Gabrielle Roy, La rivière sans repos, Montréal, Beauchemin, 1971, 315 p.
En 1961, Gabrielle Roy, à l’invitation d’un ami, passe quelque temps à Fort-Chimo. Elle en tire un récit : « Voyage en Ungava ». Il semblerait qu’on lui a raconté l’histoire d’un enfant métis aux cheveux bouclés. En 1942, les Forces armées américaines avaient établi une base à Kuujjuaq (Fort-Chimo).
Elsa, une jeune Inuit, retournant chez
elle après une soirée au cinéma, est entraînée dans un bosquet par un G.I. qui
la viole. Enceinte, elle et ses parents refusent d’en faire un drame. Seul le pasteur cherche l’identité du coupable. Elle met au monde un petit garçon blond bouclé,
aux yeux pâles, qui devient l’attraction de la communauté autochtone. Elsa ne
vit que pour cet enfant nommé Jimmy. Elle s’engage chez la femme du policier, découvre
le luxe et en vient à détester son milieu familial. Toutes ses payes sont
dépensées à la Baie d’Hudon pour faire de son Jimmy un petit roi. Le pasteur
lui fait comprendre que ce n’est pas la meilleure façon de l’éduquer, qu’il
faut l’attacher à ses racines. Par crainte de le perdre, elle quitte sa famille
et Fort-Chimo et rejoint un vieil oncle qui vit en solitaire. L’enfant adore
cette vie à l’ancienne. Quelques années passent, Jimmy étant malade, elle
revient, s’installe à Fort-Chimo avec les Blancs et travaille comme une
forcenée pour que Jimmy ait tout ce que possèdent ses nouveaux amis. Un jour, il commence
à poser des questions car, physiquement, il ne ressemble en rien à un Inuit. Sa
mère lui sert une version romancée de sa rencontre avec le G.I. L’adolescent n’a
plus qu’une idée : fuir, rejoindre les U.S.A. Il se faufile dans l’avion
qui dessert Fort-Chimo. Sa mère ne le reverra plus et se contentera de vivoter
pour le reste de ses jours.
L’histoire est double. Il y a d’abord
celle, cruelle, de cette mère qui s’est consacrée corps et âme à un enfant, comme
si le fait qu’il ait les traits d’un Blanc exigeait qu’elle sacrifie tout pour
son « petit dieu ». Il y a aussi celle du peuple inuit qui végète, dans
un monde qui fait d’eux des étrangers.
Elsa, qui s’est frottée aux deux
cultures, n’a trouvé sa place ni dans l’une ni dans l’autre. Elle est victime
d’un viol et d’une civilisation qui lui a tout pris. Elle est devenue une
zombie culturelle. Je ne crois pas qu’on puisse dire que le roman inclut un « dialogue »
entre deux civilisations, comme le prétend la quatrième de couverture chez
Boréal.
Depuis toujours, Gabrielle Roy raconte
bien, sait créer des personnages complexes, expliquer leurs rêves et leurs
déconvenues.
Extrait
(fin)
À
moitié édentée, le dos pareil à l'arc tendu, la paupière droite plissée,
inséparable de la fumée de
cigarette, elle suivait en tout temps les bords de la sauvage Koksoak. Aux yeux
des siens pourtant peu portés à rester eux-mêmes au logis, elle passait pour
une incorrigible nomade ; presque jamais on ne la trouvait chez elle.
Mais,
plutôt, à travers le poudroiement fin et lumineux de la neige au soleil, ou en
lutte contre les grandes bourrasques, on apercevait la maigre silhouette en
marche, vent devant ou vent derrière.
Quand
revenait l'été, on la revoyait, un peu plus usée, un peu plus courbée, passer
au bord du ciel profond, parallèlement à la chaîne lointaine des vieilles
montagnes les plus rabotées de la terre.
Au
crépuscule, il lui arrivait de suspendre son interminable marche. Elle
s'attardait. Elle regardait encore longuement le monde à l'heure de son
enchantement. Puis elle se penchait pour ramasser des riens : un galet au
reflet bleuté; un œuf d'oiseau; ou de ces filaments de plante, fins, blonds et
soyeux comme des cheveux d'enfant, qui sont faits pour porter au loin des
graines voyageuses.
Elle
les détachait brin à brin et soufflait dessus, son visage abîmé tout souriant
de les voir monter et se répandre dans le soir.
Le roman est précédé de trois nouvelles « esquimaudes ».
Les satellites -- Deborah va mourir. Elle a une tumeur. Elle est transportée en hélicoptère dans un hôpital du Sud.
Le téléphone -- Barnaby vient d’acquérir un téléphone...
Le fauteuil roulant -- Une société de bienfaisance, ayant entendu dire qu’un chasseur était devenu paraplégique, lui fait livrer un fauteuil roulant.
Bonheur d’occasion
La Petite Poule d’eau
Alexandre Chenevert
Rue Deschambault