Octave Crémazie, Œuvres complètes d’Octave Crémazie, Montréal, Beauchemin et Valois, 1882, 543 pages. (L’Institut canadien de Québec)
Menacé par la justice, Crémazie quitte précipitamment le Québec à la fin de l’année 1862. Il va vivre 17 ans en France où il meurt en 1879 à l’âge de 52 ans. Son ami, Henri-Raymond Casgrain, sous l’égide de L’Institut canadien de Québec, s'est chargé de rassembler et de faire publier ses œuvres complètes, idée que Crémazie avait eue quelques années avant sa mort. Le recueil est divisé en trois parties.
Dans la première (98 pages), Casgrain présente l’auteur et reproduit 10 lettres, échelonnées du 2 avril 1864 au 30 avril 1877, qu’il a reçues de Crémazie. Il se permet parfois des commentaires, si bien que cette première partie des Œuvres complètes est aussi un peu la sienne. Avec ses deux frères, Crémazie tenait une librairie sur la rue de la Fabrique à Québec. Lecteur insatiable, le commerce l’intéressait bien peu : « Obligé par nécessité de s’occuper d’affaires pour lesquelles il n’avait ni goût ni aptitude, il les expédiait d’une main distraite… » La librairie était fréquentée par les Garneau, Taché, Ferland, Lemay, Fréchette… En quelque sorte, se réunissait dans l’arrière-boutique de la librairie le cénacle de la littérature canadienne-française de la fin des années 1850. C’était aussi l’époque de l’Institut canadien (qui aurait eu jusqu’à 2000 abonnés) et de la revue Les Soirées canadiennes (bientôt suivie du Foyer canadien). Quant à l’auteur lui-même, Casgrain le décrit ainsi : « Au physique, rien n'était moins poétique que Crémazie : courtaud, large des épaules, la tête forte et chauve, la face ronde et animée, un collier de barbe qui lui courait d'une oreille à l'autre, des yeux petits, enfoncés et myopes, portant lunettes sur un nez court et droit, il faisait l'effet au premier abord d'un de ces bons bourgeois positifs et rangés dont il se moquait à cœur joie… »
Dans la première (98 pages), Casgrain présente l’auteur et reproduit 10 lettres, échelonnées du 2 avril 1864 au 30 avril 1877, qu’il a reçues de Crémazie. Il se permet parfois des commentaires, si bien que cette première partie des Œuvres complètes est aussi un peu la sienne. Avec ses deux frères, Crémazie tenait une librairie sur la rue de la Fabrique à Québec. Lecteur insatiable, le commerce l’intéressait bien peu : « Obligé par nécessité de s’occuper d’affaires pour lesquelles il n’avait ni goût ni aptitude, il les expédiait d’une main distraite… » La librairie était fréquentée par les Garneau, Taché, Ferland, Lemay, Fréchette… En quelque sorte, se réunissait dans l’arrière-boutique de la librairie le cénacle de la littérature canadienne-française de la fin des années 1850. C’était aussi l’époque de l’Institut canadien (qui aurait eu jusqu’à 2000 abonnés) et de la revue Les Soirées canadiennes (bientôt suivie du Foyer canadien). Quant à l’auteur lui-même, Casgrain le décrit ainsi : « Au physique, rien n'était moins poétique que Crémazie : courtaud, large des épaules, la tête forte et chauve, la face ronde et animée, un collier de barbe qui lui courait d'une oreille à l'autre, des yeux petits, enfoncés et myopes, portant lunettes sur un nez court et droit, il faisait l'effet au premier abord d'un de ces bons bourgeois positifs et rangés dont il se moquait à cœur joie… »
Que raconte le poète dans ses lettres? Il parle bien un peu de ses propres malheurs, surtout de sa santé chancelante. Mais là n'est pas l'essentiel. Le plus souvent, c'est sur la littérature qu'il échange avec Casgrain. Ce dernier le pousse à compléter certaines œuvres, dont « La promenade aux trois morts ». Crémazie lui rétorque que son œuvre ne vaut pas la peine (fausse modestie?) qu’on s’y attarde autant. On le sait, Crémazie n’écrivait pas ses poèmes, mais les mémorisait. Sans doute Casgrain craignait que ceux-ci se perdent. Il a raison puisque dans une lettre datée des années 70, Crémazie lui avoue avoir oublié certains vers : « Je vous avais promis de vous envoyer la fin de mon poème des Trois morts. J'ai travaillé, dans ces mois derniers, à remplir ma promesse. Vous savez que j'ai toujours eu l'habitude de ne jamais écrire un seul vers. C'est seulement lorsque je devais livrer à l'impression que je couchais sur le papier ce que j'avais composé plusieurs semaines, souvent plusieurs mois auparavant. Il se trouve maintenant que j'ai oublié presque tous les vers faits il y a bientôt sept ans. » (p. 69) Avec le temps et malgré ses promesses réitérées, on finit par comprendre que Crémazie ne complétera jamais son poème.
Même à Paris, Crémazie semble suivre de près l’actualité littéraire de Québec, du moins dans les premières années de son exil. Il déplore la régression de la revue Le Foyer canadien et le peu de progrès de notre littérature. Il fait état de la pauvreté culturelle du milieu, des conditions matérielles qui sont faites à l’écrivain et de la faiblesse de la critique littéraire pour expliquer l’éclosion timide de notre littérature. À ce propos, il vaut la peine de citer deux passages célèbres :
« Dieu seul connaît, dites-vous, les trésors d'ignorance que renferme notre pays. D'après votre lettre je dois conclure que, loin de progresser, le goût littéraire a diminué chez nous. Si j'ai bonne mémoire, le Foyer canadien avait deux mille abonnés à son début, et vous me dites que vous ne comptez plus que quelques centaines de souscripteurs. À quoi cela tient-il ? À ce que nous n'avons malheureusement qu'une société d’épiciers. J'appelle épicier tout homme qui n'a d'autre savoir que celui qui lui est nécessaire pour gagner sa vie, car pour lui la science est un outil, rien de plus. » (p. 28-29)
« Ce qui manque au Canada, c'est d'avoir une langue à lui. Si nous parlions iroquois ou huron, notre littérature vivrait. Malheureusement nous parlons et écrivons d'une assez piteuse façon, il est vrai, la langue de Bossuet et de Racine. Nous avons beau dire et beau faire, nous ne serons toujours, au point de vue littéraire, qu'une simple colonie ; et quand bien même le Canada deviendrait un pays indépendant et ferait briller son drapeau au soleil des nations, nous n'en demeurerions pas moins de simples colons littéraires. » (p. 40)
Un certain M. Thibault a fait une critique de son œuvre dans Le Foyer canadien. On comprend que, malgré beaucoup d’éloges, surtout pour ses poèmes patriotiques, ce M. Thibault avait des réserves sur sa « Promenade aux trois morts ». Crémazie en profite pour expliquer à son ami Casgrain ses goûts littéraires. Malgré son respect du classicisme, il endosse totalement les esthétiques de son siècle, soit le romantisme et le réalisme. « Pour moi, tout en admirant les immortels chefs-d'œuvre du XVIIe siècle, j'aime de toutes mes forces cette école romantique qui a fait éprouver à mon âme les jouissances les plus douces et les plus pures qu'elle ait jamais senties. » (p. 43) Tout romantique qu’il soit, l’écrivain n’admet pas qu’on puisse étaler ses propres malheurs dans ses œuvres. « Je ne veux pas me servir de mes souffrances comme d'un moyen d'attirer sur moi l'attention et la pitié, car j'ai toujours pensé que c'était chose honteuse que de se tailler dans ses malheurs un manteau d'histrion. Dans mes œuvres, je n'ai jamais parlé de moi, de mes tristesses ou de mes joies, et c'est peut-être à cette impersonnalité que je dois les quelques succès que j'ai obtenus. » (p. 58)
Plus on avance dans les années, plus on sent que Crémazie se désintéresse de la littérature canadienne. Il semble avoir cessé d’écrire, du moins de la poésie. L’exil, la solitude, la maladie, l’échec, les désillusions suite à des promesses non tenues, voilà ce qui trace un portrait bien pathétique de l’aventure parisienne de notre premier poète national.
(à suivre : la poésie de Crémazie)
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