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27 août 2021

La fin de la terre

Emmanuel Desrosiers, La fin de la terre, Montréal, Librairie d’action canadienne-française, 1931, 108 pages. (Préface de Jean-Jacques Lefebvre, illustrations de Jean-Paul Lemieux et avant-propos de l’auteur)

Je cite le début du long avant-propos de l’auteur : « Que se passerait-il si un jour la foudroyante nouvelle se répandait que notre planète se désagrège? »  Et la fin : « Dans les pages qui suivront le lecteur verra l’humanité, vieillie de cinq siècles, aux prises avec le problème le plus angoissant de tous les temps: la destruction de la terre. Les nations lui apparaîtront enfin unies, et luttant par la science contre les éléments de la nature désordonnée et affolée. Il suivra l’homme de ce siècle que l’angoisse torture, il le plaindra, puis il l’admirera. Alors viendra le dénouement suprême, le grand triomphe de la science, l’apothéose de l’esprit de l’homme! »

 

On est en 2380. Dix millions de personnes vivent à Montréal.  Herbert Stinson, « le plus profond génie de son temps », habite Dove Castle, un château planté sur l’Île-au-Diable dans les rapides de Lachine. De grands bouleversements physiques secouent la planète depuis quelques années. À la suite de tremblements de terre répétitifs, le sol ici et là s’effondre, les volcans se déchaînent, des continents sont engloutis, l’eau envahit les zones au niveau de la mer. L’Amérique du Nord semble un endroit encore épargné, mais pour combien de temps. Bref, la fin du monde est proche. 

 

Pour Herbert Stinson, la solution est évidente : les humains doivent migrer vers Mars. En tant que président de l’Union des peuples, il doit convaincre les terriens, ce à quoi certains s’opposent. Les Martiens semblent d’accord pour accueillir l’humanité. D’immenses avions sont construits, d’importantes réserves de nourriture synthétique sont embarquées, et le 1er janvier 2406, c’est le grand départ. 

 

Dans ma jeunesse, j’ai été un lecteur de science-fiction : Van Vogt, Simak, Asimov, Dick… et même Ballard. Dans les récits à la Jules Verne, on croyait beaucoup que la science pouvait sauver l’humanité. C’est la thèse de Desrosiers. Son récit est parsemé de détails scientifiques (ou pseudo-scientifiques) : il décrit des images qui voyagent sur les ondes et qui sont projetées instanément sur des écrans à des milliers de kilomètres de distance, des appareils qui ressemblent à la télévision, des mégapoles, de nouvelles techniques qui fournissent de l’énergie… Il évoque le fait que la planète est épuisée, surtout à cause de la surpopulation. 

 

Ce roman serait le deuxième du genre produit au Québec, la premier étant Pour la patrie de Jules-Paul Tardivel en 1895, roman pas tellement réussi. Il en est de même pour l’œuvre d’Emmanuel Desrosiers (1897-1945) qui semble complètement ignoré les principes élémentaires du récit. Il faut un fil sur lequel se déversent des conflits ou du moins des obstacles, des personnages dont on s’approche assez pour les connaître, l’art de disséminer des indices pour aiguiser l’attente du lecteur, etc. Desrosiers se contente de déverser son savoir.

 

Extrait

Savons-nous qu’un temps viendra où nous serons retirés du cours des siècles par le collectionneur éternel comme des monnaies usées, vieillies, sans valeur?

 

Stinson s’était levé. Il regardait maintenant vers l’ouest les nuages gris qui couvraient le ciel. Le froid était intense car décembre était venu plein de glace et d’ouragans, véritables simouns de neige qui avaient ensevelis le Canada. Quelques jours auparavant, exactement le 25 décembre 2400, la Corée avait été balayée par un raz-de-marée; l’eau envahissait déjà le grand plateau du Tibet qui s’affaissait; la mer Aggasiz se reformait au centre du Canada et au nord des Etats-Unis; les Rocheuses se creusaient de vomitoires par où l’incendie du globe s’allumait; le soleil paraissait sanglant à travers des nues de cendres et de feu.

 

Doutait-il de son œuvre, le grand Stinson? Non rien ne pouvait l’ébranler, mais il se rendait de plus en plus compte qu’il n’y avait pas un instant à perdre.

 

Paris avait été bouleversée par la terrifiante nouvelle de la disparition de la Corée. De tous les coins de la capitale de l’illustre nation, les foules étaient accourues haletantes et terrifiées vers le square Maurras où était installé le mécanisme de projection aérienne de la Société française de radiovision qui avait des ramifications dans tous les pays du monde et qui photographiait à l’instant même la destruction de la presqu’île de Malacca; photographies prises à bord des aérobus stationnaires qui procédaient au sauvetage de cette partie du genre humain, dont les phases les plus terribles étaient reproduites instantanément sur l'écran de 100 mètres du square Maurras. (p. 56-57)




13 août 2021

La tragédie de la forêt

Gustave Keller-Wolff, La tragédie de la forêt, Montréal, s.n., s.d., 153 p. (Préface de l’auteur)

Contrairement à ce qu’on dit dans le DOLQ, Keller-Wolff était au Québec dès les années 30. Il a enseigné les langues à Montréal. Il a aussi publié poèmes et nouvelles dans les journaux de l’époque. C’est sa mère qui lui a appris le français. 

 

L’oeuvre n’est recensée nulle part et ne porte pas de date, sinon à la fin de la préface : 1935. Le roman, qui comprend beaucoup de références culturelles, est bien écrit, malgré quelques digressions vraiment hors-propos de l’auteur.

 

Le récit se déroule en Allemagne, pays d’origine de Keller-Wolff. Il met en scène deux frères ennemis, Fink et Ulric Herne, les deux travaillant pour le comte Schaffgotsch. Ulric a pu faire des études supérieures ce qui ne fut pas le cas pour Fink, à cause du décès prématuré du père. Ce dernier en éprouve de la jalousie. 

 

Le récit repose sur un triangle amoureux. L’épouse de Fink, Lore, était l’ancienne amoureuse d’Ulric, mais en raison de son absence prolongée, et poussée par sa famille, elle a fini par épouser Fink, mariage dans lequel elle est malheureuse. Ulric revient et la convainc de divorcer et de l’épouser. Un drame va contrecarrer leur plan. 

 

Les deux frères sont des forestiers. Et tous les deux sont des chasseurs. On a repéré sur le territoire des frères Herne un cerf qui porte des cornes rarement vues, et les deux frères le convoitent. Des braconniers ont été aperçus et Fink monte la garde. Quand il entend un coup de feu, il se précipite, croyant que le tireur le menace. Au cours d’un échange de tirs, il l’abat sans savoir que c’était son frère. On va innocenter Fink. Sa femme, en visite chez sa mère, ne veut plus retourner auprès de lui. Elle envisage plusieurs solutions, mais choisit finalement celle dans l’extrait.  

 

Extrait

Elle devait se décider, le coup de huit heures était sonné. Encore une fois elle rumina tous ses projets sans but visible.

Pourquoi parler au père qui d’ailleurs avait comme idée fixe qu’elle se refusait à la corvée de la grossesse et de l’accouchement et qui lui reprochait de se dérober à la maternité ? Les projets s’entrecroisaient confusément dans sa tête, le frère aîné, les parents de la ville, Fink, tout l’écœura. 

Impossible ! ! Elle entendit encore le clocher sonner la demi-heure. Le monstre s’approche. Étendra-t-il ses griffes, ses griffes souillées du sang d’Ulric Herne ?

Elle se lève. Le monstre grimace devant elle, elle étend la main pour s’en défendre.

Enfin, elle a trouvé, elle voit le sauvetage. Son sauvetage c’est le « nirvana ».

Elle s’avance sur le sapin qui surplombe l’eau glauque, elle marche d’un pas assuré jusqu’au bout. Ses yeux s’élèvent vers la voûte d’azur comme une madone transfigurée. Le vent ondule ses cheveux blonds. Le vent plisse sa robe, il moule son corps harmonieux comme une cariatide antique. — Elle est debout. L’onde est un miroir. A-t- elle jamais reflété créature plus belle ?

« Ulric », s’écrie-t-elle, «je te reverrai, je vais au nirvana ! » L’onde perfide se referme sur elle et devient son tombeau.

Les cercles de l’eau s’élargissent de plus en plus comme une auréole au sacrifice. Puis, plus rien que le calme de la nature.

Un papillon se pose sur une pensée à la rive. Un héron dans son vol rase la surface du lac. Un gamin débouche du carrefour et mène ses vaches à la prairie. . .

Deux jours après on retrouva le corps de Lore Herne au milieu des osiers. Elle gardait encore sur son cœur le dernier poème d’Ulric Herne:

 

Au clair de la lune, si loin des villes,

Dorment champs et bois leur sommeil tranquille —

Me voici assis sur une pierre déserte

Dans l’attente du cerf, la bête alerte.

Mais soit que je repose, que je fasse la ronde,

Ton image partout me suit dans le monde,

Ton aimable regard, ton sourire si doux

Me réjouissent à jamais, m’enchantent surtout;

Une brise lointaine me chante à l’oreille

Tes tendres mots, murmurés la veille —

Ah ! je connais l’obstacle obscur,

Mais je saurai bien détruire ce mur

Qui si cruellement se lève, nous entoure.

Mais ne peut ébranler notre grand amour.

Aux ailes de la chimère je voudrais t’atteindre

Pour mon cœur au tien à jamais rejoindre !

Sublime, comme cette nuit, dans sa blanche clarté

Rayonne notre amour jusqu’à l’éternité.