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18 août 2009

Anatole Laplante curieux homme

François Hertel, Anatole Laplante curieux homme, Montréal, L’Arbre, 1944, 165 pages. (Couverture de Pellan)

Ce roman, la suite de Mondes chimériques, est plutôt un recueil de nouvelles. Il compte trois parties : Anatole Laplante se souvient, Anatole Laplante s’évade et Rentrée en scène de Charles Lepic. Certains chapitres sont racontés par un narrateur externe, d’autres par Laplante lui-même.

Anatole Laplante se souvient
Chaque chapitre nous offre une facette d’Anatole Laplante. Dans le premier, l’auteur rappelle le départ de Lepic, soi-disant pour la Nouvelle-Zélande, et la mission qu’il lui avait laissée : penser par lui-même et créer, tâche à laquelle Laplante s’est attelé. Même parti, Lepic continue de hanter les rêves de Laplante. La journée typique de Laplante se déroule ainsi : il se lève, prie, travaille, se promène, reçoit la visite en soirée de jeunes poètes. Admettons que cette vie d’intellectuel retranché dans sa tour semble assez rétrécie : pourtant, Laplante a déjà vécu un grand amour malheureux, son meilleur ami lui ayant ravi la femme de ses rêves. D’autres événements, plus extérieurs, furent aussi marquants pour lui : par exemple, en voulant aider une orpheline et son père, il découvre la misère ambiante.

Anatole Laplante s’évade
Laplante, las de sa vie montréalaise, décide d’aller vivre à Québec, chez son vieil oncle le docteur Trudeau. Il décrit Québec comme une petite ville de province, bourgeoise et conservatrice. Les Trudeau ont deux fils, dont un est artiste visuel. Laplante essaie de le convaincre de son talent pour l’inciter à développer son art.

Rentrée en scène de Charles Lepic
C’est d’abord en rêve que Lepic apparaît à Laplante. On pourrait même dire qu’il lui transmet ses idées par ce moyen. Lepic critique durement le peuple québécois, trop mou, et appuie fortement sur la thèse nationaliste : « Au pays de Québec, vous êtes trois millions d'hommes sans grande fierté. Il suffit pourtant de quelques hommes fiers. Ceux-ci choisissent et choisiront — et ils auront des fils — d'appartenir à une nation plutôt qu'à un troupeau exsangue d'assimilés. Le jour où un homme, un seul, a choisi cela, si cet homme est fort— et il l'est toujours — les faibles sont condamnés à marcher, un soir ou l'autre, pour donner raison à celui-là. Ils marcheront donc en rechignant et ils ne sauront pas où ils vont. »

Puis, suit un chapitre intitulé « Le fou » qui, de prime abord, ne semble pas relié au reste. On apprend au chapitre suivant que ce personnage, qui simule la folie, n’est nul autre que Lepic, qui a choisi de se retirer dans un asile plutôt qu’en Nouvelle-Zélande. Laplante, toujours aussi tourmenté par Lepic, en avait eu l’intuition. C’est lui qui l’aide à quitter l’asile. Les deux se rencontrent et Laplante écoute les critiques que Lepic formule à propos de Mondes chimériques. Encore une fois, Lepic réitère son credo au profit de Laplante : il faut se libérer de toutes les influences, penser par soi-même. Dans le dernier chapitre, « La danse des personnages », Laplante philosophe sur la construction de l’identité, sur le rôle des influences. Il essaie de retracer le cheminement de son Laplante : « ... c’est un homme qui s’acharne à conquérir la modestie, à découvrir le peu de place qu’un homme occupe dans le monde et à s’inscrire dans ce petit lieu sans que l’amour-propre en souffre. [...] D’autre part, Anatole Laplante est un être qui cherche à vivre totalement, par tous les pores de son être. »

Vous l’aurez compris, la trame romanesque est très mince. Gérard Dugas parle d’une « autobiographie fantaisiste et lunaire » à propos de la trilogie de Hertel. Ces pseudo-romans pourraient sans doute faire l’objet de quelques études savantes. Il y a quelque chose d’habile dans cette œuvre. L’auteur est bicéphale. Le véritable auteur, Lepic, a renoncé à écrire son roman. Il s’est trouvé un comparse, qu’il a en partie inventé, pour raconter ses aventures. Quant à Laplante, il ne fait que raconter ce qu’on lui a raconté en essayant de se libérer de son mentor. Autrement dit, en faisant acte de création. Ainsi, le roman contient à la fois sa genèse et sa glose : « Vous pouvez fort bien penser ce que vous voudrez de Lepic et de Laplante. Je ne vous demande même pas de croire à leur existence. Tout ce que je veux de vous, c'est que vous lisiez, bien sagement, en vous taisant. Nous écrivons surtout pour que vous vous taisiez, quelques minutes, ou quelques heures. »
Hertel décrit également le processus d’évolution d’un être en quête d’identité. Et c’est à travers le processus de création qu’il compte y arriver. « De même que Mondes chimériques ne fut jamais un recueil de contes — crois-m'en, ô lecteur canadien! — mais l'histoire des pensées de Charles Lepic s'accompagnant de menues réactions chez Anatole Laplante, ainsi le présent ouvrage est-il l'histoire intérieure d'Anatole Laplante qui continue d'évoluer et de naître au monde, grâce à l'entrée continuelle en lui du monde par la connaissance et le contact des êtres. Cette fois-ci, c'est au tour de Charles Lepic de demeurer en fond de scène. Il faudra terminer la trilogie — qui n'est nullement un essai, ni des contes, mais un roman fleuve ou simplement rivière, si l'on préfère — il faudra, lecteur, que je termine par un autre ouvrage où Lepic et Laplante joueront des rôles égaux. »

Extrait
La vie se passe par plaques. Elle va d'événements majeurs en événements majeurs (ce qui est majeur pour l'un peut fort bien être mineur pour un autre) en sautant bien des intermédiaires. Il y a des cassures soudain entre nos multiples vies; et le développement d'un homme qui apparaissait hier rivé à telle aventure, à tel milieu, peut tellement s'en évader demain que l'épisode mort ne revienne plus que rarement et lointainement jouer en sourdine quelque fragmentaire contrepoint.
Charles Lepic, qui a eu tant d'importance dans le développement de Laplante, aurait peut-être fini par disparaître complètement des préoccupations de son ami n'eût-il choisi de rentrer en scène par une de ces pirouettes qui le caractérisent. Qui sait d'ailleurs si cette rentrée en scène elle-même présentera encore de l'intérêt pour Laplante lorsqu'elle aura vieilli de quelques mois ?
Nous sommes ainsi faits que nous ne possédons d'autres facteurs de continuité et de cohérence que les instincts de notre personnalité. Que celle-ci cherche son bonheur dans d'autres êtres, les êtres qui ont paru nous intéresser un instant sont morts ou presque pour ces centres impitoyables de gravité que nous sommes tous par rapport au reste du monde. Le grand amour lui-même n'est qu'une affaire bien ordinaire qui se résorbe, après une période de souffrances terribles, en générosité et en compréhension.
Plus l'homme est affranchi, plus il est libre, plus il est humain, moins le reste des êtres est important. Tout ce qui compte, il le sent bien, c'est Dieu et lui. Ainsi pensait Lautréamont, qui n'a guère mis dans son livre que ces deux personnages. Il se trompait cependant, puisqu'il a traité Dieu en ennemi. (Pages 161-162)

François Hertel sur Laurentiana

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