Anne-Marie (Nellie
Maillard-David), L'Aube de la joie,
Montréal Cercle du Livre de France, 1959, 217 p.
L'Aube de la joie est le
premier roman de Nellie Maillard. Il semble avoir connu du succès puisqu’on
indique sur la deuxième édition (date non précisée) que les ventes atteignent
9000 exemplaires. Voilà qui peut surprendre, le roman a des qualités, mais pas celles qui propulsent une œuvre chez
les best sellers. Maillard se contente de raconter la vie « sans
histoire » d'une petite famille bourgeoise. Louis Giraud, le père, est
cardiologue; Hélène, la mère et la narratrice de l’histoire, s’occupe des trois
enfants (quatre à la fin) avec l’aide d’une bonne. En plus de ses « petits » problèmes de
mère, elle raconte les soubresauts de son couple très uni et, quelque peu, sa
vie sociale.
Je ne résumerai pas le roman. Je
me contente d’énumérer en vrac les épisodes-thèmes les plus marquants :
les vacances en famille à la campagne, l’éducation des enfants, leurs petites
maladies, la naissance du quatrième enfant, les difficultés professionnelles du
mari, les sorties dans des cercles féminins, le presque divorce de sa meilleure
amie, sa maladie qui l’amène à l’hôpital de Boston, un voyage en Gaspésie et un
autre dans les provinces de l’Ouest… On y parle de solidarité sociale, de
religion, les deux étant liés.
Je disais que le roman avait des
qualités qui pouvaient expliquer son succès. Sa plus grande : la
profondeur, denrée assez rare dans le roman québécois de l’époque. Il ne faut
pas chercher de grands drames ou des événements mystérieux qui titillent l’imagination.
Ils n’y a pas de grands conflits, de mystères, d’obstacles en apparence
insurmontables. Le projet de l'auteure est ailleurs. Maillard démontre une humanité
qui rejoint parfois celle de Gabrielle Roy. Je note une sensibilité aux autres,
à la nature, une capacité à saisir le moment présent, à mettre en mots ses
propres impressions. Le quotidien le
plus banal donne lieu à une réflexion sur le sens de la vie, sur le temps qui
passe, la maladie, l’injustice sociale, la mort. Et le tout est présenté
dans un style fluide.
« Et tout en acceptant mon
inutilité provisoire, je réfléchis... On apprend à penser lentement dans la
maladie. Le visage de Danièle Lecomte m'apparaît, j'évoque l'échec absolu de sa
destinée terrestre. Il se faisait en elle peu à peu, le silence sur les choses
humaines. J'entends de loin le bruit des autres, les innombrables autres
cramponnés à leurs activités. Nous cherchons tous de quelque manière à nous
réaliser dans une œuvre tangible et rencontrons à chaque pas une forme
quelconque de dépouillement, d'usure, de désagrégation. Et doucement, tombe
toujours la neige sur les feuilles ! »
Même si le milieu bourgeois lui procure certains avantages, cette femme n’en est pas totalement satisfaite. Elle porte un jugement assez sévère sur les autres femmes de son propre milieu, qui se contentent de papoter plutôt que d’entreprendre des actions. Il y a chez elle une volonté de donner un sens à sa vie qui ne trouve pas toujours à s’employer.
Même si le milieu bourgeois lui procure certains avantages, cette femme n’en est pas totalement satisfaite. Elle porte un jugement assez sévère sur les autres femmes de son propre milieu, qui se contentent de papoter plutôt que d’entreprendre des actions. Il y a chez elle une volonté de donner un sens à sa vie qui ne trouve pas toujours à s’employer.
Ce qui empêche le roman de passer
l’épreuve du temps, c’est le message lui-même, et surtout la
manière de le livrer. Maillard appuie trop sur la thèse qu’elle veut faire
passer. Comme Gabrielle Roy, son personnage oscille entre la détresse et
l’enchantement. L’enchantement, chez Maillard, prend les traits de
l’amour avec un grand A : l’amour rachète tout, peut venir à bout de n’importe quelle
détresse. Dans le concept, à saveur religieuse, se mêlent tous les types
d’amour. On y revient continuellement, entre autres à la fin.
Extrait
« Ici, l'humain a peuplé la montagne, celle-ci a
perdu sa suprématie et le décor est ramené aux proportions de la vie
quotidienne : les jouets oubliés dans le jardin, le linge qui se balance sur la
corde derrière la maison et les bruits de vaisselle qui s'échappent par la
fenêtre ouverte... tout cela courbe notre pensée vers la journée des gens de la
terre, la nôtre et celle des autres, là-bas... chez nous.
L'enchantement du Lac Louise... l'enchantement des
montagnes... comment les relier à la misère du monde, cette pauvre misère aux
mains tendues ! d'où vient celle-ci... où pourrait-on la reléguer...! Les
raccords sont difficiles... tout à l'heure, Louis et moi, foulions d'un même
pas la terre grise de la route, conscients de notre mutuelle présence... et je
sais bien que l'amour seul est la clé de toute chose, le carrefour de toutes
les réalités... Mais un amour plus grand que le nôtre, qui synthétise toutes
les attirances et les alimente de son éternité. Nous devrons donc toujours être
prêts à épouser la cause de l'Homme, contre lui et malgré lui s'il le faut,
parce qu'il en est Un, avant nous, qui a cru bon de mourir pour cette cause et
continue à Se donner à elle.
« Et la lumière fut... » elle étendit doucement sur l'angoisse
des siècles la pitié, la compassion et la tendresse !
Une mer houleuse de nuages gris et blancs ondule sous
l'immense calotte du ciel et l'avion de Trans-Canada file en ligne droite sur
la crête des nuages. Je pars à la conquête de la peur : celle-ci en devient
une, par l'exploration lucide de son objet. Ici, je tâche d'interpréter les
bruits de l'avion, sa façon de se comporter, et m'applique à oublier les
paysages collés au sol, pour adopter ceux du ciel. Adopter sa destinée, dire
oui au moment présent, on revient toujours à cette vérité. La tête appuyée au
dossier penché du siège, j'écoute venant du bout de l'horizon, l'appel émouvant
et impérieux de la vie... l'appel de la joie... de cette joie lucide, tenace,
authentique, debout, face à toutes les misères, celles des mécréants et celles
des honnêtes gens : ces dernières plus stupéfiantes que les autres, car
elles nous étalent les hypocrisies, les compromissions, et la médiocrité ! Que
de déchéances secrètes ! Combien de tragédies accompagnent leurs victimes tout
doucement, à doses filées !...
C'est donc devant ce tableau, offrant à la fois un vide
et un fouillis, un désert et un encombrement, devant ce tableau évalué et
accepté, qu'on doit arriver à dire cette chose inouïe : « Tout est joie...
tout est joie, à cause de l'amour ! »
Quelque part au fond du ciel, j'ai trouvé la plénitude de
la paix ; les dialogues cessent en moi-même, les idées multiples et diverses se
fondent en une seule certitude : l'amour a croisé les fils et tissera notre
destinée.
« Et la lumière fut... » Elle sèmera toujours
l'enchantement sur l'étendue de la terre... » (p. 216-217)