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11 juillet 2011

La Corde au cou

Claude Jasmin, La Corde au cou, Montréal, Le cercle du livre de France, 1960, 233 p.

« Pourquoi aurais-je du remords? Pourquoi continuer d’y penser? Elle est morte. Morte bien avant d’avoir avalé l’eau de la piscine. Là-haut, dans la chambre du vieux, elle a dû étouffer. Oui, oui, c’est cela. Elle avait commencé à mourir au moment même où nous sommes arrivés ici. » (incipit)

Sainte-Agathe. Le narrateur vient d’assassiner sa maîtresse infidèle (Suzanne) en la noyant dans une piscine. Ils avaient été invités chez des richards, les Driftman, et Suzanne en avait profité pour coucher avec le patriarche. Le reste de l’histoire évolue sur deux plans. D’une part, on suit la cavale du meurtrier, sa course le menant de Saint-Jérôme à Saint-Joseph-du-lac, souvent à travers champs. Il rencontre sur son chemin des ouvriers qui nettoient les bords de la route, une serveuse de restaurant qui l’aide, un vieux paysan qui, l’ayant reconnu, essaie de l’extorquer. Personne ne le dénonce. D’autre part, le narrateur raconte sa vie antérieure : son enfance malheureuse entre un père ivrogne et violent et une mère qui danse dans des cabarets, sa vie de petit « bum », l’école de réforme, sa rencontre avec un vieux paysan, Ubald, chez qui il allait faire les foins l’été, sa participation à la guerre, sa vie à Paris, ses différentes tentatives pour s’intégrer aux milieux intellectuels et aisés, sa rencontre avec Suzanne. Le roman se termine de façon tragique : il a retrouvé Ubald, son père d’été, un vieux paysan qui l’accueillait quand il quittait l’école de réforme, la seule personne qui l’ait aimé. Découvrant que celui-ci l’a dénoncé à la police, il le tue. Il s’installe au grenier avec le fusil d’Ubald et attend l’assaut des policiers.

Le narrateur, publicitaire dans un journal ouvrier, est un meurtrier peut-être trop classique. Enfant abandonné de ses parents, violenté, il a fait l’école de réforme. Il est allé à la guerre, puis a essayé vainement de se faire une place dans la société.  Jasmin rend bien le fossé entre deux mondes, celui des riches qui ont accès à la culture et celui des pauvres juste occupés à leurs petites combines.

Le récit est bien construit, les chapitres de réminiscences alternant avec ceux du présent de narration. Il y a une unité de chapitre.

Le roman prend la forme d’un long monologue intérieur. L’action est donc renvoyée en arrière-plan, laissant toute la place au discours du « criminel ». A trop vouloir faire passer le récit par le monologue intérieur, le rendu de l’action en souffre parfois. Le choix d’un narrataire (une vache, un chien) n’est pas toujours heureux.

Ce roman introduit le thème de la violence dans la littérature québécoise. On comprend que le cinéma s’en soit emparé. Le style de l’auteur est vif, dynamique. Il me semble que les personnages sont largement inspirés du roman noir américain : par exemple, Suzanne, la belle fille naïve, s’accroche à tous les hommes qui peuvent la sortir de la dèche.

La Corde au cou  annonce mieux le discours fleuve des années 1960 que Le libraire,  paru la même année, esthétiquement accroché à la littérature française de l’après-guerre. Claude Jasmin a reçu le prix du Cercle du livre de France pour ce roman. Il semble que c'est l'influence de Robert Laffont, invité par le jury à donner son avis, qui ait fait pencher la balance en sa faveur. Les jurés, jusque là, privilégiaient Les Pédagogues de Bessette.


Claude Jasmin - Photo : MacClean
Extrait
Cette corde a servi à quelque chose. Ubald, mon vieux père, tu fais aussi un beau mort, tu as toujours été beau, Ubald. Tu comprenais, mon vieux je ne pouvais pas te laisser vivre, tantôt. Tu aurais continué d'être heureux et paisible, sans moi. « Tantôt, » je ne pouvais pas admettre cela. Maintenant, je ne sais plus ! Le grand soleil m'a quitté, s'en est allé rejoindre les nuages gris, est parti m'attendre ailleurs ! Sois tranquille, ta vieille s'est endormie, n'a rien entendu. Elle ne se réveillera pas avant demain. Alors, elle passera encore une bonne nuit... Salut Ubald, sois content, tu ne pourras plus trahir personne. Tiens, voici ton chat, le poil encore raide. Je le dépose sur tes genoux ... Adieu !
***
Bravo, les grillons, chantez-lui un beau service ! L'air est encore bon à respirer, c'est un vrai miracle ... Là, vraiment, je me sens soulagé. Je n'ai plus personne, personne au monde. Plus rien, là je suis vraiment seul. Ça n'a pas été long à faire table rase. Là, je ne crains plus rien, plus personne. Là, enfin, je vais pouvoir commencer à me venger, sans m'en faire. Je vais tuer vraiment. Car maintenant, je ne sais plus où aller. Maintenant, il n'y a plus d'asile, plus de cachette, plus de retraite... Je n'aurai plus besoin de nuages, ni de soleil noir.
***
Ubald, puisque je t'aimais, il fallait bien te tuer. Qui veut d'un grand soleil noir comme un parapluie triste ? Qui en veut ? Car moi, je m'en vais très loin. Oui, il faut que je parte, en pleine nuit. J'ai beaucoup à faire, il y a mon vieux père dans son hospice misérable, il y a ma mère, quelque part, dans un bouge sans nom. Aurai-je le courage de me venger de tous? Je n'ai plus de ressort. J'ai envie de tout pardonner.
***
Ah! il y a encore quelqu'un sur mon chemin. Pas déjà? Ubald avait pourtant dit demain matin? Il vous avait fait promettre, demain matin! Bon je veux bien ... attendez-moi... la carabine d'Ubald fera l'affaire ... Retournons au grenier ...
***
Où tirer sur une automobile arrêtée ? C'est vaste... Quelle belle vue de ce grenier ! Tirons n'importe où puisqu'il s'agit de se faire tuer... Ne faisons pas de manières, j'ai été si mal élevé... mais c'est consolant de savoir que j'achève d'être mal élevé !

Claude Jasmin parle de son roman sur son blogue Poing comme net
Lire certains commentaires sur le roman dans Le Dictionnaire sur la censure
Claude Patry en a fait un film, mettant en vedette Andrée Lachapelle et Guy Godin,  qu’on peut voir sur Éléphant

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