et leur mort
est boréale
et sans espérance
Plus de 900 livres québécois! Patrimoine littéraire, bibliophilie, carnet de lecture. 120 000 pages vues par année. « Laurentiana » se dit des livres ou brochures relatifs au Québec, au Bas-Canada et à la Nouvelle-France.
Lionel Léveillé, Vers la lumière, Montréal, Librairie d'Action canadienne française, 1931, 125 p.
Le recueil contient quatre parties.
Au grand soleil
Le poète se remémore son village, des vieilles gens, leurs us et coutumes (la guignolée, le fumeur de pipe). C’est du terroir sous un angle très personnel.
Chemin faisant
L’ironie pointe souvent le nez dans l’œuvre de Léveillé. Dans « Chemin faisant », le poète remet en question certaines idées reçues. C’est quoi un Français, un Canayen? Que penser des Francissons (Canadiens qui se prennent pour des Français)? La morale qui coiffe les fables du grand Lafontaine sont-elles aussi justes qu’il y parait?
Auvent des nuits
Cette partie est beaucoup moins souriante. Le poète évoque les amours déçues, la vie des pauvres bougres, le « fardeau des nuages noirs », la mort qui « lentement déambule / Et pousse les noirs corbillards ».
Caricature de Léveillé |
« Gallèze [Lionel Léveillé] a écrit là les plus beaux vers de sa vie poétique. Ils rendent un son pur d’une âme qui a souffert, qui a vécu, qui a cru. C’est, par endroits, de la grande poésie. Des pièces telles que “Judas”, “Le repentir”, “La maison”, “La vérité”, “Croire”, renferment un élan vers la lumière intérieure et elles exhalent un souffle de vérité qui empoigne et qui secoue, en même temps que semble flotter au-dessus de tout cela, pareille à une musique religieuse, la plainte si longtemps contenue du poète enivré. » (C.-H. Grignon, Ombres et clameurs, p. 162)
Même si je ne partage pas l’enthousiasme de Grignon, il me semble que la poésie de Léveillé a mieux vieilli que celle de la plupart de ses contemporains. Peut-être que « Je n’ai dit », le dernier poème du recueil, mais sûrement pas son meilleur, peut nous en donner la clef : cette simplicité, que certains décriaient à l’époque, ne gêne pas le lecteur contemporain.
Je n'ai dit
Je n'ai dit que mon coeur inquiet et morose,
Profond, que nul rêve terrestre n'a comblé.
Nul mâle orgueil à mon âme n'a révélé
Le sonore frisson des vents d'apothéose.
Je n'ai dit que mon coeur inquiet et morose.
Sans morgue, ingénument, je n'ai dit que mon coeur.
D'autres, plus glorieux, pays de mon baptême,
Diront tes monts altiers, ton ciel, tes bois que j'aime.
Que monte dans l'azur ému leur chant vainqueur!
Sans morgue, ingénument, je n'ai dit que mon cœur.
Lionel Léveillé (Englebert Gallèze) sur Laurentiana
Vers la lumière
« Il laisse à d'autres le goût d’éblouir et de foudroyer : il ne cherche qu’à créer la jouissance aimable qui naît de sensations ténues, d'aperçus pittoresques, de syllabes sonnant juste et de mètres finement ouvrés. Ne croyons pas que cette ambition, pour être moins altière, soit sans côté ardu et n’exige aucun genre d’effort; elle réclame, au contraire, une invention, un tour de main, un soin minutieux auxquels peuvent seuls suffire le talent et le métier réunis. « (Louis Dantin, Poètes de l’Amérique française, p. 141-142)
La musique constitue l’élément unificateur du recueil. Le plus souvent, ce que recherche Léveillé, c’est l’harmonie. Les vers doivent couler de source, s’enchaîner sans hiatus, plaire à l’oreille. Pour ce, il emprunte beaucoup à la chanson, à commencer par son titre. D’autres chants traditionnels du Canada français (« Belle bergère », « Il était un petit navire », « À la claire Fontaine », « En roulant ma boule… ») sont mentionnés : souvent, Léveillé leur emprunte un vers ou deux et les répète tel un refrain. Il utilise aussi à l’occasion des dictons, voire des clichés et brode sa toile autour d’eux : « Le chemin du ciel est semé de ronces », « on doit juger l’arbre à son fruit » …
Autre caractéristique qui saute aux yeux (et probablement à l’oreille) : Léveillé fait grand usage de l’hexasyllabe et de l’octosyllabe, vers plus souples, plus vifs.
Le plus souvent, le ton est léger, amusé, même si l’enfance, la mère, l’amour, la vieillesse, la mort… ne sont pas tous des sujets toujours drôles.
Des poèmes plus graves terminent le recueil : le poète dénonce les inégalités sociales, l’exploitation des faibles, comme dans « Monsieur Cochon ».
Monsieur Cochon
Place au groin et déférence!
Par scrupule ou par malveillance
Il n’est, certes, mû ni gêné,
Mais ne faut pas mettre le nez
Au son dans lequel il patauge,
C’est monsieur Cochon dans son auge.
Tout être en un point se concentre.
Son front tout petit, mais son ventre
Imposant, à faire trembler.
À l’assouvir, à le combler
Plus d’un domestique s’empresse.
C’est monsieur Cochon qu’on engraisse.
Un jour vient. Ce n’est pas un rêve.
Trop dilaté le ballon crève.
Sur l’herbe, le col entrouvert.
Vous le verrez, les pieds en I’air,
Geignant, hurlant sans qu’on le plaigne…
Et c’est monsieur Cochon qu’on saigne.