LIVRES À VENDRE

19 mars 2009

Trouées dans les novales

Jules Tremblay, Trouées dans les novales, Ottawa, Imprimerie Beauregard, 1921, 261 pages.

NOVALES : «Terre nouvellement défrichée et mise en valeur. Il a défriché cette terre et l'a mise en novale. Les curés avaient droit de dîme sur les novales. NOVALES, au pluriel, signifie aussi, La dîme que les curés levaient sur les novales. Les novales et les vertes dîmes.» (Dicoplus)


Ce recueil fut publié en 1921, mais les nouvelles qu’il contient s’échelonnent de 1906 à 1921. L’auteur aborde plusieurs genres : récits de Noël, récits à la « Adjutor Rivard », récits du terroir, conte animalier, récits fantastiques. Tout cela est inégal. Disons que trop souvent Tremblay tombe dans une préciosité du langage qui débouche sur un embrouillamini : « Le vent, par brusques ressauts, enlève en tourbillons des nuages lourds de flocons cristallisés, fermant l'horizon à vingt pas comme d'un voile opaque aux luminosités albescentes. Les balises traçant la route sont dé-verticalisées par leur fardeau d'ouate opaline. Les bouquets de persistants sont visibles à peine, tant la bourrasque a posé sur leurs rameaux panachés d'aiguilles, des pelotons irisés où se jouent les lueurs de la clarté naissante. Les conifères sont matelassés de givre, se heurtent sans bruit.» (p. 229) Quand il évite ce défaut, l’auteur se rapproche de Marie-Victorin et de Lionel Groulx qui furent sans doute ses maîtres, pour ce qui est de ses nouvelles plus récentes du moins. Enfin, disons que Tremblay traite certains sujets avec humour, ce qui n’est pas à dédaigner dans ce type d’écrit.


Le Père Patentane
Le père Patentane débarque sans avertissement dans une paroisse de colonisation des Cantons-de-l’est. Il arrive du sud de la France et il voue un culte à un saint, Saint-Gérard-de-Provence. Il traîne même quelques-uns de ses ossements dans un reliquaire. Il voudrait que ses nouveaux paroissiens partagent son prosélytisme et est sur le point d’y arriver quand un chien, détaché par on ne sait qui, s’empare des ossements sans qu’on ne puisse le rattraper. Le père Patentane, ulcéré, repart comme il était venu.

Une guignolée
René, Bébé et Le Frais passent la guignolée. Leur ronde est joyeuse jusqu’à ce qu’il entre dans une maison qui incarne la pauvreté. Touchés, ils décident de partager sur le champ une partie de leur récolte.

Convoi fantôme
Lors d’une tempête, un télégraphiste, qui est aussi chef de gare dans une petite station perdue du Montana, décode dans le bruit que fait la grêle sur la vitre un message qui l’avertit que deux de ses copains ont eu un accident. Le train rentre pourtant au quai et ses copains en descendent, mais, bientôt, cette vision s’évanouit. Le télégraphiste aurait cru rêvé, n’eût été de ses mains tachées de sang.

Retour au vieux temps
Un récit à la « Adjutor Rivard ». Des citadins se rendent à la campagne pour visiter un vieillard. Tremblay décrit la campagne environnante, le pont couvert, la forge, la ferme et ses dépendances.

La poule noire
Pitro est un paresseux. Pour de l’argent, il est prêt à vendre son âme à Lucifer. Le Grand Albert lui fournit la recette pour y parvenir. Entre autres, il doit sacrifier une poule noire. En pleine nuit, il en vole une (en fait, c’est un coq!) et se rend en pleine forêt avec son larcin. Les villageois, au courant de ses projets, cachés dans le bois, au paroxysme de la cérémonie, crient comme des démons et lui font un sabbat d’enfer.

Les voix mortes
Pitou est amoureux de sa cousine. Comme la mère de Pitou est très malade, c'est la cousine qui tient maison. Comme chacun le sait, un mariage entre germains est défendu par l’église. La mère, avant de trépasser, exige leur séparation.

Les significations
Tildé aime Toine, qui aime La Toune, qui aime Pit, qui aime Tildé. Le temps d’une chanson et d’un quadrille, leurs parents et amis réussiront à assortir les amoureux.

La mort de Kéké
Kéké est un veau de race, le plus beau de la ferme. Un jour il remarque des canards Pékins qui s’ébattent dans la rivière. Kéké se met à les envier. Il réussit à gagner leur amitié. Un jour, il part en excursion avec eux sur la rivière. Malheureusement il ne sait pas, comme les canards, transiger avec les remous.

La dette
Un pêcheur de Terre-Neuve, accouru sur les lieux d’un naufrage, est sauvé in extremis quand un naufragé s’agrippe à lui. Mais son esprit en reste ébranlé. Sa fiancée, à force d’attentions, réussit à le ramener à la raison. Quelques années plus tard, lors d’une forte tempête, voyant sur la mer un naufrage imaginaire, le pêcheur étouffe sa femme qui essaie de le retenir et s’aventure sur la mer déchainée.

Saintes langues
La Vipère, une commère particulièrement méchante, après avoir confessé ses calomnies, attend le curé pour lui raconter des méchancetés sur une voisine nommée La Tourte. Le curé, dépité, la met à la porte. Frustrée, la Vipère s’en va trouver la voisine pour lui parler des liens scabreux que le curé entretient avec La Tourte.

Bidou se fâche
Bidou est un pêcheur au collet. Installé sur un pont, il surveille une grosse carpe et, après des heures de patience, réussit à la saisir et à la hisser sur le pont. Mal lui en prend, puisque le mouvement brusque pour agripper le poisson le projette dans la rivière. Les remous le menacent. Comme il n’a pas lâché le fil qui retenait le filet, fil que la carpe en se débattant a enroulé autour d’un boulon, il réussit à remonter le courant et à se hisser sur le pont. Il libère la carpe.

Dans la tempête
Un prêtre et quatre enfants se rendent, en pleine tempête hivernale, dans une ferme pour quérir le corps d’un enfant mort.

Le dîner du Curé

Un saint curé offre les victuailles, dont les paroissiens lui font cadeau, aux plus démunis.

Le petit chantre
Petit Paul, un enfant qui égaye de sa voix d’or les officies dominicaux, est devenu muet à la suite d’une maladie. Le soir de Noël, implorant la vierge de la crèche, l’enfant retrouve sa voix à la grande joie des paroissiens.

Extrait de « La poule noire »
Pitro avait appris par cœur les incantations traditionnelles avec l'aide de Salvaye, mais sa mémoire, sans doute, lui faisait défaut, et comme pour lui les paroles mystérieuses n'avaient aucun sens humain, il les dénaturait d'une façon qui pouvait déconcerter le Diable lui-même, et tous les sous-diables dont le métier est d'acheter au croisement des sentiers paludéens, à minuit, par les vendredis soirs de la lune nouvelle, des poules noires volées dans l'obscurité chez une veuve dont le mari est mort depuis sept ans.
—Saudit! Mardi! Bacatèche de sincibor vilimeux! Roi du fer, veux-tu ma Poule Noire?
Quatre fois la question étrange sonna sur les aulnaies, passa sur la mare, au milieu du silence lugubre et rempli de ténèbres : quatre fois elle fut jetée, à chaque arrêt de Pitro vers l'un des quatre points cardinaux.
Au quatrième appel, et sans attendre la réponse, Pitro tordit le cou à sa volaille, prit la carcasse dans la main gauche, la fit par trois fois tourner au-dessus de sa tête, et finalement la lança aussi loin derrière lui que ses forces le lui permettaient.
Deux secondes après, un choc lourd retentit dans la mare.
Au même moment, comme par l'effet prestigieux des paroles cabalistiques prononcées, les ouaouarons, les grenouilles, les crapauds, les couleuvres dans la mare et les trous d'eau, les chouettes, les hiboux et les nocturnes de toutes espèces sur les rameaux et les hautes souches, réveillés de leur quiétude, se mirent à siffler, à hululer, à crier. Ce fut un tintamarre étourdissant. Des ailes battirent. Des frôlements touchèrent les joncs, des formes vagues glissèrent en agitant les nénuphars, rampèrent autour de Pitro fou de terreur.
Le mouvement de la gent palustre, surprise par la chute insolite d'un corps étranger dans son refuge, fit dégager des bulles d'air phosphorescentes; il s’éleva des vapeurs fantomatiques qui, aux yeux de Pitro, prirent des aspects épouvantables, des contours infernaux. Il ne douta pas le moins du monde que le Diable allait lui apparaître, et il se prostra sur le sol, face dans la boue, mais conservant quand même assez de sang-froid pour poser la question d'usage :
—Es-tu là, Satan? (p. 129-131)

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