LIVRES À VENDRE

18 janvier 2012

Totems

Gilles Hénault, Totems, Montréal, Éditions Erta, 1953, s.p. (28 pages) (Collection de la Tête armée no 1) (Couverture et trois planches illustrées d’Albert Dumouchel)

Voici le premier recueil de la célèbre collection « La Tête armée » qui va réunir typographes, graveurs et poètes sur le modèle des Cahiers de la file indienne. Six titres vont paraître dans ce qui est la première collection consacrée exclusivement à la poésie. Pour vendre les recueils, on va procéder par souscription, comme le fera aussi l’Hexagone. Roland Giguère en sera l’âme dirigeante et plus encore, puisque Les Armes blanches deviendra le deuxième recueil de la collection.  

Totems est une mince plaquette qui ne contient que 12 poèmes.  Le titre évoque les origines d’un groupe humain, son fondement, son parcours,  en quelque sorte ce qui l’a formé, ce qui le définit, ce qui maintient sa cohésion.


Petite genèse apocryphe (dédié à Roland Giguère)
Suite poétique composée de 12 strophes. Sur le mode de l’humour et de la dérision, Hénault refait le récit de la genèse. Dans un premier temps, Adam et Ève sont chassés du paradis terrestre par un Dieu théâtral, vengeur, plus préoccupé par son costume et « la confiture aux pommes » que par ses enfants, les hommes et les femmes livrés au mal désormais. Dans un deuxième temps, à l’ombre du totem, l’homme se reconstruit, retrouve l’espoir qui fait vivre, capable d’affronter le « désert de soif et de sable » et de refaire de la terre un lieu habitable. « La terre balance / ses flancs d’abondance /… / Les moissons se pâme / quand le vent les peigne »

Temps des aurores du temps
Le passé préhistorique est décrit comme le temps de référence, celui « du bonheur fossile ». Ce bonheur primordial est perdu quand les tomahawks, les tam-tams, les tambours et les marteaux « assourdiss[ent la source éclatante du silence ». Comment retrouver la paix quand le « désespoir est un mensonge aux mille masques » ?

Avec le feu, avec le vin
Il décrit un pays sans le nommer, là tout près, mais inaccessible. Mais est-ce vraiment un pays, cette « barque sans oriflamme »? L’inspiration, la poésie, une femme? Ce sont les mots qui font obstacle, qui sèment consternation et froid : « Et les mots seuls nous séparaient / Niagara tonnant dans le vide / Neige évanescente / pont de glace au-dessus de l’aurore ». Encore une fois, obligation de retourner en amont pour « prendre racine dans le terreau ».

Enfance
Toujours le monde qui fuit, qui échappe, ici l’enfance, son enfance, mais aussi celle de l’humanité.

Chanson des mégots
Chanson surréaliste, avec refrain. On a l’impression qu’il s’agit d’une femme, d’une perte amoureuse, mais rien n’est moins sûr. En fait, celle qui part n’apporte rien, même sa fuite se dissout dans un vague qui la rend douteuse. « Elle est partie sans ses poissons dorés au cœur de cerise / Sans le rayon des jours sans pluie / sans le manteau de bruit que tisse le passage des trains ». Elle laisse derrière elle, surtout un grand désordre, dont des mégots. « Et la dernière journée elle partit / en laissant ses mégots / en laissant un éventail de frasques incomprises / ses cheveux aux serrures / ses empreintes digitales au plafond / ses colères éclatées / par où entre le vent des futures années ».

Gaspésie
« Les mains coupées sont bien le pire des mutismes ». Retour à la mer, aux origines. « Ce n’est pas tout de dire / il faut toucher ».

Feu sur la bête-angoisse
Même si « la révolte est la vague la plus haute », « l’homme se souvient de l’enfant qu’il a ». Concilier l’engagement social et la présence auprès des siens, le futur idéalisé et la vie présente.

Défense de toucher
Reprend la thématique de « Gaspésie ». La main et les mots, le faire et le dire. « Les mots ne sont rien ». Pour le poète, « les mains savent bien plus / que les mots ».

On tourne
Le mince espace entre la misère et la violence : « Le vide est plein d’épines / Et sous les feux croisés / La nuit pleine d’épées. »

Un homme à la mer
La peine d’amour, le désespoir amoureux, le deuil, la tromperie, la moquerie. « La beauté des femmes est effrayante ».

L’enfant prodigue
De l’enfance perdue. Le travailleur est asservi par son travail, tout à ses occupations, privé de sa vie, aliéné.  « L’homme rivé à son travail qui est de river toute la journée ». Élément théâtral.

Je te salue
Poème d’anthologie, surtout les deux premières parties. Malgré toutes les spoliations dont ils ont été victimes, les Autochtones nous ont laissé leurs « espoirs totémiques ». Forts de cette impulsion spirituelle, les « Visages-Pâles » ont construit un pays à la mesure de leurs rêves. « Pays casqué de glaces polaires / Auréolé d’aurores boréales / Et tendant aux générations futures / L’étincelante gerbe de tes feux d’uranium ».

Ce qui me frappe d’abord dans le recueil, c’est la diversité dans la manière et dans l’inspiration. Certains poèmes flirtent avec le surréalisme (Chanson du mégot), d’autres utilisent un langage presque quotidien (Défense de toucher). Comme si Hénault voulait parler aussi bien à l’intellectuel et à l’esthète qu’au simple ouvrier. Certains poèmes semblent très personnels (Feu sur la bête-angoisse, Un homme à la mer), d’autres sont d’inspiration sociale (On tourne, L’enfant prodigue), d’autres plus ethnologique (Je te salue) ou même esthétique (Défense de toucher). Dans tous ces poèmes, il y a la recherche des origines, d’un bonheur ancien, celui de l’enfance, des premiers temps de l’humanité, loin des mensonges et du bruit de la vie contemporaine.

Lire : Un jour on va revenir à la poésie, entrevue accordée à Paul Chamberland


LA CHANSON DES MÉGOTS

Elle est partie en laissant ses mégots.
Eh ! pourquoi pas, le feu est sans histoire
Et l'art de bien fumer pare les continents.
Qu'en dites-vous, lutins des magiques journées ?
Ces temps sont révolus parce que l'âme clame en toi
la floraison des voyages délétères.

II

Elle est partie en laissant ses mégots.
Transparente est la fuite des voilures lisses
au bord d'un horizon mémorial
où la rame indéfiniment rature les vagues du rêve.
Elle est partie sans ses poissons dorés au cœur de cerise
sans le rayon des jours sans pluie
sans le manteau de bruit que tisse le passage des trains
sans le petit chaperon rouge des soleils en-allés
sans l'ourson assis dans la désolation du déluge.

III

Elle est partie sens devant derrière
sa jeunesse décousue
en laissant le poisson comme un fruit.
Le couteau est moins aigu qu'un éclat de rire
La face convulsée est un écran très lumineux
La première journée, elle avait fait couler une source de ses cheveux
Qu'il t'en souvienne
La deuxième journée fut celle de l'amour sans nuages dans les îles de l'été
Et les autres journées furent les journées-caravane
Les orients pâlissaient devant le monstre bicéphale
Et la dernière journée elle partit
en laissant ses mégots
en laissant son éventail de frasques incomprises
Ses cheveux aux serrures
Ses empreintes digitales au plafond
Ses colères éclatées
par où entre le vent des futures années.


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