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8 septembre 2011

La Soif et le Mirage

Adrien Therio, La Soif et le Mirage, Montréal, CLF, 1960, 222 pages

Bernard Leblanc a été engagé comme professeur de français dans un collège à Bowlingville. (Bowlingtown, Kentucky?) Il pensionne chez Miss Morgan, une femme dans la cinquantaine qui vit seule avec son chien. Cette femme encore belle mais aigrie, presque alcoolique, attend toujours l’homme qui la sortira de sa solitude.  À l’école, tout se passe bien avec ses élèves et ses collègues. Après les cours, un adolescent assez énigmatique vient discuter avec lui.  Il s’appelle Bill Young. Il se sent incompris et il s’est découvert des atomes crochus avec son professeur de français. Bernard veut bien l’aider mais ce jeune homme le déconcerte. Bernard s’ennuie et aimerait bien rencontrer une fille. Justement Bill l’invite à la maison lors de la Thanksgiving. Et Bill a une sœur, Mary Lane, qui tombe dans l’œil du professeur.

Bernard l’invite et les deux commencent à se fréquenter. Il est amoureux d’elle, mais il est vite frustré parce qu’elle est très prude et qu’elle lui sert ses principes moraux lorsqu’il se montre trop entreprenant. Il commence à douter de sa sincérité, s’imaginant que cette fille veut l’épouser parce qu’il représente un « bon parti ». Par ailleurs, à la maison, il se rend compte que Miss Morgan, malgré la différence d’âge, lui fait la cour. Plus encore, il découvre qu’elle ouvre son courrier et qu’elle s’est même permis de glisser à sa petite amie qu’il entretient une relation épistolaire avec une amie canadienne. De petits accrochages en petits accrochages, l’année étant presque finie, il rompt avec Mary Lane. Lors de son départ pour le Canada, sa logeuse lui fait une véritable crise pour le retenir. Un courrier lui apprend, quelques semaines plus tard, que Bill Young s’est noyé. Probablement un suicide.

Le roman est bien mené. Les chapitres sont courts, bien ramassés. L’écriture est minimaliste, un peu comme la pratiquent certains Américains de l’époque. L’auteur a le mérite de nous amener dans un autre milieu, ce qu’on n’avait pas vu depuis le roman du terroir. Il nous offre une image assez convenue des États-Unis, un pays superficiel, sans âme. Ce qu’il manque surtout à ce roman, c’est un vrai problème. L’intrigue ne lève jamais. Comme je l’ai déjà dit, on va de petits accrochages en petits accrochages et il ne se passe jamais rien d’important. Et l’auteur expédie les vrais problèmes (la crise amoureuse de Miss Morgan et le suicide de Bill) dans les cinq dernières pages.

Extrait
— Il faut tout un monde pour faire une société. Les lois de l'humanité sont les mêmes aux États-Unis qu'ailleurs.
— Je comprends tout cela. Mais il y a un certain standard de je ne sais trop quoi que le plus réfractaire des Américains possède. Vous ne vous ferez jamais à ce standard. Vous serez un hors-la-loi.
— Ces gens-là font parfois de très bons citoyens. Je crois pouvoir faire un bon Américain si un jour je décide de le devenir.
— Et l'idéal américain deviendra votre idéal. C'est ce que vous voulez dire ?
— Il faudrait d'abord que je sache ce que vous voulez dire quand vous parlez d'idéal américain.
— C'est assez difficile à définir en quelques mots. Une petite histoire vous ferait mieux comprendre. Devançons l'avenir. Disons que vous avez trente-cinq ans. À ce moment-là, si vous voulez avoir la certitude que vous avez réussi, que la vie a joué franc jeu avec vous, vous serez déjà marié depuis une dizaine d'années, vous aurez une femme tendre et dévouée, au moins trois enfants en bonne santé, tout fiers d'avoir un papa comme vous, une situation bien assise vous permettant de vivre dans une aisance nécessaire, une propriété que vous paierez au mois le mois et qui vous donnera l'illusion d'avoir un home bien à vous, un pied-à-terre solide, une sorte de port de salut, sans oublier l'automobile de modèle récent à peu près entièrement payée. Au milieu de l'été, pendant les vacances payées auxquelles votre travail vous donne droit, vous partez en voyage à travers les U.S.A. avec votre femme et vos enfants. Un beau matin, vous vous retrouvez sur une large et belle route du Texas. Il fait un temps merveilleux. De chaque côté de la route, la nature déploie son enchantement. Dans la voiture, la T.S.F. vous permet de courir au-devant de l'espace au rythme d'une musique gaie, entraînante, qui finira par vous convaincre que la vie est belle et bonne à vivre. À un moment donné, sur cette route qui s'en va au grand soleil, peuplée de tous vos rêves de bonheur, vous aurez l'impression que le succès vous met la main sur l'épaule comme un vieil ami d'enfance, et vous croirez avoir conquis le monde, atteint votre idéal. Dansun trop plein de joie, vous vous écrieriez : « Voilà la vraie vie ! » (pages 137-139)

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