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23 août 2009

Journal d'Anatole Laplante

François Hertel, Journal d’Anatole Laplante, Montréal, Serge Brousseau, 1947, 146 pages.

Dans ce recueil, où plus que jamais la part de fiction est mince, on assiste à la mort du récit. Hertel a écrit Journal d’Anatole Laplante pour se débarrasser une fois pour toutes de Laplante et Lepic. Il faudra attendre la conclusion pour que l'homicide narratif s’accomplisse : « Je sens le besoin de terminer cette histoire de Lepic et de Laplante. Ces gens-là ont assez vécu, il n'est que temps de dire: paix à leurs cendres! Ce soir, je suis assis entre Lepic et Laplante. L'un est à ma droite, l'autre à ma gauche. Je les regarde tour à tour, avec un air venimeux. Vous allez mourir, leur dis-je. Ils ne répliquent pas. Ils attendent la mort, placidement, comme des bœufs. Ils ne souffriront pas. Ils savent bien d'ailleurs que le coup de plume ne tue pas et que si je cesse de les faire vivre d'une manière, ils continueront de vivre d'une autre. Au moment où je boucle la boucle de leur histoire, ils comprennent que je ne vais que compléter leur état civil. Adieu Lepic, adieu Laplante! Ça y est: vous n'êtes plus, je ne terminerai pas votre histoire. L'un de vous est perdu au loin, dans un de ces pays d'où l'on ne revient guère; l'autre s'est perdu dans la philosophie. » De là à dire que c’est l’essai philosophique qui finit par avoir la peau de nos deux compères, il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement.

Dans la première partie, la plus intéressante, on est presque en présence du journal qu’annonçait le titre. Laplante relate les différentes étapes de sa vie, de l’enfance à la quarantaine, l’âge de Hertel lorsqu’il publie ce livre. Tout y passe : la famille, l’école, la petite enfance, l’adolescence, le doute, les premiers émois amoureux, le sport, les premiers écrits. Et parfois Hertel déborde de son sujet : il consacre un chapitre à Claudel, un autre à la France (« Du monde, ôtez la France, il ne reste rien du tout. »).

La deuxième partie est beaucoup plus aride. C’est le philosophe qui prend le stylet. On a droit au « Petit traité du dedans », à l’ « Examen de conscience philosophique », à la « Défense de Dieu »... Pour être bien honnête, j’ai survolé cette partie. Alors si les limites de la raison, l’opposition des différents types de raison, les imperfections du langage, l’importance de la foi, Saint-Thomas d’Aquin, les liens entre le spirituel et l’intellectuel, le lien entre le corps et l’âme, la place de l’homme dans l’univers sont des sujets qui vous intéressent, alors cette partie est pour vous.

Je termine donc cette trilogie qui, selon moi, compte au moins un livre de trop. Je comprends que l’histoire littéraire n’ait pas fait une grande place à Hertel. Ce n’est pas un grand littéraire. De plus, le fait que ses personnages doivent continuellement disputer leur place à l’auteur finit par agacer.

Extrait
Veut-on savoir comment j'ai conquis la maturité ? Il me semble que cela importe beaucoup à la postérité. La chose s'est accomplie tout simplement, après de longues années d'apprentissage. J'ai appris à attendre. Voilà! La maturité se conquiert au prix de l'usure. Plus on est usé, plus on est mûr! Attendre. C'est cela qui est difficile. L'enfant veut immédiatement ce qu'il veut. L'adolescent cherche à vivre toute sa vie à chaque instant. L'être mûr attend que la vie s'offre, qu'elle continue de s'offrir, pour la déguster lentement.
Être mûr, c'est être en voie de pourriture. La pourriture, c'est le repos après la vie. Pourri d'expérience, ou de littérature, ou du contact avec la terre et l'air, l'homme mûr s'en va, comme un bon fromage, à sa destinée savoureuse.
Un bon matin, soudain, je me sentis mûr. Cela vint comme une syncope. La syncope est le mal des gens mûrs. J'étais mûr parce que je devenais lucide. Quand on sait à peu près ce qu'on est, quand on prend un peu conscience du but où l'on tend, quand on a conquis ces deux formes d'humilité, et quelques autres aussi, c'est qu'on a mûri. (p. 37)

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