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17 février 2009

Poètes de l’Amérique française

Louis Dantin, Poètes de l’Amérique française, Montréal, Librairie d’action canadienne-française, 1932, 246 pages. (1re édition : 1928)


Louis Dantin a abordé un peu tous les genres littéraires avec un certain succès. Il s’est d’abord fait connaître comme critique. Simple rappel : c’est lui qui a rassemblé les poèmes de Nelligan et qui s’est chargé de les faire publier en y ajoutant une préface devenue indissociable de l’œuvre. Même s’il vivait en Nouvelle-Angleterre, il a gardé beaucoup de liens avec le milieu littéraire québécois, entretenant des correspondances avec plusieurs écrivains, devenant le conseiller de quelques autres. Avec Camille Roy, il fut le critique le plus influent de son époque.

Comme je viens de bloguer Les Forces d’Alphonse Beauregard, il m’a semblé que l’occasion était bonne de présenter l’un des recueils critiques de Dantin, mais surtout d’essayer de saisir sa méthode, considérée comme avant-gardiste à l’époque.

Poètes de l’Amérique française contient 16 chapitres, chacun étant consacré à un livre, la plupart à un recueil de poésie. Parmi les auteurs qui ont retenu son attention, en plus de Beauregard, citons Paul Morin, Blanche Lamontagne, Jean Charbonneau, Albert Dreux, Jean-Aubert Loranger…

Je ne rendrai pas compte de toutes ces critiques, il va sans dire. Je vais me contenter de présenter celle qui porte sur Les Forces, l’une des plus développées du recueil. Celle-ci a dû être écrite avant 1921, puisque Dantin ne mentionne pas Les Alternances (il en fera une critique dans le deuxième tome de Poètes de l’Amérique française), ou encore le décès de l’auteur survenu en 1924.

Contrairement aux critiques de l’époque, Dantin ne juge pas une œuvre sur le plan moral ou encore en regard de son appartenance au clan des Régionalistes ou des Exotiques. D’ailleurs, il se permet d’écorcher les uns et les autres au passage. Pour lui, Beauregard a su éviter les cénacles, ce qui est tout à son honneur.

Dantin fait une critique très positive des Forces de Beauregard. Il essaie d’abord de décrire le « travail de l’écrivain ». Il y a ceux qui partent des mots, mais tel n’est pas le cas de Beauregard : « II est avant tout, semble-t-il, le reflet d'un esprit sérieux, élevé, à la curiosité ardente, dont l'inspiration se puise aux sources de la pensée, dont la fantaisie même se mêle de réflexion et de logique. M. Beauregard est d'avis que le verbe poétique, aussi bien que l'autre, n'est qu'un symbole de l'idée, qu'il doit à l'idée même, non seulement sa valeur mentale, mais son élément principal de beauté. Creuser l'idée pour en faire jaillir le mot, l'émotion artistiques, voilà son effort et sa doctrine. » Il dira même que c’est une « poésie de l’idée ». Qu’il décrive un lieu, un paysage ou même une personne, le poète essaie toujours d’aller au-delà des apparences. « […] une philosophie latente en pénètre toutes les pages, envahissant la fantaisie, le sentiment, même le paysage. Il y règne partout une psychologie déliée qui voit l'âme par le dedans et se résout en analyses des actes et des motifs humains; ou bien, c'est de l'observation sociale éclairée et juste. » Après avoir saisi la manière, Dantin s’interroge sur les idées de Beauregard : « Sa philosophie, qu’est-elle? Plutôt une attitude mentale qu’un système, sans doute, mais elle ne manque pourtant pas de cohérence et d’unité. Elle se révèle dès l’abord soucieuse de raison et peu férue de mysticisme. Elle craint le dogmatisme des affirmations et aime à se poser sur le terrain des faits. » Il note, sans lui faire la morale pour autant, qu’on retrouve chez le poète un ton qui frôle parfois le cynisme : « Cette philosophie ne serait pas bien profonde si elle n’était un peu ironique et désenchantée. M. Beauregard n’a rien de maladif dans son pessimisme, mais il n’est pas non plus aveugle ou crédule. » Dans cette perspective, il explique la conception de l’amour assez originale de l’auteur : « Ce qui est vrai, c'est que M. Beauregard a bien perçu la brièveté des attaches humaines, leur inconstance, leurs déceptions amères, et qu'il s'en garde comme il peut, ainsi qu'on fuit une cause de douleur. »

Et sur la forme des poèmes, il dira ceci : « J'admets que chez lui la forme, n'étant pas cherchée pour elle-même, ne s'impose pas au premier plan, qu'elle ne surprend pas l'attention tout d'abord, qu'elle n'a pas tous les scintillements, tous les flamboiements, toutes les coruscations ruisselantes qu'elle revêt, par exemple, chez M. René Chopin. Il lui suffit de l'éclat plus discret qui convient aux choses qu'elle exprime. A défaut des brillantes audaces, elle cherche la diction concise, l'image à la fois neuve et adéquate, la hardiesse que le mot tire de l'objet, et le symbolisme qui naît de rapports clairement perçus. » Ou encore : « Ceci m'amène à dire que la facture de M. Beauregard est généralement classique, sauf pourtant sur un point. Il fait rimer le singulier avec le pluriel; il le fait constamment, avec une sorte d'ostentation. Et sans doute cette licence unique et inusitée tranche un peu crûment sur sa régularité d'habitudes: je n'en suis pas, malgré tout, scandalisé outre mesure. »

Dantin finit sa critique en relevant certaines faiblesses (« J’ai assez loué M. Beauregard pour pouvoir en dire à présent un peu de mal. »), en citant certains poèmes qu’il trouve inférieurs. D’ailleurs, le critique reste près du texte de Beauregard, le citant abondamment. Enfin, il se permet une petite pointe aux critiques qui « sans chercher à pénétrer une œuvre, la juge par à peu près, à la fortune du mot, et avec des formules toutes faites ». Ne vise-t-il pas Camille Roy?

Extrait
Je m'étonne que notre public littéraire ne remarque pas davantage ce poète délicat et subtil qu'est Alphonse Beauregard. Son unique volume, Les Forces, vieux de quelques années déjà, n'est guère connu que d'une élite: il mériterait l'attention sérieuse de quiconque s'intéresse à voir notre littérature, délaissant un peu ses traditions étroites, s'engager dans des voies neuves et élargies.
Nous avons eu depuis Fréchette un renouveau poétique intense d'où sont germes des genres, des inspirations, des formes d'art encore insoupçonnés chez nous. Nos auteurs, par timidité sans doute, s'étaient tenus comme par la main; ils ont désormais choisi leur route, celle de leur personnalité et de leur talent; ils se sont crus capables de parler leur propre langage. De nouveaux groupes se sont formés au gré des attraits: nous avons eu nos parnassiens et nos symbolistes. D'autres, mieux encore, sont restés isolés, cherchant en eux-mêmes et en dehors de toute école des sources d'exaltation et de beauté: tels Lozeau, Doucet, Gallèze et ce charmant dilettante, Benjamin Michaud. Alphonse Beauregard est un de ces derniers; malgré certaines parentés lointaines et inévitables, il ne relève clairement d'aucune tribu; on ne peut guère l'étiqueter sous un genus quelconque. C'est par là-même, étant donné son grand talent, qu'il se révèle très intéressant et d'une originalité unique. S'il est difficile à classer, il l'est aussi à définir, car son art, apparemment simple, recèle plus d'une complexité. Essayons pourtant de fixer les traits dominants de cet art, de dire ce qu'il contient et par quelles formules il s'exprime. (p. 25-26)
Pour lire la suite.

Voir la critique de Camille Roy, Érables en fleurs, p. 89.

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