8 mars 2024

Mon cheval pour un royaume

Jacques Poulin, Mon cheval pour un royaume, Éditions du Jour, 1967, 130 pages. (Coll. Les romanciers du jour, R 23)

Le premier roman de Jacques Poulin est très court. Si on enlève les pages blanches, il ne fait pas 100 pages. Le contenu est plutôt disparate. Par moment, on lit un récit très simple comme Poulin en fera par la suite; ailleurs, la description ou le discours discontinu de la conscience envahissent le récit. Poulin cite L’année dernière à Marienbad de Robbe-Grillet, ce qui constitue peut-être une influence.

Si on exclut les retours en arrière, l’action se déroule sur deux jours. Poulin raconte une histoire à deux volets. Le narrateur principal, l’écrivain Pierre Delisle, et un caléchier nommé Simon partagent l’amour de la même fille (Nathalie). Un jour, on retrouve la calèche sans son caléchier sur le pont de l’île d’Orléans. Le caléchier s’est jeté dans le fleuve. Pourquoi? Simplement parce qu’il avait décidé que 40 ans (c’est son âge), ça suffisait. L’histoire d’amour à trois se continue cependant avec l’apparition de Mathieu, un double de Simon aux yeux de Nathalie. 

L’écrivain est aussi un « anarchiste » : c’est le second volet. Il a proposé au Front de faire sauter un monument. Il se rend à la Gare du palais, on lui remet une bombe qui, pendant la nuit, va pulvériser la statue d’un soldat anglais dans le Parc de l’Esplanade, près de la Porte Saint-Louis, où logent des calèches. 

Cette double action nous rappelle Prochain épisode d’Aquin. L’intérêt du roman tient en partie à la description du Vieux-Québec. Jacques Poulin, deux ans plus tard, publie Jimmy, un roman beaucoup plus achevé, dans lequel il trouvera sa « manière ». 

Extrait

Personne n’a beaucoup parlé pendant notre retour à la Place d’Armes. Là, Simon a abandonné la calèche. Je trouve que ce n’est pas prudent; il a dit qu’il voulait marcher un peu.

Nous avons suivi le parcours habituel : rue des Remparts, d’Auteuil, Sainte-Geneviève, et retour en marchant sur les murs jusqu’à la Porte Saint-Jean. La même impression — que le triangle formé par les murs s’était resserré — m’est encore venue. Il m’a semblé aussi que le Vieux-Québec avait commencé à mourir.

Nous remontons la rue de la Fabrique, Nathalie entre nous deux; nous nous arrêtons en face de la Basilique.

Je regarde Nathalie, qui aussi me regarde. Je me dis la douceur de sa peau, la chaleur de son lit. Je ne sais à quoi elle pense, n’ayant pas comme elle cette faculté de lire dans la pensée; il me faut un mot, un signe. J’attends.

À la longue, je finis par découvrir dans ses yeux une sorte de désordre: les cils battent très légèrement. Patiente, elle a attendu sans doute que je m’en aperçoive. Ces battements me révèlent l’intrusion entre nous deux d’une troisième personne; je me tourne vers Simon. Lui aussi regardait Nathalie. Il n’est jamais facile de savoir ce que pense le caléchier, mais les yeux de Nathalie reflètent à mon intention le désir de Simon. Lui et moi, nous ressentons le même besoin. Ce n’est pas désagréable. Nous avons en commun le même désir. (p. 39-40)

Jacques Poulin sur Laurentiana
Jimmy

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