Lors de sa première publication, ce poème portait le titre « Recours didactique[1] ». Miron définit, dans ce poème, sa conception du poète. Il trace sa propre évolution (de poète de la solitude à ses tout débuts à poète engagé), il montre les difficultés qu’il doit assumer, en tant que poète québécois confronté à une situation qu’il juge difficile (la pauvreté culturelle des Canadiens français, la confusion qui s‘ensuit). Il montre que son grand engagement à défendre la « cause québécoise » finit par influencer sa vie privée.
1. Si vous en ignorez la signification, cherchez dans le dictionnaire les mots et les expressions qui suivent :
- au long cours (v. 1) : voyage
en mer.
- haut lieu (v. 2) : Vx Place (d'une personne, d'un groupe) dans la hiérarchie sociale.
- mors (v. 4) : Pièce du harnais, levier qui passe dans la bouche du cheval et
qui, en appuyant sur les barres, sert à le diriger.
- s'étiolait (v. 7) : Rendre (une plante) grêle et décolorée, par
manque d'air, de lumière. Abstrait
Affaiblir, atrophier.
- crue (v. 8) : Élévation du niveau dans un cours d'eau, un lac.
- résineux (v. 13) : Élévation du niveau dans un cours d'eau, un lac.
- abattis (v. 14) : Région. (Canada) Abattis ou
abatis : terrain (entièrement ou partiellement) déboisé, qui n'est pas
encore essouché.
- rance (v. 17) : Se dit d'un corps gras qui a pris une odeur forte et
un goût âcre.
- anarchie (v. 19) : Confusion due à l'absence de règles ou d'ordres
précis.
- simulacres (v. 27) : Objet qui en imite un autre.
2. Ce poème contient deux champs lexicaux importants (les difficultés, la lutte). Associez tous les mots du poème qui appartiennent à l'un et à l'autre. Utilisez le tableau ci-dessous.
Les
difficultés |
La lutte |
Frissonnent, s’étiolent, désespoirs, injustices,
détresse, infériorité, mal, sépare, rance odeur, sang, anarchie, guerre,
danger, péril, confusion, éparpillés, débris, simulacres. |
Camarades
(sens : compagnons de combat), combats, railler de haut, bête dans nos
pas, abattis, colères, luttent, montent la garde |
Les strophes 1 à 4 : comment concilier la poésie et l'engagement social
3. À qui s'adresse Miron dans les strophes 1 à 4 ? Pour leur dire quoi ?
À ses anciens amis pour leur dire qu’il a changé, que sa poésie a pris un nouveau tournant. Il n’est plus un poète au « visage conforme » (v. 5) dont la poésie n’exprime que son « je », que ses problèmes personnels, que ses espoirs (« qui frissonnait dans les parallèles de ses pensées » (v. 6). En d’autres termes, il est devenu un poète solidaire.
4. Relevez la structure temporelle des strophes 1 à 4.
Passé - présent
5. Que signifie l’expression « mon poème a pris le mors obscur de nos combats » (v. 4) ?
Dorénavant, sa poésie est engagée socialement. L’art sert à défendre une cause sociale. Pour lui, c’est la défense des Canadiens français. On est au début des années 1960. Voir le titre. Le poète doit quitter sa tour d’ivoire, se mêler aux gens, aller sur la place publique. La poésie doit sortir des livres, parler au peuple.
6. Expliquez en vos mots la troisième strophe.
Il a pris conscience de l’infériorité (économique, culturelle) des Canadiens français et il en souffre.
7. Expliquez la métaphore : « j'entends la bête tourner dans nos pas » (v. 12)
C’est un homme en colère (« la bête ») et non pas un homme rationnel qui commande l’action (« tourner dans nos pas », v. 12). On imagine une bête en captivité qui tourne dans ses pas. L’idée est reprise dans les vers 12 et 13 de cette strophe : le champ lexical « surgir, tourbillons, abattis, colères » exprime l’idée d’une révolte qui est en train de germer dans le « grand inconscient résineux », c’est-à-dire dans le Québec. Les résineux symbolisent le Québec, pays de forêts.
8. Les quatre premières strophes forment la première partie du poème (le cheminement du poète) :
a) Comment
Miron percevait-il son rôle de poète ? (Citez le vers)
Un peu comme les poètes de la solitude. Il parlait de lui, de ses émotions dans ses premiers poèmes (« Haut lieu de mon poème »)
b) Comment
le perçoit-il maintenant ? (Citez le vers)
Le « nous » a remplacé le « je ». Il est sorti de chez soi, il a mis son art au service des siens: « je suis sur la place publique avec les miens » (v. 3).
c) Qu'est-ce qui a provoqué ce
changement ?
Sa prise de conscience de l’infériorité des Canadiens français (v. 9-10)
La strophe 5 : comment concilier la poésie et l'amour : il est difficile d’être un poète engagé. Quelle femme voudra vivre avec un être qui passe sa vie à défendre des causes sociales ? Sa vie amoureuse en souffre. C’est ce que va démontrer cette strophe.
9. À qui s'adresse Miron dans cette strophe ? À son amoureuse
10. Au vers 17, le poète s'adresse à son amoureuse. Ils s'aiment, mais « la rance odeur de
métal et d'intérêts croulants » les sépare. De quoi parle-t-il ?
Il parle probablement de l’argent (« métal, intérêt »). Miron était plus intéressé à défendre des causes sociales ou politiques qu’à se bâtir une carrière. On peut donc supposer qu’il ne tenait pas assez compte des nécessités de la vie, de la vie de famille et que son amoureuse s’en plaignait.
11. Dans les vers 20-22, le poète exprime l'idée que son amour n'aurait pas de sens s'il abandonnait sa lutte. Et il donne deux raisons. Lesquelles ?
Il dit qu’il ne pourrait plus se regarder dans un miroir s’il abandonnait sa lutte et les camarades. Il aurait l’impression de trahir et ce sentiment finirait par détruire leur couple (« je suis en danger de moi-même à toi », v. 21).
Il dit aussi que leur couple serait dans une situation intenable : comment jouir d’un petit bonheur tranquille quand il y a tant de problèmes autour de soi ? (« et tous deux le sommes de nous-mêmes aux autres », v. 22) Il essaie de montrer à son amoureuse que son engagement politique est nécessaire à la survie de leur couple.
12. Au vers 4, il liait son engagement poétique à son engagement social (devenir un poète engagé). Dans cette strophe, à quoi sont liés ses engagements poétique et social ?
À l’amour. Miron a essayé, toute sa vie, de concilier « poésie », « engagement social » et « amour » (engagement personnel).
Les strophes
6-7 : le rôle social du poète
Dans ces strophes qui suivent, Miron définit le rôle du poète. Si, dans les deux premières parties, il s'adressait à ses anciens amis et à la femme aimée, ici, il ne s'adresse plus à personne. Il emploie un ton plus didactique pour décrire le rôle du poète.
13. Dans la strophe 6, il emploie une heureuse formule pour décrire la fonction sociale des poètes. Quelle est cette formule ?
« Les poètes montent la garde du monde ». Le poète doit être un éveilleur de conscience, il ne doit pas hésiter à dénoncer les injustices qu’il perçoit. Le poète, c’est un veilleur, une sentinelle.
14. Au vers 24, Miron écrit
que « le péril est dans nos poutres ». Et ensuite, il identifie trois de ces périls
qui menacent la société. Quels sont-ils
? (en vos propres mots)
Le problème canadien–français est très sérieux (les « poutres » soutiennent la charpente d’un édifice) : pour Miron, la confusion (« brunante », v. 25), la perte d’identité (v. 26-27) et l’absence de liberté (v. 27) sont des problèmes qui sapent notre peuple.
15. Dites en vos mots ce que signifie le vers 28.
Il est terminé le temps de l’artiste qui amuse (« je ne chante plus »); son art s’est engagé, il doit faire sa part, s’impliquer dans la société (« je pousse la pierre de mon corps »).
16. Le poème se termine sur l'idée d'une reprise en main (qui n'a rien de gratuite) et d'un nouveau départ. Expliquez ce que signifie précisément le dernier vers : « j'ai su qu'une espérance soulevait ce monde jusqu'ici »
L’espoir est arrivé. Les forces du changement sont déjà en marche. Ceci, on le doit sans doute aussi aux artistes, aux poètes.
Jean-Louis Lessard / 9 avril 2002/revu le 4 avril 2005
Bonne étude !
[1]
Recours didactique : avoir recours à des explications plutôt qu’à la
poésie pour parvenir à ses fins.
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