27 septembre 2019

L'espion de l'Île-aux-Coudres


Laëtitia Filion, L’espion de l’Île-aux-Coudres, Montréal, chez l’auteure, 1941, 171 pages.

Pour des raisons de santé, Jack Whelem, un jeune bourgeois de Montréal, vient passer un mois à l’auberge de la Roche pleureuse, sur l’Île-aux-Coudres. Par hasard, il rencontre Rose Tremblay, une jeune et jolie paysanne qui lui tombe dans l’œil. Il provoque des rencontres avec Rose, ce qu’elle n’essaie pas d’éviter, même si elle a déjà un fiancé. Elle l’invite chez elle, elle l’accompagne dans quelques visites des attraits de l’île. Malgré tout, les parents montent la garde, ayant peu confiance en cet « étranger ». Tout au plus réussit-il à lui arracher un baiser avant de retourner à Montréal sans lui donner des explications. L’aime-t-il? Il ne le sait pas trop. Rose, elle, est éperdument amoureuse.

Rose est dévastée et se dit qu’une lettre et des explications vont finir par arriver. Quand finalement Jack lui annonce son retour… elle ignore qu’il revient accompagné de sa mère. Cette femme de la « haute » ne comprend pas que son fils, si populaire, se soit attaché à cette paysanne mal fagotée, inculte et sans manières, qui n’est jamais sortie de son île. Elle est venue pour convaincre les parents de Rose d’emmener leur fille à Montréal, espérant ainsi que son fils réalise l’écart social entre elle et lui. Les parents de Rose finissent par accepter son départ. Le séjour de Rose dans la haute société montréalaise se passe plutôt mal, on le devine. Et lorsqu’elle revient chez elle, elle est sûre que Jack ne la relancera plus. Pourtant non, il lui annonce qu’il compte revenir une fois l’hiver passé, ce qui la déçoit, elle qui attendait une demande en mariage.

Tout le monde essaie de convaincre Rose que ce garçon n’est pas pour elle, ce qu’elle finit par croire.  Le destin va se charger du reste. Elle est atteinte de la petite vérole et elle perd sa beauté. Son ancien fiancé, Giles, est toujours là, toujours aussi amoureux d’elle. Quand Jack revient au printemps et l’aperçoit, elle comprend que tout est fini entre eux. Elle épouse Giles, un gars généreux, qui fera son bonheur, comme on l’apprend dans l’épilogue.

Malgré son nom, la famille Willem est francophone ou plutôt bilingue. Jack est un descendant de « Mathieu-Theodore de Vitré, ce Français felon, qui pilota les vaisseaux anglais à la traverse de Saint-Roch des Aulnaies, passe la plus difficile du fleuve St-Laurent, en 1759. » Un aïeul de Rose est mort à cause de lui, c’est le curé qui le lui apprend.

C’est un roman sentimental – le prince et la bergère – sur fond d’opposition entre la ville dénaturée et la campagne qui a conservé ses traditions. Le personnage de Jack est assez complexe : c’est un petit bourgeois gâté qui est fasciné par la candeur et la fraîcheur d’une jeune paysanne. Il n’arrive pas trop à comprendre ce qui l’attire chez cette jeune fille, il n’est pas sûr que ce soit la jeune fille elle-même, mais peut-être tout simplement l’occasion pour lui de faire un pied de nez à sa mère et à la société factice dans laquelle il évolue. Cependant, le personnage de Rose est caricatural : trop naïve, trop facilement impressionnable.

Bref malgré des raccourcis dans l’évolution des événements — le départ de Rose —, ce roman se lit bien, surtout quand on a eu l’occasion de visiter à quelques reprises la magnifique Île-aux-Coudres.

7 août 1947

Extrait
Dans un canot automobile, un jeune Montréalais accomplit pour la première fois la traversée des Éboulements à l’Ile-aux-Coudres. Rapidement la terre ferme s’éloigne. Brisée par la proue de la petite embarcation, l’eau se fend et des nuages d’écume poudroient de chaque côté. De ses rayons ardents le soleil y fait briller toutes les couleurs du prisme. Dans le lointain, des champs immenses aux tons de verts changeants comme ceux des forêts qui boisent les montagnes. Les yeux du jeune homme sont rivés à la féerie verte et dorée. A la frange des nuages, des reflets de feu sont venus s’accrocher tout de suite après l’orage de l’après-midi.

Il a si souvent entendu parler des beautés naturelles de ce coin de terre historique du Québec, qu’à l’avance il est blasé: les vrais citadins sont souvent rebelles au charme des somptueux décors de la nature. Cependant, il ne peut s’empêcher de trouver que la réalité dépasse de beaucoup tout ce qu’il a imaginé. La bise est fraîche malgré la chaleur torride qu’il faisait à terre En quelques minutes le poudroiement de l’eau cesse, l’embarcation décrit un demi-cercle et touche le quai de l’Ile-aux-Coudres. (p. 9-10)

Laetitia Filion sur Laurentiana
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