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22 mars 2024

La cité dans l’oeuf

Michel Tremblay, La cité dans l’oeuf, Montréal, Éditions du Jour, 1969, 181 p. (Coll. Les romanciers du jour R-38)

François Laplante hérite d’une somme colossale d’un oncle dont il ignore même le nom. Pour obtenir son héritage, il doit se rendre dans un pays africain du nom de Paganka. Là, il découvre que son oncle exploitait des mines de graft et qu’il possédait tout un village habité par des Louniens, qu’on appelle aussi les hommes bleus. Tout va pour le mieux, il s’attache même au lieu et aux gens. Un jour, il découvre dans l’immense villa que son oncle lui a léguée un mystérieux œuf de verre. Les Louniens l’ayant aperçu avec l’œuf, porteur de maléfices selon eux, changent du tout au tout et veulent le tuer s’il ne s’en défait pas sur le champ. Il réussit à s’enfuir avec l’œuf.

Quelques années plus tard, François Laplante fils en hérite. Il est fasciné par l’œuf : il l’observe, le manipule, le traîne partout et il en rêve. Il perçoit qu’il y a de la vie à l’intérieur.  Il va réussir à y pénétrer et il découvre qu’il abrite une cité. 

« Je levai donc le bras et plaçai l’œuf entre la lune et mes yeux. Une chose extraordinaire se produisit alors : la lune disparut complètement dans l’œuf et celui-ci sembla frémir dans ma main. La lueur qui l’illuminait vibra, ondula, tourna sur elle-même et se déroula comme un nuage. Et l’Œuf se mit à mollir, devenant peu à peu comme une boule d’eau que j’aurais pu percer, pénétrer, fouiller. Soudain, au cœur de cette boule d’eau brûlante, la Cité m’apparut telle que je l’avais aperçue dans mes rêves : attirante comme un aimant, belle et majestueuse et surtout flamboyante comme un diamant. La Cité était dans l’œuf ! Je tenais la Cité dans ma main ! Elle était enfin devant moi, bien réelle et . . . Oui ! Oui ! Accessible ! »

Ce qu’il ignorait c’est qu’en pénétrant dans l’œuf, il allait se retrouver dans un panier de crabes. Dans la cité, il découvre un monde très ancien, mythologique, à moitié détruit.  Chacun des cinq quartiers de la cité est habité par un dieu ou une déesse et plusieurs êtres aussi étranges les uns que les autres. Laplante est perçu comme un sauveur. Tout ce monde veut en quelque sorte se servir de lui. Il y a des milliers d’années, Ghô, le dieu de la beauté a été transformé en un nain hideux et cruel par Ismène, sa mère. Il veut se venger en utilisant Laplante pour quitter l’œuf après l’avoir détruit. Pour y arriver, il lui faut tuer les « les Khjœns, les Suppliantes, les déesses qui crient le Temps ! Sans elles, les autres dieux n’existeraient pas. La Cité disparaîtrait. »  

Je n’expliquerai pas comment Laplante passe d’un quartier à l’autre, mais dans chacun des quatre autres, il va rencontrer des êtres qui vont lui demander d’éliminer Ghô afin de sauver la cité. Il rencontre Lounia, la « déesse de verre » qui l’hypnotise par son chant; Waptuolep et Anaghwalepdes, jumeaux fusionnels, dieux de la guerre, qui sont contre la guerre; Wolftung le solitaire « au cerveau démesurément développé », enfermé dans sa tour; la déesse-mère Ismonde et M’ghara, le « père de tous les dieux », les deux « drapés dans leur costume de métal ». Les dieux et déesses sont entourés, comme je l’ai déjà dit, d’une panoplie de créatures, mélange de minéral et d’animal : les Warugoth-Shalas « dieux triangulaires aux ailes diaphanes » et les oiseaux-hyènes « gargouilles de pierre » volantes, des êtres à dimension variable. 

Finalement, n’ayant pas réussi à éliminer Ghô, Laplante est expulsé de la cité, « comme si l’œuf [l]e vomissait », sans pour autant en être libéré : 

Oui, Ismonde a crié mon nom!

Vingt-cinq jours se sont écoulés depuis mon retour et la Lune est de nouveau ronde comme un œil maléfique ! La vie reprend peu à peu dans l’Oeuf sacré et tous les dieux m’attendent, la rage au cœur ! Si Ghô a assassiné un Grand Prêtre à chaque cérémonie depuis mon départ il n’en reste plus qu’un !

J’ai entendu la voix de la déesse-mère et je sais que les Warugoth-Shalas vont venir me chercher ! J’ai peur ! Je veux sauver la Cité, je veux devenir un Grand Initié, connaître les secrets de tous les Mondes existants et surtout sauver la Terre mais comment ferais-je pour atteindre le quartier de Wolftung avant qu’il ne soit trop tard ? Si Ghô tue les deux Suppliantes avant que je n’aie pu l’en empêcher, le Monde entier est condamné à mourir dans l’ignorance ! Et si Ghô s’empare de moi et m’oblige à le ramener sur la Terre après avoir détruit l’Œuf sacré de M’ghara, la planète entière est condamnée à périr sous son joug ! (p. 181)

Michel Tremblay a écrit ce roman, lors d’un séjour à Acapulco, entre janvier et mars 1969. C’est tout simplement renversant. Le roman n’est peut-être pas parfait, mais génial en matière d’invention et si bien écrit. Le seul reproche : il est parfois un peu difficile à suivre avec ses chapitres « intercalaires ». Pour bien faire, il faudrait le lire deux fois.

Tremblay, dans La cité dans l’œuf, développe une intrigue déjà esquissée dans la nouvelle « L’œil de l’idole » parue trois ans plus tôt dans Contes pour buveurs attardés. Il reprend aussi le personnage du Warugoth-Shala dans la nouvelle du même nom.


Michel Tremblay sur Laurentiana

Contes pour buveurs attardés

1 commentaire:

  1. « Je voulais faire de La cité dans l’œuf un roman fantastique structuré comme une histoire policière, le suspense policier étant presque plus important que le fond imaginaire. François Laplante fils, le héros, est non seulement victime d’une histoire abracadabrante plus grande que lui, mais il en est aussi l’investigateur, le "Maigret", la "Miss Marple". Je crois qu’il faut suivre les aventures de François Laplante fils sans trop essayer d’en décortiquer les symboles, comme on lit un bon roman policier sans chercher à surprendre les invraisemblances. » — MICHEL TREMBLAY

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