Jean Féron, La
corvée, Montréal, Éditions Édouard Garand , 1929, 67 pages (Illustrations : Albert Fournier) (Le
roman canadien no 53)
Juillet 1779. « Frederick Haldimand, lieutenant gouverneur du pays, avait continué le système dit « des corvées » que son prédécesseur, Carleton, avait établi. Sous Carleton le système avait été supportable, quoique trop tyrannique encore ; avec ses moyens d’exemption le peuple s’en était tiré tant bien que mal et mieux que pire. Sous Haldimand, les corvées furent une abomination, et l’ignoble botte des soudards étrangers pesa bien lourdement sur le pays entier et ses habitants. La corvée fut décrétée sans exemption, de Montréal à Rimouski. Cela fut un immense filet qui enleva tous les hommes valides parmi la classe des paysans et ouvriers campagnards. Dans les villes on saisissait les hommes inoccupés, même si l’ouvrage, interrompu pour quelques jours, allait reprendre bientôt, et on dépêchait ces gens, par charretées dans les chantiers de construction du gouvernement. Souvent les pauvres diables devaient faire le trajet pédestrement pendant deux et, quelquefois, trois jours, escortés de militaires à cheval. Un grand nombre étaient expédiés sur les frontières pour travailler à la construction de forts nécessités pour faire un barrage contre les tentatives possibles d’invasion par les armées révolutionnaires des bords de l’Atlantique. »
Le père Brunel travaille à la corvée avec son futur gendre, Jaunart, fiancé de sa fille Mariette. Ils sont forcés de reconstruire une partie des murailles de Québec. L’officier qui les dirige, un certain Barthoud, leur mène la vie dure. Le père Brunel sent la colère monter en lui. Comme sa femme est très malade, ses deux filles, Mariette et Clémence - deux beautés toutes paysannes qu’elles soient - essaient de le rejoindre. Elles ne connaissent rien à la ville de Québec, même si elles habitent Saint-Augustin. Elles se perdent et sont finalement recueillies par des bienfaiteurs, dont une Anglaise bienveillante.
Beauséjour, un Canadien français qui ne craint pas de défier le pouvoir anglais, tombe amoureux de la belle Clémence. « Lui ne la quittait pas des yeux… des yeux pleins non seulement de pitié, mais aussi d’admiration et d’extase. Car déjà Beauséjour, sans pouvoir encore se l’avouer, éprouvait dans son cœur jeune et hardi et pour la première fois de sa vie ce sentiment, doux et formidable à la fois, qui du jour au lendemain peut changer toute l’existence d’un homme… l’amour ! » Il aide celle-ci et sa sœur à retrouver leur père. Comme Barthoud refuse que le père Brunel soit libéré pour voler au chevet de sa femme, la situation s’envenime. Barthoud, se croyant menacé, ordonne aux soldats de tirer sur le père Brunel (lire l’extrait). Quelques jours plus tard, on apprend que Beauséjour a défié Barthoud en duel et l’a tué. Les soldats le poursuivent jusque chez les Brunel, le blessent, le laissent pour mort. Mais tel n’est pas le cas, il est bien vivant!
C’est la formule classique : amour et patriotisme se conjuguent, les Canadiens français subissent stoïquement le pouvoir tyrannique des nouveaux maîtres, même si les sentiments sont nuancés vis-à-vis le conquérant anglais. Bizarrement Haldimand et Barthould étaient des Suisses. Question d’épargner les Anglais? Féron ajoute beaucoup d’explications historiques à ses récits, comme s’il voulait, à l’image des anciens, divertir et instruire.
Extrait
Tout à coup le père Brunel se baissa empoigna le bloc de pierre, le souleva et monta sur la maçonnerie. Là, d’un effort inouï, il leva ce bloc au bout, de ses bras, le balança une seconde au-dessus de la tête, des soldats qui arrivaient à la course. Et le bloc menaçait aussi bien Barthoud lui-même, car il était là à deux pas seulement. Il eut peur… Faisant un bond de côté, il cria aux soldats :
— Feu ! feu ! sur ce chien enragé !
Le bloc de pierre partit, lancé par le maçon avec une force surprenante. Mais au même instant les fusils des soldats crépitaient et le père Brunel s’écroulait de l’autre côté de la maçonnerie.
Quand la fumée des fusils se fut dissipée le moment d’après, la stupeur était tellement à son comble parmi les spectateurs de la scène, que le passage au galop d’une berline ne fut pas remarqué, et une berline qui, pourtant, roulait avec grand bruit…
Puis les soldats, avec Barthoud à leur tête, s’élancèrent de l’autre côté de la maçonnerie. .. mais là ne gisait plus qu’un cadavre criblé de balles.
— Eh bien ! tant pis, c’est sa faute ! murmura Barthoud qui, tout livide et tremblant, essuyait des sueurs à son front… (p. 61)