« Mais il me plaît aujourd’hui de te parler comme un enfant à sa
mère, de te caresser avec les syllabes les plus simples et les plus
claires. »
Ce texte poétique est
d’abord paru dans Cordes anciennes en
1933. Comme son titre le laisse deviner, Salve
alma parens est une déclaration d’amour à son pays. Dugas s’adresse à lui,
comme on le ferait pour un parent ou pour une femme aimée.
Pour Dugas, le Canada des années 1930
est encore à l’état de projet (plein de promesses) : « Il s’est levé,
certes, et dans l’inexpérience de sa jeunesse, sa confiance inébranlable, il
choisit de ses doigts malhabiles les matériaux du futur, les amasse, les
empile. Vienne l’homme, l’architecte, le créateur, et ces amas de richesses
serviront à la cathédrale, à l’œuvre mûre. »
Son pays, c’est plus qu’un espace
géographique ou socioculturel. C’est le lieu « mental » qui l’a vu naître,
grandir : « À l’ombre de tes tilleuls, ma jeunesse épia les proies du
bonheur ! J’ai couru dans tes chemins, hanté ton église où mon âme, priante, se
mêlait à l’encens et aux grondements des orgues. J’ai tout aimé de toi : terre,
ciel, bois, moissons et les sapins neigeux qui tendaient leurs branches dans
l’hiver inexorable. Et ces veillées pleines de rires, d’histoires et de tabac.
Comme ils fument ton tabac avec délices, les gars, les grands gars de chez nous
! Richesse âcre ou mielleuse, suc de cannelle ou relents d’enfer emportant
bouches et gosiers. »
Mais l’auteur s’interdit de s’en
tenir au passé. Il pose un regard attendri sur le présent, sur la nouvelle
génération : « Les filles sont belles et simples, quoique parées —
quelques-unes, certes, perdues de « manières », de curiosités quotidiennes,
rêvant de chapeaux et de « machines » — Elles aiment les colliers, boucles
d’oreilles, bracelets et tout le reste ; elles s’habillent comme la reine de
Saba ou simplement, sans bijoux et sans fard. / Filles-fleurs qui ploient sous
l’averse ardente des journées d’août. / Filles enrobées dans un manteau
d’hermine et qui, des entrailles du sol, surgissent comme des statues de sel,
car c’est l’hiver. »
« Et tes gars ! — Ils sont
grands de taille, petits, moyens : ce sont des tournesols, des lys, des
soleils. Ils ont un teint rouge vif de pomme, éclat du fruit natal sur l’arbre,
au temps de la cueillette. »
Son admiration de la nature
canadienne y est aussi pour beaucoup dans son attachement au pays : « Ma
terre, quel est donc ton secret ? Tu peux bien me le dire, car je ne le crierai
pas sur les toits. Tout au plus me contenterais-je de confier ce secret aux
pages d’un poème. Dis-moi, les soirs de juillet, lorsque le soleil descend, ne
te retournes-tu pas sur toi-même pour regarder frémir, monter, tel un grand
désir sur l’horizon, ta glèbe ensorcelée, tes animaux, tes forêts, tes
rivières, tes jardins, dans ce ciel qui crépite ainsi qu’un brasier d’amour. »
Dans la dernière partie, la plus
touchante du recueil, le destinataire n’est plus la mère nourricière, mais Dieu
lui-même. On est devant un homme vieillissant qui se penche sur son passé. Le
bilan n’a rien de factuel : c’est plutôt celui d’un jouisseur et d’un
intellectuel qui essaie de comprendre ce qui l’a guidé. On y sent bien un
repentir, la recherche d’une rédemption, mais jamais de regrets. Dugas explique
que son amour des joies terrestres n’a jamais effacé son amour de Dieu :
« Seigneur, vous avez créé les fleurs, la nuit et le jour, et l’homme avec
ses cinq sens. Vous avez placé cet homme parmi les fleurs et vous lui avez
donné des yeux pour regarder la terre qui est belle. Vous l’avez induit en
tentation. Et il s’est approché de ces fleurs avec ses cinq sens. Il a voulu
les respirer, les presser sur sa bouche, les étreindre. Et parce qu’il avait
une volonté, il en a usé pour son plaisir durant les rapides minutes que vous
lui avez accordées pour vivre cette vie. À cause de cette volonté qui lui vient
de vous, et parce qu’il était fait selon votre ressemblance, il a voulu être
maître de tout. Mais un maître sans sagesse, faillible, entouré de lisières et
d’empêchements. Et parce qu’il était faible et malheureux, il a tenté de
parfaire son désir. / […] / Cet homme s’est ingénié à faire éclater ses
limites. Pardonnez à cet homme qui n’est pas autre chose qu’un homme et qui,
certes, n’a rien d’un dieu. / Il vous a tant aimé, jadis, quand votre nom
passait sur ses lèvres d’enfant. N’a-t-il pas usé de ses genoux les marches de
vos temples et mangé à ces Tables où vous distribuez le pain des élus ? / Il vous a tant aimé avant de s’approcher de
ce monde avec les cinq sens que vous lui avez donnés. »
Marcel Dugas est bien oublié,
malgré des qualités d’écrivain évidentes. Malheureusement il n’était pas du bon
côté de l’histoire. Il fait partie de ces auteurs qui ont dû se sentir bien
seuls dans le Québec de l’entre-deux-guerres : même s’il a consacré un
livre à Fréchette, il fut surtout un admirateur des Delahaye, Morin, Chopin,
Loranger. On l’a même surnommé le « Mallarmé canadien ». Salve alma parens est un beau texte lyrique
qui mérite d’être plus connu. Bien que beaucoup de pièces soient manquantes (la
famille, l’éducation…), ce récit raconte comment se forge l’identité.
Lire Salve alma parens
Marcel Dugas sur
Laurentiana
Voir aussi
Marcel Dugas (édité par Réjean Olivier)
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