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7 octobre 2016

Ballades de la petite extrace

Alphonse Piché, Ballades de la petite extrace, Montréal, Fernand Pilon, 1946, 99 pages (préface de Clément Marchand, dessins d’Aline Piché)

Le recueil d’Alphonse Piché, prix David 1947, contient 34 ballades. La ballade est un poème à forme fixe que Francois Villon a rendu célèbre avec « La ballade des pendus ».  Tous les poèmes du recueil (sauf un) contiennent trois strophes de huit vers (des huitains) suivies d’un envoi de quatre vers. En théorie, le dernier vers, comme un refrain, est identique dans les quatre strophes. L’envoi doit toujours débuter par un vocatif. La ballade constituée de huitains est construite sur trois rimes.  Finalement, le nombre de vers de la strophe est égal au nombre de syllabes par vers (dans un huitain, huit syllabes). Disons que Piché prend tout au plus quelques libertés avec ces règles.

Clément Marchand emploie presque toute sa préface à vanter le « naturel » de l’auteur en dépit de la facture très classique de sa poésie. « Ce qui me plait dans ces frustres ballades d’Alphonse Piché, où plus d’un vers pourtant gauchit et se béquille, c’est un accent de sincérité qui ignore les feintes et les réticences. »

L’archaïque « extrace » du titre a probablement été emprunté à Villon : «  Pauvre je suis de ma jeunesse, / De pauvre et de petite extrace ». Aujourd’hui on emploierait les mots « extraction » ou « origine ».  

C’est à Jean Narrache qu’on pense en lisant ces ballades,  même si le langage est moins oral, plus recherché et parfois précieux quand il aborde le thème amoureux : « Douce Mignonne qu’aime tant, / Douce Mignone, fraîche et bonne ».  

Sur les 34 ballades, j’en n'ai relevé qu’une qui soit franchement optimiste : « Le printemps nait pour tous les cœurs » (Printemps). Tout le reste constitue une vision assez noire de l’humanité. Piché — tout comme Marchand, Coderre et Desrochers — s’intéresse aux petites gens : ouvriers, commis, vendeurs de journaux (les toppeux), chiffonniers; mais aussi aux vieux qui errent en attendant la mort et aux vieilles qui hantent les églises. Il décrit ceux et celles qui vivent à l’ombre des grands bourgeois, qui mènent une vie sans espoir dans des quartiers pauvres, dans les ruelles urbaines. « Qu’elle est dure cette existence / Aux petites gens des trottoirs »; « Nous voilà bien, gens de bureaux, / Figure blême et maigrelette »; « Comme les rats sur les parquets, / … / Les toppeux courent, gringalets ».

Son discours s’universalise parfois et c’est sur la destinée humaine qu’il se penche. Encore ici, la vision est plutôt désespérante. Plusieurs poèmes se terminent par l’évocation de la mort, parfois même de façon très naturaliste : « Dans une boîte de valeur / Nous voilà tassé le physique ». Quelques poèmes abordent respectueusement le thème religieux et Piché adopte l’attitude du pauvre ou vilain pécheur repentant, indigne de l’amour de Dieu. « Mon Dieu, recevez la prière / D’un pauvre pécheur maladroit ». Deux poèmes font allusion à la guerre qui vient de se terminer pour dénoncer le sort qui est fait aux soldats : « Blessés, crevés, vétérans, hères ». Quelques poèmes abordent le thème amoureux : la femme est inaccessible et le poète, rejeté.

Comme le dit Marchand dans sa préface, la syntaxe est parfois approximative, mais on sent que le « message est authentique et vrai ». Il faut considérer le parti-pris de dérision du poète pour bien mesurer son pessimisme, comme ce me semble très clair dans le grotesque du poème suivant :

La bière

Frères, buvons à plein gosier,
Buvons avec inconséquence
Ainsi que poissons et noyés
Et honni soit qui mal y pense!
Buvons la bière à pleine panse
Sous les bons ordres du Bon Dieu
Qui fit pour nous fortes dépenses,
Buvons la bière à qui mieux-mieux.

Allons, crevons tous les celliers,
Buvons chopes en abondance;
Sans crainte, arrosons le brasier,
Noyons remords et conscience,
Noyons misère et indigence,
Qu'enfin de ce monde ennuyeux
S'échappe un peu notre existence
Buvons la bière à qui mieux-mieux.

Buvons, chantons sous les rosiers,
Étouffons toute souvenance,
Saoûlons nos rêves estropiés
Qui nous sont tristes doléances
Les jours de jeûne et d'abstinence;
Chantons en chœur, buvons joyeux
Demain nous guette la souffrance.
Buvons la bière à qui mieux-mieux.

ENVOI
Buvons à perdre toute science,
Les artistes ne sont heureux
Que défunts ou sans connaissance.
Buvons la bière à qui mieux-mieux.

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