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23 septembre 2022

Les roses sauvages

Jacques Ferron, Les roses sauvages, Montréal, Éditions du jour, coll. Les romanciers du jour, 1971, 177 p. 

Baron était « un beau grand jeune homme » que tout le monde – et les femmes – appréciait. Il rencontra, puis épousa une « jeune fille dont l’admiration pour lui l’avait séduit ». C’est elle qui l’avait surnommé Baron, surnom qui lui resta. Ils s’installèrent dans un petit bungalow de banlieue, plantèrent des arbres, dont un rosier sauvage devant la fenêtre de leur chambre. La femme de Baron (elle n’a pas de nom) demeura à la maison, attendant jour après jour son Baron, s’effaçant de plus en plus, toute à sa dévotion pour ce bel homme enthousiaste que tout le monde admirait. Trois ans passèrent et le rosier obstrua la fenêtre.

 

Une enfant naquit et Baron la nomma Rose-Aimée. Pour sa femme dépressive, ce nom évoqua le « rosier sauvage qui avait obscurci sa chambre ». Baron crut, dans sa naïveté, que cette enfant allait combler sa femme. Mais Rose-Aimée déclara la guerre à sa mère, du moins celle-ci le vit ainsi. Baron, ce « beau grand jeune homme, toujours bien mis sans ostentation », fit de son mieux pour l’aider et l’encourager. Dès qu’il quittait la maison, la guerre reprenait entre la mère et la fille, du moins la mère le pensait ainsi. Rien n’y fit. Les choses allèrent de mal en pis et la femme de Baron, devenue mère indigne, finit par se suicider alors que « le rosier sauvage était justement au plus fort de sa floraison ». Heureusement, un ami acadien, qui habitait Verdun, prit Rose-Aimée sous son aile.

 

Il fallut trouver un foyer permanent pour cette petite Rose-Aimée. Voyant qu’elle se plaisait chez ses amis de Verdun, il fut convenu d’envoyer l’enfant dans une famille, en Acadie, plus précisément à Cocagne, près de Shédiac. Elle « devint donc une petite Chiacque ».Une fois par mois le « grand bel homme »  faisait l’aller-retour, Montréal-Moncton, pour voir Rose-Aimée. Celle-ci s’attacha à ce père, « avantageux à cause de son exubérance naturelle », que tout le monde appréciait. Baron vint bien près de succomber aux charmes d’Ann Higgit de Corner Brook mais s’abstint par crainte de décevoir sa Rose-Aimée qui, le comprenait-il maintenant, avait été « une enfant amoureuse dès la naissance, jalouse de sa pauvre mère […], l’usant peu à peu par ses cris et ses rages, finissant pas la jeter hors d’elle-même ». 

 

Celle-ci vieillit et alla parfaire ses études à Tracadie, puis chez les Ursulines à Québec. Entre-temps, Baron, toujours aussi « avantageux », monta en grades dans sa compagnie comme on le devine. Comme la fin des études de sa fille étaient imminente, il prépara le petit bungalow envahi de verdure et engagea comme gouvernante, une ancienne sœur nommée Agnès. Rose-Aimée arriva alors que les roses sauvages étaient en fleurs. Elle se mit à fréquenter les amis acadiens de son père qui habitaient Verdun, ceux-là même qui lui avaient trouvé un foyer nourricier quand sa mère mourut. L’attirait surtout le fils aîné, Ronald, « un garçon aimable, pas vilain du tout, poli et souple ».  Il demanda sa main, ce qui lui fut refusé par Baron, par crainte de perdre cette fille qu’il venait de retrouver. Allait-il l’enfermer, elle aussi ? 

Quelque temps passa. Rose-Aimée quitta ce père possessif et sur-protecteur et alla rejoindre Ronald, qui étudiait la psychiatrie à New York. Il répondit mal à ses avances, mal à l’aise devant tant d’audaces. Déçue, elle partit à l’aventure. Baron en devint malade au point où il fallut l’interner à Saint-Jean-de-Dieu. Dans son délire, il voulait aller à Casablanca, sûr d’y retrouver sa femme morte. Il écrivit donc des lettres, postes restantes, adressées à Madame Baron. Comme Rose-Aimée passait par là, c’est elle qui reçut les lettres. Dans son délire, il la confondait  avec sa mère, sans qu’il y eût « rien d’incestueux à ça ». Elle comprit que son père était fou et décida de rentrer sans tarder. Mais il était trop tard, comme le lui expliqua Agnès : « Il est mort comme il avait toujours été, le père que tu as connu, un grand bel homme séduisant que tout le monde admirait et qui n’aima jamais que toi. » Il avait fini par se suicider. Agnès lui apprit que Ronald l’avait attendue pendant tout ce temps et elle alla donc le retrouver et cette fois ils se comprirent. Avant qu’ils s’installent dans le petit bungalow, Agnès prit soin de  couper le rosier sauvage et d’en extirper même les racines.

 

Le roman de Ferron comprend deux parties. D’abord, un récit fictif intitulé Les Roses sauvages, puis une seconde partie plus courte intitulée Lettre d’amour qui raconte l’histoire d’Aline Dupire,  une femme psychiatrisée. Cette lettre d’amour est, elle-même, divisée en deux parties, la première étant rédigée par un médecin et la seconde, par Aline Dupire à l’intention de son mari. Bien entendu, le lecteur est invité à faire un lien entre la fiction et le réel, de la fiction vers le réel. 

 

Si le « si parfait Baron » occupait toute la place dans Les Roses sauvages, ce sera plutôt Aline Dupire (un double de sa femme morte) qui sera au centre de la deuxième partie. Tout comme la femme de Baron, celle-ci s’est complètement effacée, pour ne pas dire noyée dans les yeux de son mari. Tout comme Baron pour sa femme, elle continue de vouer un culte au mari parti. D’où la question : « Dites-moi, docteur, qui suis-je au juste? » S’ajoute une dimension sociale : la schizophrénie frappe aussi les peuples, tels ces Acadiens déracinés (les Chiacques) qui cherchent leur identité entre deux cultures. Et le rosier sauvage? Il apparaît comme porteur de maléfices, venu d’un autre monde, élément étranger, symbole de l’amour.

 

Roman très attachant, écrit comme un conte.


Sur Ferron :

Jacques Ferron, écrivain québécois (1921-1985)


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