13 octobre 2017

Les sacrifiés

Olivier Carignan, Les sacrifiés, Les éditions du Mercure, Montréal, 1927, 228 pages.

Daniel vit chez ses grands-parents et travaille dans un bureau. Ses parents vivent pauvrement, les affaires du père allant mal.  Daniel se lie d’amitié avec Robert, un jeune bourgeois, ce qui lui permet d’intégrer le milieu intellectuel. Il entretient une relation d’amitié amoureuse avec Hélène, la fille de son patron, une amie de Robert. On le comprendra, il y a peu d’ouverture pour les intellectuels dans les années 20 au Québec. Le groupe décide de fonder une revue, laquelle va fonctionner pendant un an et cinq mois.

Dans la première moitié de ce roman, de conception plutôt inattendue, on a souvent l’impression d’être laissé en plan. Carignan amorce une action passe à autre chose. On dirait qu’il  cherche le fil de son récit. Tantôt il raconte la vie de sa famille ou celle de ses grands-parents, tantôt  celle du groupe des jeunes intellectuels auquel il est lié. Autrement dit, on se demande qui sont ces sacrifiés dont parle le titre. La génération de paysans qui a quitté la terre pour s’amener en ville ou les jeunes intellectuels, dont les écrits ne trouvent aucun écho ici ?

Dans la seconde partie, l’enjeu devient clair. Après l’échec de la revue, Daniel déprime. À la suite d’une remarque mesquine de son patron (le père d’Hélène qui ne l’aime pas beaucoup), il quitte son travail et fuit ses anciens compagnons. Il se replie sur sa famille. Finalement, son frère et sa famille l’aident à acquérir une épicerie. Hélène tente un rapprochement auquel il ne donne pas suite.

Comme on le voit, Carignan aborde des sujets intéressants. Celui qui est le mieux développé c’est la place qu’occupe la littérature et l’art en général au Canada français, surtout s’ils s’écartent des créneaux où on les cantonne. On comprend la difficulté pour un Canadien  français d’intéresser les investisseurs et les philanthropes, le bassin de lecteurs potentiels étant plutôt restreint.

Quelques extraits

« Un fort lien de sympathie s’est établi entre les deux nouveaux amis. Ils sont devenus de bons copains, selon le sens ému de ce beau mot qui reçut son baptême de feu pendant la dernière guerre. Robert appartient à l’élite de notre société. Daniel, lui, représente cette génération de jeunes qui, sortis des couches inférieures, tendent à monter par l’intelligence. »

« Elle marquait une tendance nouvelle. On ne se contentait plus du caractère délabré qui dénature certaines œuvres des aînés. On réclamait plus d’art subtil, plus de vérité nuancée, plus de simplicité ! La génération qui avait produit la Nouvelle Revue avait été formée aux meilleures sources du goût. Ses idées, en outre, ne dataient plus de cinquante ans. »

« L’œuvre était d’un aîné, un écrivain dont le nom figurait dans certains manuels — que leurs au­teurs ont ironiquement intitulés — de littérature canadienne. C’était encore une de ces histoires où l’auteur racontait, dans une phrase sans vie, sans couleur, les vieilles choses du temps de sa jeunesse: la grange, les vaches, le poulailler et le ber. Depuis vingt ans qu’il produisait, cet auteur, il avait toujours rabâché les mêmes sujets, sans les renouveler. »

«  Savez-vous ce qui fait la supério­rité des ouvrages de Lorand et de Jean ? observa Charles. C’est la simplicité. Simplicité de style, simplicité de texture et naturel partout. . . »

 « … cette Jeunesse qui a soif de beauté, d’idées larges, de vastes horizons. Ils le savent bien, les Sacrifiés, qu’ils sont nés trop tôt, qu’ils n’ont pas leur place dans notre société. Les plus inflexibles s'expatrient, vont chercher ailleurs une atmosphère adéquate à leur organisme. Et le pays perd ainsi de ses meilleurs éléments. Ceux qui demeurent se résignent paisiblement à former un milieu dans lequel leurs descendants pourront vivre. […] / Ces pauvres Sacrifiés ! Ils reprennent leurs sentiers étroits et ombreux, tandis que leur âme est attirée vers les sommets. Ils emportent les vestiges de leurs beaux rêves trop sensibles. Ne les plaignez pas. Ils ne sauraient vous comprendre. Ils ont fait généreusement le sacrifice de leurs chimères. Leurs yeux sont, à certains moments encore, illuminés par le feu inté­rieur qui les a si vite consumés. Ils peuvent vous fasciner par la magie de leur verbe, par la force de leur pensée, par la finesse de leur esprit. Mais ne leur demandez pas d’effort nouveau pour coordonner tout cela, pour rendre ces facultés productrices. Ils n’en ont plus la force. Nés dans un pays dont le mouve­ment intellectuel est à peine vieux d’un siècle, la vie a rapidement usé le peu d’énergie que des hérédités primitives leur avaient légué. Ils préfèrent rentrer en eux-mêmes et conserver leur sourire. Et c’est par là qu’ils sont superbes. / Mais ils restent toujours des Sacrifiés. Et bien d’autres viendront, qui auront le même sort, avant que se forme le noyau spirituel de la Nation. »


Ce roman mérite le détour. Hormis quelques scènes où les dialogues sont plutôt lourds, le sujet est exposé de façon pertinente. 

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