Honoré Beaugrand, Jeanne la fileuse, Fall River, Fiske and Munroe, 1878, 301 pages. Ce roman a aussi été publié en 1888 aux éditions de La Patrie.
Beaugrand raconte l’histoire de deux familles : les Montépel et les Girard. En 1837, la famille Montépel a pris parti pour l’occupant britannique. Les Girard, qui se sont engagés du côté des patriotes et ont été dénoncés par les Montépel.
L’action proprement dite du roman débute en 1875. Aujourd’hui, les Montépel sont riches. Ils ont toujours les mêmes idées politiques. Mais leur fils unique, Pierre, est indépendant et ne partage pas les idées du père. Les Girard sont pauvres. Jules et Jeanne, leurs deux enfants, s’engagent à faire les récoltes chez Montépel, sans savoir qu’il est leur ennemi héréditaire, et deviennent amis de Pierre. Plus encore celui-ci s’éprend de Jeanne. Lui aussi ignore les événements de 37 et la trahison de son père. Pierre demande la main de Jeanne. Le vieux Girard, très malade, accepte. Montépel, père, refuse.
Pierre, désireux de gagner son indépendance et d’épouser Jeanne, part pour les chantiers avec son futur beau-frère. Ils abandonnent Jeanne et son père malade, qui meurt. Jeanne se trouve seule et n’a plus d’argent. Elle se joint à la famille Dupuis qui part pour Fall River, Mass. Elle travaille dans une filature. Les deux compères finissent par revenir des chantiers. Durant leur voyage aux États-Unis pour retrouver Jeanne, ils apprennent que la filature a brûlé, que beaucoup d’ouvriers ont péri. Jeanne a été blessée.
Les parents Montépel, abandonnés par leur fils, doivent revoir leurs positions. Ils acceptent qu'il épouse Jeanne. Pierre et Jeanne rentrent au Canada et Pierre reprend la ferme. Quant à Jules, il épouse la fille du bienfaiteur de Jeanne et s’installe aux États-Unis.
Quant à moi, ce roman est l’un des meilleurs du XIXe siècle. Notre histoire littéraire ne l’a pas retenu (Camille Roy, Samuel Baillargeon, Bessette, Geslin et Parent ne le mentionnent même pas) parce qu’il allait à l’encontre de la politique officielle qui visait à contrer l’émigration en faisant appel au patriotisme sinon à la religion. Beaugrand était d’accord qu’il fallait contrer l’émigration, mais il déplorait le moyen utilisé. Pour lui, il fallait s’attaquer au vrai problème: les Canadiens français étaient pauvres et on devait leur donner un moyen de gagner dignement leur vie. Beaugrand, un globe trotter dont la vie est déjà un roman, a vécu à Fall River. Il y a même fondé un journal. Il essaie de montrer que les ouvriers aux États-Unis s’en sortent bien, du moins mieux que les paysans canadiens-français. Sans doute espérait-il qu’on développe l’industrie, qu’il puisse y avoir d’autres débouchés que l’agriculture pour les Canadiens français. C’est un roman à thèse (voir les extraits) qui a le mérite de proposer une vision différente. Pour expliquer le silence autour de Beaugrand, il faut aussi dire qu’il était un franc-maçon déclaré. ***½
Extraits
« Un mouvement d'émigration peut-être sans exemple dans l'histoire des peuples civilisés, s'est produit, depuis quelques années, dans les campagnes du Canada français. Des milliers de familles ont pris la route de l'exil, poussées comme par un pouvoir fatal vers les ateliers industriels de la grande république américaine. Quelques hommes d'état ont élevé la voix pour signaler ce danger nouveau pour la prospérité du pays, mais ces appels sont restés sans échos et l'émigration a continué son œuvre de dépeuplement. On prétend que plus de cinq cent mille Canadiens français habitent aujourd'hui les États-Unis; c'est-à-dire plus d'un tiers du nombre total des membres de la race franco-canadienne en Amérique. Si ces chiffres sont corrects, et il est à peine permis d'en douter, il est facile de comprendre les effets désastreux de ce départ en masse de ses habitants, sur la prospérité matérielle du pays, et sur l'influence de la nationalité française dans la nouvelle confédération. » (p. 165)
« L'émigrant franco-canadien vient donc et demeure aux États-Unis, parce qu'il y gagne sa vie avec plus de facilité qu'au Canada. Voilà la vérité dans toute sa simplicité. Ce n'est pas en criant famine à la porte de celui qui a du pain sur sa table et de l'argent dans sa bourse, qu'on le décide à prendre la route de l'exil. » (p. 173)
« Ce n'est pas le manque de patriotisme qui pousse l'émigrant canadien vers les États-Unis; ce n'est pas l'amour exagéré des richesses ni l'appât d'un gain énorme; c'est une raison qui prime toutes celles-là: c'est le besoin, l'inexorable besoin d'avoir chaque jour sur la table le morceau de pain nécessaire pour nourrir sa famille; et c'est vers le pays qui fournit du travail à l'ouvrier que se dirige naturellement celui qui ne demande qu'à travailler pour gagner honnêtement un salaire raisonnable qui lui permette de vivre sans demander l'aumône. » (p. 202)
Beaugrand raconte l’histoire de deux familles : les Montépel et les Girard. En 1837, la famille Montépel a pris parti pour l’occupant britannique. Les Girard, qui se sont engagés du côté des patriotes et ont été dénoncés par les Montépel.
L’action proprement dite du roman débute en 1875. Aujourd’hui, les Montépel sont riches. Ils ont toujours les mêmes idées politiques. Mais leur fils unique, Pierre, est indépendant et ne partage pas les idées du père. Les Girard sont pauvres. Jules et Jeanne, leurs deux enfants, s’engagent à faire les récoltes chez Montépel, sans savoir qu’il est leur ennemi héréditaire, et deviennent amis de Pierre. Plus encore celui-ci s’éprend de Jeanne. Lui aussi ignore les événements de 37 et la trahison de son père. Pierre demande la main de Jeanne. Le vieux Girard, très malade, accepte. Montépel, père, refuse.
Pierre, désireux de gagner son indépendance et d’épouser Jeanne, part pour les chantiers avec son futur beau-frère. Ils abandonnent Jeanne et son père malade, qui meurt. Jeanne se trouve seule et n’a plus d’argent. Elle se joint à la famille Dupuis qui part pour Fall River, Mass. Elle travaille dans une filature. Les deux compères finissent par revenir des chantiers. Durant leur voyage aux États-Unis pour retrouver Jeanne, ils apprennent que la filature a brûlé, que beaucoup d’ouvriers ont péri. Jeanne a été blessée.
Les parents Montépel, abandonnés par leur fils, doivent revoir leurs positions. Ils acceptent qu'il épouse Jeanne. Pierre et Jeanne rentrent au Canada et Pierre reprend la ferme. Quant à Jules, il épouse la fille du bienfaiteur de Jeanne et s’installe aux États-Unis.
Éditions La Patrie, 1888 |
Extraits
« Un mouvement d'émigration peut-être sans exemple dans l'histoire des peuples civilisés, s'est produit, depuis quelques années, dans les campagnes du Canada français. Des milliers de familles ont pris la route de l'exil, poussées comme par un pouvoir fatal vers les ateliers industriels de la grande république américaine. Quelques hommes d'état ont élevé la voix pour signaler ce danger nouveau pour la prospérité du pays, mais ces appels sont restés sans échos et l'émigration a continué son œuvre de dépeuplement. On prétend que plus de cinq cent mille Canadiens français habitent aujourd'hui les États-Unis; c'est-à-dire plus d'un tiers du nombre total des membres de la race franco-canadienne en Amérique. Si ces chiffres sont corrects, et il est à peine permis d'en douter, il est facile de comprendre les effets désastreux de ce départ en masse de ses habitants, sur la prospérité matérielle du pays, et sur l'influence de la nationalité française dans la nouvelle confédération. » (p. 165)
« L'émigrant franco-canadien vient donc et demeure aux États-Unis, parce qu'il y gagne sa vie avec plus de facilité qu'au Canada. Voilà la vérité dans toute sa simplicité. Ce n'est pas en criant famine à la porte de celui qui a du pain sur sa table et de l'argent dans sa bourse, qu'on le décide à prendre la route de l'exil. » (p. 173)
« Ce n'est pas le manque de patriotisme qui pousse l'émigrant canadien vers les États-Unis; ce n'est pas l'amour exagéré des richesses ni l'appât d'un gain énorme; c'est une raison qui prime toutes celles-là: c'est le besoin, l'inexorable besoin d'avoir chaque jour sur la table le morceau de pain nécessaire pour nourrir sa famille; et c'est vers le pays qui fournit du travail à l'ouvrier que se dirige naturellement celui qui ne demande qu'à travailler pour gagner honnêtement un salaire raisonnable qui lui permette de vivre sans demander l'aumône. » (p. 202)
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