Angus Graham, Napoléon Tremblay,
Montréal, Beauchemin, 1945, 405 pages (traduit par André Champroux) (1re
édition : R. Hale Limited, 1939, 336 pages)
Angus Graham est né à Skipness (Écosse) le 3 avril 1892 et mort à Édinbourg le 25 novembre 1979. Cet ingénieur forestier a vécu 12 ans au Québec, travaillant pour la compagnie Price et pour le gouvernement. Le roman Napoléon Tremblay, plutôt sympathique aux Canadiens français, fut écrit après son retour chez lui.
Difficile de dire avec précision
où se déroulent les aventures de Napoléon Tremblay, Angus Graham ayant modifié
le nom des lieux. On peut toutefois en déduire que l’essentiel se passe dans le
bas du fleuve, à l’intérieur des terres entre Rivière-du-loup et Trois-Pistoles
(baptisé Trois-Visons). Quant à l’époque, on est fixé : le récit commence
en 1920 et se termine en 1936.
Partie 1
Jeanne Gagnon, dont la mère est autochtone, est de retour au village après avoir donné naissance à un enfant que
la communauté montagnaise a adopté, ce qui a sauvé les apparences. Voulant
l’éloigner du village, le curé lui a trouvé un mari : Napoléon Tremblay,
un garçon pas trop déluré. Et il a même trouvé un poste de gardien de barrage
sur le lac Touladi à ce dernier. Perdue dans les bois, Jeanne s'ennuie.
Pourtant, elle ne fait rien dans la maison qui est plutôt un « camp ».
Elle donne naissance à une petite fille. Pendant l'absence de don mari, elle
reçoit des hommes et dans une bousculade avec l'un d'eux, elle tombe à l'eau et
se noie. Dommage pour elle, car Napoléon courait lui annoncer qu’il avait découvert
de l’or dans une rivière.
Partie 2
Napoléon est plutôt dépressif. Il
en oublie même sa découverte. Il a quitté son travail et il habite à l’auberge de sa belle-famille avec sa petite-fille. Son beau-père étant décédé, c’est maintenant son
beau-frère Philippe qui possède l’auberge. Ce dernier fait de la
contrebande d’alcool. Sans trop poser de question, Napoléon travaille pour lui.
Lors des élections, Gagnon fournit de l’alcool à l’un des partis et se fait beaucoup
d’ennemis. Finalement, la police réussit à l’arrêter. Absent lors de la
descente, Napoléon s’en tire.
Partie 3
Se croyant recherché par la
police, il s’engage dans un camp de bûcherons et y passe l’hiver. À l’été, il
s’engage sur une goélette. Durant un voyage sur la Côte-Nord, il entrevoit
brièvement sa fille, maintenant avec sa grand-mère chez les Montagnais. Il
passe un second hiver dans les chantiers. Une lettre du curé lui apprend qu’il
n’a jamais été recherché par la police.
Partie 4
Dans son hiver au chantier, il
s’est fait un ami : Ozias Potevin. Ce dernier l’aide à trouver un poste de
surveillant sur l’Ile-aux-Basques. L’Île vient d’être acquise par la Société
d’histoire naturelle qui entend protéger les moyacs (les eiders) et la
héronnière qui s’y trouvent. Des braconniers viennent voler les œufs des
canards, ce qui menace la colonie d’eiders. Napoléon tombe amoureux d’une fille, mais finit par réaliser qu'elle est de mèche avec les
braconniers. Il rencontre aussi une autre femme qui, par son intelligence,
finit par gagner son amour : il s’agit de Marie-Ange, la sœur de son ami
Ozias.
Partie 5
Napoléon essaie de revendiquer le
terrain (claim) où il a trouvé des pépites d’or. Peine perdue, il appartient à
une compagnie anglaise. Il décide de s’établir dans une paroisse qui ouvre à la
colonisation : Sainte-Rose-du-lac. Il achète un lot, s’y installe avec
Marie-Ange (qu’il a épousée) et Marie-Thérèse, sa fille. Pour le reste, on assiste aux
efforts d’implantation des nouveaux colons et à l’abatis qui clôt la saison.
Napoléon, qui a quelques économies, achète le bois des colons à bas prix. Ce
faisant, il s’endette espérant retirer un fort profit lorsque la route qui mène
à leur paroisse sera terminée.
Partie 6
Un curé entreprenant arrive dans
la paroisse. Le gouvernement, critiqué pour le peu d’efforts qu’il offre aux
colons, décide de faire sa part en construisant une route et en subventionnant
la colonisation. Sainte-Rose-du-lac en profite. Des enfants naissent à Napoléon
et Marie-Ange. Celui-ci possède maintenant un moulin à scie et est devenu
prospère. Son ancien beau-frère, de retour des États-Unis, toujours aussi
malhonnête, essaie de le faire chanter. Il est emprisonné. La Crise survient.
Napoléon, déjà riche, en bénéficie : il bâtit magasin, hôtel et continue de marchander le bois.
Partie 7
Quand le terrain qu’il
convoitait est retourné au domaine
public, Napoléon s’empresse d’aller enregistrer son « claim ». Ayant
en main quelques échantillons, il se rend jusqu’à Toronto pour vendre son droit
de propriété à une compagnie susceptible de l’exploiter. Or ses pépites ne sont
rien d’autre que de la pyrite de fer. Malgré tout, on trouve du plomb sur son
lot. Napoléon continue donc de s’enrichir. Le roman se termine par l’annonce du
mariage de sa fille Marie-Antoinette, seize ans.
Le roman est conçu comme un
best-seller, avec intrigue, machination, coups de théâtre, personnages
stéréotypés. Graham décrit la montée d’un «self made man». En toile de fond défile le Québec des années 20. Plusieurs milieux ou aspects
sont décrits : la foresterie, l’agriculture, la faune, les mines. Il est
évident que Graham connaît beaucoup le domaine forestier et le fait qu’il soit
ingénieur apparaît dans la description des lieux géographiques. Il est dommage
qu’il n’ait pas attribué aux lieux leur vrai nom. Dernière remarque : la
transcription du français québécois est très particulière. Par exemple :
« tu n’as qu’une piastre à payer » devient « y a eun’ pias’ à
payer ». Cependant, quand un Anglais s’essaie au français, cela devient
presque incompréhensible « Broule pâa! Fo pâa broulaie – dansgerous –
broulaie laie limitss, comprie? » (Traduction : Ne brûle pas, il ne
faut pas brûler. C’est dangereux de brûler les limites, compris? »
Extrait
Mais quel bel objet de
contemplation que Gabrielle pour un jeune homme dans l'isolement ! Quand toute
visite à la ferme était impossible, Napoléon restait paisiblement assis dans
son bateau ou dans une certaine crevasse du rocher, évoquant toutes ses
perfections, toutes les choses merveilleuses qu'elle trouvait à dire ou à
faire. Avec quelle pénétration elle savait dire: « Ah ! Oui. » en réponse à une
de ses suggestions; quelle, vivacité d'esprit transparaissait dans un simple «
j'cré ben »; quelle candeur dans ce: « Pense pas »; et quelle finesse dans ces:
« Mais pourquoi ? » et « Pas d'dange ! »
Napoléon semblait capable de se
rappeler mot à mot toute sa conversation et sa façon de lever les yeux, de les
baisser, de vous regarder de côté, ses haussements d'épaule, ses soupirs, et
jusqu'aux moindres gestes qui complétaient le charme.
Mais le meilleur souvenir était
celui du jour où il lui avait apporté un plein sac d'édredon: elle avait
commencé par le tâter de ses doigts rosés et potelés, puis, en prenant une
grosse poignée, elle y avait posé sa joue, tandis que son visage rayonnait de
volupté à ce douillet contact. Ce sourire, cet éclat, ce feu, cette joue tendue
sur laquelle s'égarait une boucle de cheveux, ce bourrelet blanc et satiné au
coin de la mâchoire — car même un double menton peut être séduisant en sa prime
jeunesse — tout cela avait transpercé le cœur de Napoléon et ébranlé jusqu'aux
tréfonds de son âme. Et alors, le regardant du coin des yeux, elle avait
murmuré: « Ah! qu'c'est doux! »
De tels éclats émotifs rendaient
Napoléon absolument inapte à supporter les autres femmes, qui se trouvaient
plus nombreuses à Trois-Visons qu'on eût pu croire d'après les simples apparences
extérieures. Une, entre autres, lui semblait du dernier détestable: une belle
petite de la boutique où il achetait son tabac; il en vint donc à transférer sa
pratique ailleurs à seule fin d'éviter ses minauderies. (p. 198-199)