Odette des Neiges Fortin, Dans le calme des soirs, Hull, Les éditions de l'Éclair, 1941, 126 p.
Voyez-vous, là-bas, de
hautes montagnes où les sapins et les épinettes aux longues branches couvertes
de neige, semblent de blanches chevelures qui descendent jusqu’au bord de la
rivière.
Là, c’est un moulin qui
jase à cinq ou six maisons, au blanc capuchon, et c’est l’école dans l’escarpement
du coteau.
Tantôt, ce sera la
chapelle.
Les seuils sont bien
clos. Il fait froid. Chaque foyer reçoit la chaleur des attisées de bouleau.
C’est la veille de Noël.
Les femmes ont passé la semaine
entre la table et le poêle: tartines en dentelles, croquignoles dorées et
poudrées, bûches de Noël et pâtés, tout est préparé; et ce soir, au fourneau,
la tourtière du réveillon est entrée.
La joie est dans tous les
cœurs des habitants de ce petit canton, d’autant plus vive que l’on a eu de
crainte de n’avoir pas sa fête religieuse.
C’est loin, pour le
missionnaire, quelque vingt-cinq milles en voiture par le froid et la tempête.
Et le père Lagacé, tout
joyeux de demeurer plus près de l’école, s’en revenait fredonnant « Dans cette
étable... » Il fallait chauffer sans cesse afin que l’école soit chaude pour
les confessions; et c’est lui qui en avait la charge.
Ma petite Yvette, dit-il
en entrant, prépare la table, Monsieur le Curé est à la veille d’arriver. Il
regardait sa montre qui marquait neuf heures.
— Oui, mets le couvert comme il faut, dit Madame
Lagacé. Tu as l’air bien songeuse, tu n’attends pas Adrien ce soir, je suppose?
— Oui, maman.
— Mais, ça fait trois jours qu’il fait tempête et
qu’on ne voit rien.
— Qu’importe, reprit Yvette, Adrien a promis qu’il
viendrait à Noël. Son cœur battait plus vite à cette pensée.
— As-tu fini tes mille Ave? lui dit Madame Lagacé.
— Pas encore, non, maman.
— Il doit y en avoir des distractions dans ces Avé
là, hein ?
— Non, je n’en ai qu’une.
— Oui, je la connais.
Yvette rit subitement de
toute sa gaîté de jeune fille heureuse qui attend beaucoup de la vie. Ils
s’étaient promis l’an dernier, mais le petit pécule étant insuffisant pour
fonder un foyer et ouvrir la terre en même temps, il avait fallu retarder les
épousailles afin que la terre puisse les recevoir convenablement.
Et Adrien était parti,
travailler au loin tout l’hiver.
Drelin, drelin, ah! le
joyeux refrain des grelots, en ce soir de Noël, comme il était attendu!
Chaque fenêtre, où sourit
la terne lumière de la lampe, voit se pencher une tête sous l’étamine blanche;
une main, au-dessus d’un œil, appuyée sur la vitre glacée, chacun s’écrie:
c’est Monsieur le Curé qui arrive!
Drelin, drelin, les traîneaux,
les berlots arrivent aussi, d’une ou deux lieues, chargés de femmes et
d’enfants emmitouflés de « nuages », de châles de laine et de peaux de mouton.
L’école s’illumine.
Déjà elle est vibrante du
murmure confus des Ave, des petits bancs renversés, des bruits de pas qui vont,
reviennent pour la confession. L’école est en fête.
Pourtant, aucune cloche
pour éveiller les échos sous le ciel pailleté d’étoiles. Aucun son ne sème la
gaieté sur les monts, au faîte des arbres. Mais tous les cœurs sont en joie.
Minuit! Nul orgue éclate.
Un minuscule harmonium
souffle maladroitement sa gamme joyeuse; mais le petit Jésus est aussi souriant
sur sa paille fraîche parmi les petits moutons. On le distingue à peine à
travers la brume des chaudes haleines, au milieu d’une talle plantée de sapins
verts.
C’est l’heure solennelle.
Le Saint Office commence pendant qu’une voix sonore entonne le « Minuit! Chrétiens
».
Une grande paix descend
dans les âmes, les unit en une seule famille, la famille du Créateur fait homme.
Tout au fond de l’école,
entre sa mère et le père Lagacé, Yvette est anxieuse; elle attend encore celui
que son cœur appelle son fiancé.
L’idée l’effleura-t-elle
qu’Adrien aurait pu la délaisser, s’attacher à une autre?
Nul ne sait. L’absence a
ses cruautés et le cœur humain ses détours.
Yvette priait avec
ferveur. Mais le court sermon du Missionnaire la trouva distraite.
Les chants recommencent
par : « Le Fils du Roi de gloire est descendu des Cieux».
— Écoute, Yvette, c’est toujours bien Adrien qui
chante le solo?
— Oui, c’est sa voix. Si elle la connaissait, cette
voix!
— Bonne Sainte ! Il est venu à pied par un temps
pareil!
Après la messe, Yvette
rencontra Adrien au bénitier. Il était si petit le bénitier de l’école qu’il se
vidait avec la venue des premiers paroissiens. Mais [1]
chacun esquissait à sec son pieux geste quand même. Et ce furent ensuite Monsieur
et Madame Lagacé.
Ils remontèrent tous
quatre vers la maison. Il faisait beau et froid et le ciel était sans lune.
Adrien et Yvette causaient
ensemble joyeusement, et parfois elle levait la tête en riant, comme pour
sourire aux étoiles.
Madame Lagacé dit tout à
coup: Vous êtes venu pour longtemps, Adrien?
— Ça dépend, je suis venu par affaires.
— On les connaît ses affaires, continua à demi-voix
Madame Lagacé, il veut marier Yvette avant le printemps. Mais tu sais, son
père, il faut qu’il se bâtisse avant. Je veux qu’elle soit bien installée notre
Yvette.
— Ah! laisse-les donc se marier, ces pauvres enfants.
Moi, sa mère, je n’aurais pas aimé ça t’attendre longtemps. Puis, Adrien c’est
un bon garçon. C’est un jeune homme qui a rien qu’une parole, si tu l’as
remarqué. Moi, un homme de parole j’ai confiance en lui. C’est un homme qui marche
droit et Adrien c’est pas mal ça.
— C’est bien vrai, quant à moi ils pourront bien
se marier aux Rois.
Ils entrèrent pour le
réveillon.
Pendant ce temps, à
l’école, on a fermé les grandes portes sur le chœur de la chapelle. Près du
poêle, chacun s’interpelle à voix basse et des rires s’étouffent pieusement sur
une croquignole ou la pointe d’un gâteau. Puis les hommes préparent les
voitures en causant de la récente tempête, de la poudrerie qui pourrait bien
s’élever si le vent prend.
Le Missionnaire, à
genoux, les mains jointes sur son front, prie d’action de grâces. Il a rempli
sa mission en mettant de l’allégresse dans tous les cœurs et en faisant
descendre dans les âmes la paix promise aux hommes de bonne volonté.
[1] Note: On ne doit faire le signe de la croix qu’en
entrant dans l’église, mais bien des gens le font, par habitude, en sortant.