Il y a chez Michel Garneau une belle urgence de vivre. Comme si la chose n’allait pas de soi, il s’exhorte à ne rien laisser passer, plaisirs des mots, plaisirs des autres, plaisirs de la table, plaisirs des saisons, plaisirs de l’amour, plaisirs sexuels.
Il l’a déjà
dit et il le répète : la clef de voûte d’une vie heureuse, c’est l’amour.
et les saisons mes quatr'incomparables
et tout ce qui se mange et nous mange et le feu
les animaux le vent d'automne et les amis
ne sont rien ne sont rien ne sont rien
à côté de l'incandescence des amours
qui nous mènent qui nous mènent
en haut de la vie même
L’amour,
l’amour physique, l'amour chaleur, l'amour paysage, l’amour tendresse :
il y a deux
seins de chaleur ronde
comme des nuages cueillis par un lac
en plein sur ta poitrine mon amour
et ton ventre est une baie des chaleurs
et ton sexe un courant chaleureux respirant
et tu es pleine de coussins de coussinets
de racoins duveteux de recoins soyeux
de petits coins précieux sans angle
de creux arrondis de profondeurs apprivoisables
On comprend
que la recherche du bonheur est une bataille au quotidien, d’abord avec soi-même
:
et j’ai mes
jours de taupe taponne
et de rat tremblant de bison ravagé
de crocodile menteur de cochon vantard
de fausse hyène de pou lyrique
d’araignée achalante de lynx opprimant
de butor culpabilisant de buse obscène
de cloporte prétentieux
et je suis bien sûr un renard naïf
un grand codinde
Comme on vient de le lire dans ce qui
précède, Garneau met en place tout un bestiaire pour parler de lui, chaque
animal présentant une caractéristique à laquelle il s’identifie ou non. Ainsi en
est-il des « petits chevals » du titre : « les chevals sont
des animaux doux et calmes »; ainsi, de ses accointances avec les
lièvres : « nous sommes toi et moi des fragilités »; ainsi, de l’écureuil
qui ne cesse de s’agiter : « j’aperçois vraiment / des écureuils dans
les arbres du néant ».
Le recueil se termine, par un long
poème-bestiaire, dans lequel une trentaine d’animaux sont nommés, pour
représenter la vie riche, grouillante, inépuisable, si bonne à vivre : « les
ptits oiseaux transportent l’éternité ».
Recueil admirable, sans doute l’un des
plus agréables à lire des années 1970-1980. Au point de vue du contenu, il
n’ajoute rien aux précédents, mais stylistiquement parlant, Garneau
a trouvé sa voix, dans un heureux mélange d’oralité et de littérature, en
contraignant le souffle qui avait tendance à déborder dans ses premiers œuvres.
notre amour
n'est plus naïf
et il a ses racines noires
notre amour a
dépassé
le fragile des images
notre amour va
quotidien
car il vit dans l'évidence
notre amour
n'est plus à part
il a un nom qui nous ressemble
mais dans la
rage que j'ai
de travailler dans mon pays
vers la liberté
de tous
à travers les eaux du langage
et dans la
lutte à dompter
les habitudes du désespoir
à force de
chanter haut
de chanter fort dans la bataille
j'oublie
parfois souvent
la tendresse de la promenade
Michel Garneau sur
Laurentiana
Lan ga ge, 1962
Langage I : vous pouvez m'acheter pour 69 cents,1972
Langage II : blues des
élections, 1972
Langage III : l'animal humain, 1972
Moments, 1973
Langage IV : j'aime la littérature, elle est utile,
1974
Langage V : politique, 1974.
La plus
belle île, 1975
Les petits chevals amoureux, 1977
Élégie au génocide des nasopodes, 1975,
1979
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