Suzanne Meloche, Les aurores fulminantes, Montréal, Les Herbes rouges, no 78, 1980, 43 pages (Illustrations : Michel Lortie) et dans Imaginaires surréalistes, Montréal, Les Herbes Rouges, 2001, pages 36 à 80, postface de François Charron.
Je ne suis pas entré en toute innocence dans Les aurores fulminantes. Je
viens de lire La femme qui fuit de la
petite-fille de l’auteure, Anaïs Barbeau-Lavalette, et j’ai revu l’immense film
de sa mère, Manon Barbeau, sur les Enfants de Refus global.
Meloche n’aurait pas signé Refus global
pour des raisons plus personnelles qu’idéologiques, si je me fie au roman La femme qui fuit : elle était frustrée
que Borduas refuse d’intégrer quelques-uns de ses textes et elle trouvait que
l’écriture du manifeste n’était pas assez aboutie. Sept femmes l’ont signé :
Madeleine Arbour, Françoise Riopelle, Françoise Sullivan, Louise et Thérèse Renaud,
Marcelle Ferron, Muriel Guilbault.
Ce qui ressort d’une première lecture, c’est la grande place du « je ». Un « je » martelé, accompagné le plus souvent d’un verbe qui traduit la volonté de changement et le désir d’agir. Ainsi dans le premier poème : « je sens, je tends la main, j’ai envie, je touche, je perçois, je bois, je recueille ». L’autre a peu de place dans ce défilement de « je », même quand l’auteure évoque le désir sexuel : « Je m’enroule à l’odeur des roses blanches / dans l’attitude prostituée des genèses triomphantes. » Le plus souvent, l’autre n’existe pas pour lui-même mais comme agent de libération ou partenaire d’émancipation, comme dans ce poème où elle évoque un « homme au bord de la danse » qui la regarde s’éclater sur la piste.
Il y a à l’intérieur de ce « je » entravé, dépossédé, un trop
plein difficile à porter : « Ô torrides esclavages! / Que brûle le prisme
inquiet des tours cinglantes ». Le « donjon des donzelles
endimanchées » n’est pas pour elle. Il n’en résulte pas une accusation, une
colère, un sentiment de révolte inhibiteur. Cet
état donne plutôt lieu à la volonté dure d’en découdre avec toutes les entraves
: « Je possède le noyau de la maturité. / Je bois le sucre des
récompenses. / Torche sibylline, orge coupant, / Ô longue apostrophe des
mâtures! »
Beaucoup de souffrances on le devine, mais pas d’apitoiement. Ce qui
compte pour la poète, c’est de fuir une situation intenable, de se libérer de
cette « brin de poubelle » : « Adieu escargots sous la
carpe élastique. / Mensonges dévorants. / Adieu croconphiles, sampouloques,
mirconsoles. / Adieu carlipèdes tuméfiés, tumeurs échancrures / vernissage
maculé / Adieu colossales fourberies d’esplanades. / Retournoiements
chatouilleux des ventres de plume. / Faibles embauchages à la gangrène d’estropié!
»
Et bien entendu, il y a cette « aurore fulminante », comme
ligne d’horizon pour aiguillonner son désir : « Voici l’heure au
parfum d’ébène. / Voici l’auge comme une étoile céramique. / La tendance
volupté au miroir de l’accomplissement. » La danse incarne ce moment de liberté
fulgurante auquel elle aspire : « Je danse comme un maniaque / joyeuse
acrobatie de mousseline. / Les bras, la jambe / le cou vers la pointe des
aspirations. / Soupir, âcreté du sang / dans le tourbillon. / Vent, tambour de
cachemire, / éperonne les cuisses martelées. / Nudité de chair-frisson / au
rythme hallucinant. / Barbare, cœur de bronze. / Peau pantelante. / Jeu, jeu
miroir d’écume. »
Comme on le perçoit dans les extraits, Meloche ne craint pas de transgresser les tabous de son époque, surtout en évoquant explicitement le
corps : les « couchers libidineux », les « organes
courroucées », la « verge de ta perfidie », la « carlingue
incestueuse », les « bouches alanguies », le « tremblotti
de ma chair »... Comme Gauvreau, avec qui elle a entretenu une relation
amicale et littéraire, elle invente des mots quand elle ne trouve pas celui qui
convient : « sulporal, macambres, escandres, ligation, épervielle,
hycore… »
C’est toujours difficile de juger de la valeur d’une œuvre qui se donne
autant de libertés. Disons simplement que certaines libertés verbales, souvent tonitruantes, peuvent sembler parfois un peu gratuites, ce qu'un éditeur compétent aurait pu corriger. Pourquoi
n’a-t-elle pas été publiée en 1949? Retournons au contexte. Gauvreau non plus
n’était pas publié en 49. Presque tous les recueils de poésie étaient édités à compte
d’auteur. Thérèse Renaud avait publié Les sables
du rêve en 1946 et Paul-Marie Lapointe, Le
vierge incendié en 1948 grâce à de généreux amis plus âgés. Refus global est lancé le 9 août 1948 et
Borduas perd son poste de professeur le 4 septembre. Comment aurait-il pu aider
une auteure à ce moment difficile de sa vie ? Le recueil méritait-il d’être
publié? Certainement. Meloche a quand même une voix qui détonne au cœur de la
grande noirceur.
En guise d’extrait voici le dernier poème du recueil :
Ô lac redouté des tendresses
souveraines
comme des yeux de velours.
Matin trop près du cœur.
Aile naissante au lancement
magnifique.
J’attends les auréoles
récompenses des évasions
solitaires.
L’aurore incandescente, merle
debout
à la note éparpillée,
comme un ruisseau dégoulinant
en colonnades blanches.
Si près des heures heureuses.
Émoi, sensible étreinte de mes
paumes
entre les éléments fournis de mes
rêves.
Je pige enfin à l’eau sablonneuse
comme une cuillère de soleil.Voir aussi Les automatistes