements qui lui déplaisent. Va à Montréal. Le plus grand quotidien français est encore entre les mains d'un magnat et si tu veux choisir le second sur la liste, eh ! bien, tu t'aperçois que c'est le même conseil d'administration qui a Ie contrôle. Comment veux-tu sortir d'une telle impasse? » (p. 168-169)

La presse québécoise des origines à nos jours (Volume 6, pages 251 à 253) retrace en partie la carrière journalistique de Carette.

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