Napoléon-Alexandre Comeau, La vie et le sport sur la Côte Nord du Bas
Saint-Laurent et du Golfe, Québec, Garneau, 1945, 372 pages (Traduction
de Nazaire LeVasseur : Life and
sport on the north shore of the lower St. Lawrence and gulf, 1909) (Introduction d’E. T. D. Chambers et préface de l’auteur.)
Le livre a d’abord paru en
anglais. Comeau possédait cette langue, puisqu’il avait fait ses études (10
mois) en anglais à Trois-Rivières. Comeau est décédé en 1923 et son traducteur
LeVasseur en 1927, ce qui peut expliquer qu’il faille attendre 1945 avant que
le livre, par l’entremise du fils de l’auteur, soit publié en français.
Napoléon-Alexandre Comeau a été
un homme qu’on a beaucoup admiré. On a écrit deux livres sur lui,
et il a donné son nom à la ville de Baie-Comeau. Parti de rien, il a appris l’anglais et il pouvait converser
avec les Innus dans leur propre langue. Il a appris les rudiments de la
médecine et s’est dévoué pour ses comparses longtemps isolés sur leur
Côte-Nord. Naturaliste, il a côtoyé les scientifiques et leur a permis d’augmenter leurs connaissances sur la
flore et la faune en Amérique. On lui doit aussi quelques sauvetages héroïques,
dont un sur le fleuve devenu légendaire. Presque tout ceci, bien entendu, ne
fait pas partie de La vie et le sport sur
la Côte Nord du Bas Saint-Laurent et du Golfe, dans lequel il est surtout question de chasse et de pêche.
Comeau explique en préface pourquoi
il a tardé à publier des mémoires qu’on lui réclamait « avec instances »
: « Une de mes objections était que l’idée me déplaisait ; me rendre aux
instances des amis, me semblait de ma part un acte de vantardise de quelques
faits ordinaires que j’avais accomplis, une tentative d’emboucher ma propre
trompette ou tonitruer ma gloire ; ce qui m’a toujours répugné. »
Pourtant, tout au long du livre, il ne fera que ça. Peu importe ses compagnons
de chasse, c’est toujours lui qui pêche le plus de poissons, qui tue le plus de
bêtes ou qui accomplit l’exploit le plus surprenant. Passons, ce n’est pas si
grave après tout.
La relation que pouvait avoir
avec les animaux quelqu’un vivant sur la Côte-Nord, à la fin du XIXe siècle,
n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. On en convient. Comme Comeau le dit,
c’était à peu près la seule ressource disponible, le seul moyen de se faire un
peu d’argent et d’améliorer son sort.
Là où le bat blesse, c’est que
trop souvent le sportif orgueilleux de ses exploits l’emporte sur le pourvoyeur
de nourriture. Jamais il n’éprouve la moindre
compassion pour tous ces animaux qu’il tue, jamais il n’explique qu’il essaie
de réduire leurs souffrances au minimum;
tout ce qui compte, c’est de les attraper coûte que coûte, quitte à utiliser
des moyens cruels (un jour n’ayant pas accès à son fusil, il court chercher une
hache pour tuer un loup-marin qui n’arrivait pas à regagner le fleuve). Il tire
sur une bête qui fuit pour la blesser et la rattraper plus tard. Bref, il tire
sur tout et même sur de minuscules oiseaux. On dirait un challenge sportif qui
devient une guerre à finir entre lui et l’animal. Il trouve curieux et même
risible que les Autochtones aient autant de respect pour un animal comme l’ours
qu’il vénère.
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Il est même prêt à exterminer les
truites dans la Godbout, parce qu’elles nuisent au saumon, ressource dont profitent
surtout de riches sportifs anglais qu’il accompagne dans leur pêche (il est gardien
de la rivière) et devant lesquels il est tout admiratif. « L’un des pires ennemis
du saumon, c’est à mon avis, la truite. Nul doute que cette affirmation de ma part
fera sortir de leurs gonds plus d’un pêcheur de truite à la ligne, qui, tout naturellement prendra la part de son poisson
favori. Néanmoins, ceux qui sont propriétaires de rivières à saumon et veulent les
maintenir comme telles, doivent regarder la truite comme un ennemi et le plus redoutable
type de braconnier qui soit. » Même les inoffensifs martins-pêcheurs,
pour lui, mériteraient d’être exterminés. Sans oublier ses amis Innus qu’il
traque (il est garde-pêche) lorsqu’ils veulent s’approprier une ressource qui devrait
être la leur. On pourrait continuer et
continuer encore.
Bien entendu on va nous rétorquer,
avec raison, qu’il est difficile de comprendre la mentalité d’une époque lointaine,
que cette conception est très ancienne et partagée par la plupart des gens de
son époque… Parfois la comparaison peut nous aider à mesurer davantage certains
comportements. Ici, il faut penser à Henry de Puyjalon, autre grand chasseur et
pêcheur, sur la Côte-Nord, à la fin du XIXe siècle. Chez Puyjalon, on sent
l’amour des animaux, une certaine compassion, la volonté d’abréger les
souffrances. Les animaux ne sont pas que des proies, des objets d’études, ou
pire des cibles que des sportifs vont ajouter à leur collection de trophées.
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