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19 janvier 2018

Images apprivoisées

Images apprivoisées
Exemplaire de la BAnQ 
Roland Giguère, Images apprivoisées‎, Montréal, Erta, 1953, n.p. [40] p. (illustré de 16 planches photos)

Le septième recueil de Giguère contient seize poèmes, chacun côtoyant une image au verso de la page précédente. Que sont ces images? Des photos, des dessins? Difficile à dire. Giguère explique dans une note préliminaire la conception du recueil : «  Les images de ce recueil proviennent de clichés trouvés tels que reproduits. Les poèmes ont été provoqués par les images, les uns et les autres désormais indissociables. » Aucuns humains, aucuns paysages ne sont représentés sur ces clichés. Ce sont plutôt des objets, des réalités abstraites qui y figurent. Sur certains, on dirait le détail agrandi d’un objet dont on ignore l’identité.

Compte tenu de ces prémisses, on pourrait penser que Giguère va s’aventurer dans de nouveaux sentiers thématiques, que ces photos vont modifier sa vision du monde, mais non, on retrouve le Giguère de ses autres recueils. Comme il le dit dans sa note préliminaire, il n’a pas cherché le sens caché de ces photos dans un dessein d’objectivité : « Elles ont un sens celui que je leur ai donné ». Comment l’ordre des photos a-t-il été établi? À lire les poèmes, on dirait que le propos avance de façon plutôt logique. Allons voir, grosso modo, de quoi il est question.

Chez Giguère, l’être humain a bien de la difficulté à saisir la réel dans lequel il baigne. Il y a partout des murs, des murs qu’il grignote, qu’il franchit parfois pour mieux y revenir : « nous en avons si souvent comme des rats / grignoté les pierres que notre fièvre / à présent y dessine deux ouvertures ». Une porte pour sortir, une autre pour revenir. Ces êtres se bercent d’illusions entourés de dangers qu’ils ne voient pas : « la foule aveugle tournait autour du soleil / comme une mante religieuse / amante heureuse ». Cris, douleurs, torture, cassures, blessures, le monde est un immense champ de bataille : « on torture / on torture la santé les yeux fermés ». Même l’amour semble dérisoire : « un - je t’étreins / deux - tu t’affoles / trois - je m’étoile / quatre - tu t'étioles ». L’être est prisonnier de cet univers de tristesse : « noires années de lumière rayée / filtrée tamisée à petite dose / par ci mo nieu se ment / et le silence à bâtons blancs bâtons rompus  / le silence ronge les barreaux de la tristesse ». La situation semble sans espoir : « Demain prépare aujourd’hui sa propre défaite ».


Y a-t-il quelque chose dans les photos qui appelait un tel parcours thématique? Sûrement pas. Au contraire, on dirait des photos sans affect, presque scientifiques. Mais contrairement à Ponge, Giguère les revêt de sa vision du monde, un monde noir, en perdition, qui trouve parfois comme échappatoire, un « tout petit rêve d’oiseau migrateur ».  

Pour certains historiens, ce livre devrait être considéré comme le premier livre d'artiste au Québec.


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