25 mai 2025

Élégie au génocide des nasopodes

Michel Garneau, Élégie au génocide des nasopodes, Montréal, VLB, 1979, 63 pages. Illustrations de Maureen Maxwell (1ère édition : éditions de l'Aurore, 1974)

Je n’ai jamais vu l’original, mais je suppose que ce doit être un très beau livre, car celui « grand public » de 1979 l’est aussi. Les illustrations de Maureen Maxwell sont magnifiques; le papier et la dimension du livre le servent bien aussi.

Résume-t-on un tel livre? Est-ce même possible? Voici le début :

« en ces temps d’écologie, il faut le dire. / dans les années mil huit cent cinquante, le professeur harrald stumke / découvrit une île peuplée uniquement d'une grande et merveilleuse famille d’animaux, / les nasopodes ou rhinogrades.

cette famille, inconnue, parce que inexistante, dans le reste du monde, put être observée pendant quelques années.

le professeur nomma ces créatures nasopodes ou rhinogrades afin de faire savoir à tous qu’étonnamment ces merveilleux animaux marchaient tous sur leurs nez. »

Garneau a donné une entrevue à Martial Dasylva, « Déguiser des poèmes en pièces de théâtre » dans La Presse 26 avril 1980 p. 1 et 6.

« C'est l'affaire la moins préméditée que j'ai faite, dans ma vie, les Nasopodes. Mon ami Serge Deyglun m'avait passé un livre qui est un canular, publié par de jeunes savants français, un livre qui avait toutes les apparences d'un livre scientifique sur les Nasopodes ou les rhinogrades, qui ont cette particularité de marcher sur leur nez.

« C'est un très beau canular, extrêmement bien fait, avec des gravures, des statistiques, la nomenclature latine, tout ça. C'est très rare comme livre.

« Un beau jour, je téléphone à Serge pour lui demander s'il allait être chez lui le lendemain après-midi afin que je lui rapporte son livre.

« Le lendemain matin, en prenant mon café, je m'étais dit: « Je vais lui écrire un petit mot de remerciement ». J'ai écrit les Nasopodes. Sans aucune préméditation. J'ai commencé et ça s'est vraiment tout enchaîné dans la matinée. Je pense que par après j'ai changé trois mots ou vérifié l'orthographe de quelques expressions. C'est tout.

« C’est un texte absolument pas prémédité. C'est le lyrisme matinal qui m'a pogné. Dans mes affaires à moi, c'est très rare que ça fonctionne comme ça. »

« C'est un texte extrêmement délirant qui raconte en fait la réaction de beaucoup d'animaux de la terre à leur prise de connaissance, instinctive bien sûr, du fait que la race des Nasopodes est disparue à cause d'un geste malencontreux des humains. Alors tous les animaux de la terre, sentant la disparition d'une race entière d'animaux merveilleux manifestent leur désarroi, leur désespoir. »

« C'est aussi une espèce de délire stylistique. C'est écrit dans une langue très baroque. Ça, c'est juste le fun qui m'a poigné en écrivant. Et puis je pense que c'est spectaculaire, d'une certaine façon. En soi c'est un texte-spectacle, surtout pour ceux qui ont de l'imagination. »

Le texte a été joué sur scène. Sur la BAnQ, on trouve une photocopie du programme :

« Tout à la fois magique, fabuleux, burlesque, fantastique, éclatant comme un rot biblique, époustouflant comme une partie de fesses, quotidien comme une goutte de sueur qui suit lentement son cours de la gorge au nombril de l'aimée, shakespearien à la façon du Songe d'une nuit d'été, poilu comme un fauve en rut, tendre comme un sourire énigmatique, NASOPODES ET AUTRES BETES MERVEILLEUSES ne se veut rien de plus que l'évocation de cet instant unique que tous les amants du monde reconnaîtront: quand l'ombre tamisé du silence se remplit tout à coup du doux gémissement de toutes les bêtes de la création qui rendent hommage au Dieu Pan en même temps. » Nasapodes et autres bêtes merveilleuses, un bestiaire fabuleux de Michel Garneau, mise-en-scène, Roger Blay, Montréal, Théâtre d'aujourd'hui,1980, Programmes de spectacles,1 feuille pliée.


 

17 mai 2025

Les petits chevals amoureux

Michel Garneau, Les petits chevals amoureux, Montréal, VLB éditeur, 1977, n. p.

Il y a chez Michel Garneau une belle urgence de vivre. Comme si la chose n’allait pas de soi, il s’exhorte à ne rien laisser passer, plaisirs des mots, plaisirs des autres, plaisirs de la table, plaisirs des saisons, plaisirs de l’amour, plaisirs sexuels.

Il l’a déjà dit et il le répète : la clef de voûte d’une vie heureuse, c’est l’amour.

et les saisons mes quatr'incomparables
et tout ce qui se mange et nous mange et le feu
les animaux le vent d'automne et les amis

ne sont rien ne sont rien ne sont rien
à côté de l'incandescence des amours
qui nous mènent qui nous mènent
en haut de la vie même

L’amour, l’amour physique, l'amour chaleur, l'amour paysage, l’amour tendresse :

il y a deux seins de chaleur ronde
comme des nuages cueillis par un lac
en plein sur ta poitrine mon amour
et ton ventre est une baie des chaleurs
et ton sexe un courant chaleureux respirant
et tu es pleine de coussins de coussinets
de racoins duveteux de recoins soyeux
de petits coins précieux sans angle
de creux arrondis de profondeurs apprivoisables

On comprend que la recherche du bonheur est une bataille au quotidien, d’abord avec soi-même :

et j’ai mes jours de taupe taponne
et de rat tremblant de bison ravagé
de crocodile menteur de cochon vantard
de fausse hyène de pou lyrique
d’araignée achalante de lynx opprimant
de butor culpabilisant de buse obscène
de cloporte prétentieux
et je suis bien sûr un renard naïf
un grand codinde

Comme on vient de le lire dans ce qui précède, Garneau met en place tout un bestiaire pour parler de lui, chaque animal présentant une caractéristique à laquelle il s’identifie ou non. Ainsi en est-il des « petits chevals » du titre : « les chevals sont des animaux doux et calmes »; ainsi, de ses accointances avec les lièvres : « nous sommes toi et moi des fragilités »; ainsi, de l’écureuil qui ne cesse de s’agiter : « j’aperçois vraiment / des écureuils dans les arbres du néant ».

Le recueil se termine, par un long poème-bestiaire, dans lequel une trentaine d’animaux sont nommés, pour représenter la vie riche, grouillante, inépuisable, si bonne à vivre : « les ptits oiseaux transportent l’éternité ».

Recueil admirable, sans doute l’un des plus agréables à lire des années 1970-1980. Au point de vue du contenu, il n’ajoute rien aux précédents, mais stylistiquement parlant, Garneau a trouvé sa voix, dans un heureux mélange d’oralité et de littérature, en contraignant le souffle qui avait tendance à déborder dans ses premiers œuvres.

notre amour n'est plus naïf
et il a ses racines noires

notre amour a dépassé
le fragile des images

notre amour va quotidien
car il vit dans l'évidence

notre amour n'est plus à part
il a un nom qui nous ressemble

mais dans la rage que j'ai
de travailler dans mon pays

vers la liberté de tous
à travers les eaux du langage

et dans la lutte à dompter
les habitudes du désespoir

à force de chanter haut
de chanter fort dans la bataille

j'oublie parfois souvent
la tendresse de la promenade

Michel Garneau sur Laurentiana

Lan ga ge, 1962
Langage I : vous pouvez m'acheter pour 69 cents,1972
Langage II : blues des élections, 1972
Langage III : l'animal humain, 1972
Moments, 1973
Langage IV : j'aime la littérature, elle est utile, 1974
Langage V : politique, 1974.
La plus belle île, 1975
Les petits chevals amoureux, 1977
Élégie au génocide des nasopodes, 1975, 1979

9 mai 2025

La plus belle île

Michel Garneau, La plus belle île, Montréal, éditions Parti Pris no 26, 1975, 63 pages.

Souvent les critiques — et Garneau lui-même, si je me rappelle bien — ont tendance à minimiser la poésie qui précède Les petits chevals amoureux. Il est vrai qu’il y a des « facilités » et certaines redites dans La plus belle île, que cette poésie manque souvent d’économie, que le langage n’est pas toujours très recherché. Et pourtant, on lit Garneau et on finit par être subjugué. Il y a un courage chez cet auteur dont peu peuvent se vanter. En ces temps où il fallait chanter le pays, dénoncer toutes les aliénations, se marginaliser par la contreculture, il choisit de nous parler de la nécessité de l’amour et du bonheur dans nos vies.

Comme il le fait souvent, Garneau commence par défendre sa façon de faire. « j'écris pour voir liés les mots sur le clair papier des livres / dans l'amitié des vivants et des morts en cette rencontre privilégiée // je n'écris pas contre la faim la misère la guerre la bêtise / l'injustice et la lâcheté j'écris dedans et dedans / j'écris pour le plaisir par sensualité ».

On lit d’abord une série de poèmes sur différents lieux qui l’ont marqué. Il faudrait citer au complet celui intitulé « Sainte-Dorothée » qui décrit la fin de son enfance.

l'avenue des aventures que m'était la rivière
c'était aussi frontières d'un monde à la mesure
de mes limites à l'image de maison de doux murs
 à colombages clairs à table mise de main de mère
un monde de douillette haute comme un pont
sur le ruisseau du sommeil
sous le toit couvant de la pluie le bruit
d'immenses et fines ailes
quand dehors luisait le jardin replet de secrets
et de surprises sédentaires parmi les fleurs vivaces

Beaucoup d’autres lieux font l’objet d’un poème, des lieux marquants, dont une image, un souvenir, une sensation… lui sont restés en mémoire. Entre autres, il a retenu « la grande plaine de varechs » de Percé, les « filles en sourire » de Baie-Saint-Paul, « une grange aux foins sorciers » à l’Ile-aux-coudres, les « paysages infirmes » de Trois-Rivières, le fleuve « par-dessus les arbres » à Pointe-au-Père, le « plus bête niveau vivant » à Rimouski, la « seule route pour tant de paysages » à Baie-Comeau…

Mais l’île auquel le titre fait référence, c’est nulle autre que Montréal : « maintenant la plus belle île / est celle de ma ville / de ma ville à faire à défaire et à refaire ».

Dans la seconde moitié du recueil, Garneau offre à son amoureuse un long (et souvent très beau) chant d’amour. Il dit et redit son attachement (« je suis heureux à cause d’une femme »), mais surtout il essaie de comprendre le bonheur que lui procure cette relation amoureuse. « je prends tout de nous puisque tout s'échange / semis semences bras embrassés mains amoureuses / dans un jardin où farouchent les fleurs du choix / et la fleur de la sérénité possible / et la rose cardinale de nos corps / libres vents liés par la justesse des gestes ». Pour parler d’un sujet aussi rabâché, il lui faut trouver une langue qui soit authentique : « il me faut o merveille inventorier un amour / en suivant le cercle pur du seul vrai langage ».

Dans la version remaniée du recueil, dans ses Poésies complètes (Ed. Guérin, 1988), avec raison, il a coupé certains passages, en a déplacé quelques-uns et il en a condensé d’autres. Et la « tu » est devenue une « elle ». Comme extrait, je présente le dernier poème du recueil, dans sa version remaniée.

aujourd'hui c'est jour de la parole
pour la toucher pour la toucher
quand tout sera dit
nous aurons du silence jusque dans les gestes
je la coucherai dans l'herbe bleue de ma mémoire
elle me couchera dans l'herbe bleue de sa mémoire
nous aurons pleuré déjà notre fin
avec de l'engoulevent dans la voix
et tout un fleuve dans l'âme
avec toutes ces choses
qui ne sont que des liens
vous le savez
et nous portons au coeur dejà
comme fleur à l'oreille
l'absolu drame de se perdre

2 mai 2025

Moments

Michel Garneau, MomentsMontréal, Éditions D. Laliberté, 1973, 66 p. (Aussi dans : Poésies complètes, 1955-1987, Montréal, Guérin littérature / l'Âge d'homme, 1988, p. 175-249 [768 p.]

L’écriture des premiers recueils de Michel Garneau s’étalent dans le temps. Les poèmes qui composent Moments auraient été écrits entre 1960 et 1973. Aussi, ce recueil apparaît un peu comme un bilan au milieu de la trentaine. Michel Beaulieu ne cache à peu près rien et sa poésie est toute simple, si bien qu’on a l’impression de vivre en direct les confidences d’un copain qui raconte ses hauts et ses bas. Ce recueil suit un fil chronologique, est presque narratif. Je vais résumer grossièrement.

On a droit à quelques chapitres sur son enfance, tel ce cauchemar récurrent qu’il faisait à 12 ans : « et je suis loin de mon assiette / ce que je fais de mieux depuis des mois / c'est un rêve où le malheur est clair / comme de l'eau de rocher / où je marche comme pour le fuir vraiment / tenant par la main le bonheur qui a douze ans / et je m'éveille tout le temps dans le repli / dans le recul et je n'ai plus le temps de sauter / dans les feuilles et c'est cette fois l'automne / sans que j'y sois ».

On se retrouve quelques années plus tard pour assister à une relation amoureuse qui ne va nulle part : « parce qu'en 1960 à ottawa je ne pensais / qu'à la mort me retenais me cantonnais / sans cesse rêvassant aux culs des filles / dans la soûlerie matutinale parfaitement meurtri de malamour marié / père et malheureux comme un fonctionnaire / certain que l'avenir n'était qu'effilochement / coupant comme le tain d'un miroir pété ».

La rupture amoureuse s’ensuit et le deuil est vécu à Paris. Ce qui ressort, c’est le fort sentiment de culpabilité : « et moi je rêve en écrivant / à une petite fille de dix-sept ans / que j'ai malmenée / et je suis un bel écœurant / un homme ordinaire / un bel écœurant ordinaire » Et encore : « ma petite fille me hante / comme un mouchoir de départ derrière mes yeux / comme une fougère pas grandie / qui attend une chanson d'eau ».

Il faudra un retour à Montréal pour voir un homme qui se reconstruit : « il n'y a que l'amour qui corrode la douleur / avec ses belles grandes dents sensuelles / l'amour à pleines dents plein la bouche / mieux que bières et firmaments d'acide / mieux que ruts et sexi-farces / l'amour avec ses abeilles de présence / dans la peau tout entière de l'être ».

Le recueil se termine par un chant d’amour pour sa nouvelle amoureuse. « ton allure ton ballant ton allant / ta démarche bruissante de lumière / que j'ai le goût de célébrer / que j'ai donc le goût de célébrer / ton attention d'écureuille / toute accordée à toutes choses de la vie / à tous gestes des êtres dans la splendeur des sens / mon amour tant exigeante que j'exige tant / oh ton rire devant la beauté / ton rire devant le fleuve / ta tête secouée dedans la pluie / faisant vibrer le prisme de ta chevelure arc-en-ciel / et ton beau grand rire autour du verre de vin / dedans l'ivresse / ton rire dans les fleurs folles de la mescaline / ton rire dans la fourrure fraîche de l'acide / beau jusque dans le sarcasme / et tes sourires que je veux prendre / à jamais entre mes lèvres / que je veux prendre le temps de détailler / un jour comme un ancien comme un classique / puisque ces fleurs de l'arbre de ton silence / sont parmi les plus claires de mes joies ».

Inutile d’en rajouter, le texte parle de lui-même. Allez le lire sur Internet archives.

Michel Garneau sur Laurentiana
Lan ga ge, 1962
Moments, 1973
La plus belle île, 1975
Les petits chevals amoureux, 1977
Élégie au génocide des nasopodes, 1975, 1979