Ulric-L. Gingras, Du soleil sur l'étang noir, Montréal, Éditions Albert Lévesque,
1933, 180 pages. (Bois
gravés de Rodolphe Duguay)
La présentation du recueil est très soignée : papier de qualité, illustration
en frontispice, vignette au début de chacune des parties
et qualité des bois de Duguay. En 1934, Du soleil sur l'étang noir s’est mérité le prix
Archon-Despérouses et la bourse de 500 F offerte par l’Académie française. Le
titre de chacune des six parties est bien choisi. Le livre est dédicacé à
quelques personnages bien connus : Jacques Bureau, Albert Tessier,
Gonzalve Desaulniers, Maurice Duplessis et Alphonse Désilets. En exergue, on
lit : « Ce livre sans prétention, où le beau n’est représenté que par
l’amour si fervent que je porte aux choses du terroir. » Du point de vue
formel, on trouve quelques sonnets et quelques
rondeaux, mais la plupart des poèmes sont de forme libre mais écrits en alexandrins.
Les sentiers
illusoires
Poèmes
d’inspiration romantique : la solitude, la mélancolie du soir, le temps
qui passe, les saisons qui meurent… « Les derniers chars de blé sont
rentrés au village. / C'est l'heure
mauve et calme où se meurt un beau jour / Qui fut tout de soleil, de travail et
d'amour; // Solitaires, les toits semblent se recueillir / Au fond du val
baigné de paix et de lumière. » (Champêtreries)
Gouaches
roses et croquis verts (dédié
à Clément Marchand)
Série de petits tableaux champêtres, légers, écrits en octosyllabes. Dans plusieurs poèmes,
un oiseau, un insecte ou un batracien animent le tableau : « Avec son
petit goitre blanc, / Ses gros yeux couleurs d'émeraude / Où toujours
l’hébétude rôde, / Le soir venu, battant du flanc, / Le crapaud s'attarde et
maraude. « (Le paria)
Sur
la route fervente
Le poète pleure une déception amoureuse, a le sentiment que le temps
des amours est passé et que seul un retour au pays de l’enfance peut lui
procurer le bonheur : « Je pose, en évoquant l'image du passé, / Ma
lèvre où le désir d'autrefois vient renaître.
// Et je t'aime encor plus d'un amour virginal / Dont je n'ai jamais su
me défendre et me taire » (Sur une
lettre)
Les rimes
retrouvées (pour Alfred
Desrochers)
Les poèmes ont tous comme thème la nature, mais dans un style qui
emprunte davantage au parnasse qu’au romantisme : « L'hiver, à coups
rageurs, cingle de sa lanière / Le corps du jour en croix sur le ciel
charbonneux. / Le soleil s'emmitoufle en un halo frileux / Que réfléchit la neige
ainsi qu'une verrière. » (Sonnet
d’hiver)
Au jardin clos du
rêve (pour Robert
Choquette)
Dans le premier
poème, un vieux pigeon pleure sur sa jeunesse perdue et par défi, « lance
le cri de sa détresse ». Pour le poète qu’il est devenu, « Faire un vers », « C’est
dérober à l’œil un peu de sa tristesse / Et s’enivrer du vin amer de sa
douleur ». Bref, amertume, déceptions, sentiments d’échec…
Dans la lumière
natale
On peut y lire un hommage aux aïeuls, mais aussi l’amour qu’on éprouve
pour un lieu où l’on vit depuis longtemps, la tendresse pour ceux et
celles (et même les bêtes) qui l’ont partagé : « Le paysan se meurt. Mais
avant de quitter / Ce petit coin du sol dont il était le maître, / Dans la
clarté du jour, auprès de la fenêtre, /
Émus, deux de ses fils sont venus le porter. // Autour de lui la paix règne
angoissante et lourde. / Une dernière
fois il a voulu revoir / Le verger, le rasis et, près de l'abreuvoir, / Ses
grands bœufs dont la voix monte lointaine et sourde. » (Dernier exorde). Bien entendu, le poète
se voit en quelque sorte porteur de ces sentiments, comme l’exprime la fin du
recueil : « Et quand les paysans, de frais endimanchés, / Descendront
vers la ville, aux jours de grands marchés, / Longeant la haie en fleurs de
l'étroit cimetière / Où, près des miens, j'irai dormir ma nuit entière, /
Ceux-là qui m'ont connu me devront cet aveu / D'avoir, d'un coeur fervent,
toujours chanté pour eux . . . » (Finale
idéaliste)
Sur Rodolphe Duguay
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