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14 février 2020

La barbe de François Hertel

Jacques Ferron, La barbe de François Hertel, Montréal, Editions d'Orphée, 1951, 40 p. 

(En plus de La barbe de François Hertel, on peut lire Le Licou, texte dont j’ai présenté l’édition de 1958 dans ce blogue.)

La barbe de François Hertel ne fait que 16 pages très serrées. C’est le premier texte en prose que publie l’auteur. On pourrait dire que tout Ferron est déjà là, mais ce ne serait pas juste. On trouve plutôt le Ferron des contes, avec son humour, son côté irrévérencieux, son plaisir à décontenancer le lecteur, son style maniéré. 

La barbe de François Hertel est un conte philosophique; certains critiques le présentent comme une sotie (pièce bouffonne truffée de satire politique et sociale). Le récit, si court soit-il, n’est pas facile à résumer. Jérôme, le narrateur, rencontre son maître, François Hertel, sur le bord de la Seine. Ce dernier l’invite chez lui. Quand il le quitte, il croise une jeune femme qui a le pouvoir de se transformer en homme, mi-ange mi-démon. Lors d’une seconde visite, il retrouve son maitre, barbu, prostré, incapable de penser et d’écrire. Il comprend qu’il faut lui couper cette barbe qu’il s’est laissé pousser dernièrement. Ce faisant, il le malmène un peu trop et les policiers interviennent, l’arrêtent, le jettent en prison. Lors du procès, il est condamné à mort. Finalement, on le libère et il rentre au pays, emportant la barbe de Hertel, qu’il compte offrir à l’Académie canadienne-française.

On l’aura compris, l’essentiel n’est pas dans l’action, mais dans le discours qui l’accompagne. Plusieurs sujets sont abordés, toujours pour s’en moquer : les postures idéologiques rigides, le dogmatisme des maîtres à penser, l’académie canadienne-française, les pratiques religieuses aliénantes, l’abêtissement du système judiciaire, les dualités qui obligent les humains à se camper dans des affrontements. « Nous sommes dans le monde depuis si longtemps, hommes, anges, diables, que nous nous sommes peut-être fondus dans une même espèce. Il n’est plus possible de distinguer la part du ciel et celle de l’enfer, et ces deux-là de celle de la terre. Les influences se sont mêlées, et les âmes, les unes aux autres, se sont mariées. Nous sommes comme les eaux de la mer, issus de sources innombrables et confondus, dans une même saumure. Si je m’interroge, j’apprends avec effroi que je n’ai plus de Maître. » 

La formation de l’identité et son expression sont au coeur de ce texte, sujets sur lesquels Ferron va longuement s’interroger dans toutes ses oeuvres. « Nous sommes perdus dans l’existence comme Poucet dans la forêt : nous vivons sans laisser de trace, et rien, d’un côté ou de l’autre, ne nous commence ni ne nous achève. »

Jacques Ferron sur Laurentiana
Le Dodu
Contes anglais et autres
Le Licou
Contes du pays incertain
Cotnoir
L'Ogre
Tante Élise ou le prix de l'amour
La Sortie

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