Laure Conan, La Sève immortelle, Montréal, L’Action française, 1925, 231 p. (Préface de Thomas Chapais)
Jean Le Gardeur de Tilly, « capitaine de milice incorporé dans les grenadiers », aux côtés de Monsieur de Lévis a été grièvement blessé à la bataille de Sainte-Foy. Il est toujours soigné à l’Hôpital général de Québec. Un jour, on lui présente mademoiselle Thérèse d’Autrée, une Française dont il tombe amoureux. Elle est la fille d’un colonel qui attend que sa femme ait recouvré la santé pour rentrer en France. Le frère de Jean et sa mère habitent toujours Saint-Antoine-de-Tilly. Vit aussi avec eux leur cousine, une dénommée Guillemette, fille de Monsieur de Muy, qui s’est éloignée de Québec quand les obus britanniques ont commencé à pleuvoir sur la ville assiégée. Un soldat britannique (l’armée anglaise tenait garnison au manoir) s’est épris d’elle et dispense ses faveurs à la famille Tilly afin de l’amadouer. Mais cette Guillemette, amoureuse de Jean, est très patriotique et lui résiste.
Un an passe. Montréal a capitulé, et Jean est maintenant presque guéri. Sa mère, ignorant son amour pour Mlle d’Autrée, voudrait qu’il épouse Guillemette. Mais il ne voit que Thérèse d’Autrée… Pour ne pas la perdre, il est prêt à abandonner sa patrie et à la suivre en France. Tout le monde lui fait voir qu’il est en train de trahir, qu’il manque à son devoir. Les événements vont l’amener à modifier son projet. Avant de s’embarquer, Jean, de plus en plus tiraillé entre l’amour et le devoir, se rend à Saint-Antoine pour saluer une dernière fois sa mère et son frère. Or, pendant le voyage, comme il est à peine remis, une blessure de guerre s’ouvre. Il doit donc écarter l’idée de suivre Mlle d’Autrée dans l’immédiat. De toute façon, il en est venu à cette idée, le patriotisme triomphant de l’amour. La mort dans l’âme, Mlle d’Autrée retourne seule dans son pays et meurt bientôt d’une pneumonie. Après une période de deuil, Jean décide de refaire sa vie avec Guillemette, elle qui a refusé le riche Anglais.
Laure Conan était pour ainsi dire mourante quand elle termina ce roman historico-patriotique Rien n’y paraît. Le roman me semble plus vif que ses précédents. Il y a beaucoup de dialogues, mais peu de longs rappels historiques ou de grands discours enflammés, si fréquents dans ce genre d’ouvrage. L’intrigue est très classique, peu surprenante (Les Anciens Canadiens, en plus léger). Le roman saisit un moment clef de notre histoire : après la Conquête, la plupart des nobles quittent la colonie. On perçoit la différence entre les Canadiens de souche et les Métropolitains de passage. On dirait presque que ces derniers éprouvent une haine viscérale de l’Anglais, ce qui n’est pas le cas des Canadiens qui semblent plus conciliants. Le roman est assez critique à l’égard de la mère patrie qui a abandonné la Nouvelle-France sans vraiment combattre.
Extrait de l’ avant-propos de Thomas Chapais
Il ne sera peut-être pas sans intérêt pour les lecteurs de ce livre de savoir dans quelles conditions il fut écrit. La regrettée Laure Conan en avait conçu l'idée il y a près de trois ans. Son intention était de le soumettre au concours pour le prix de littérature, institué par l'initiative de l'hon. A. David, secrétaire de la province. Elle nous en avait communiqué le plan, qui nous parut plein de promesses. Mais un accident vint la priver de l'usage de sa main droite et la força de suspendre son travail. Il lui fut donc impossible de présenter son œuvre au concours de 1923. Cependant, dès qu'elle le put, elle reprit sa plume. Lentement, le récit se développa. Chapitre par chapitre, le roman vit se tisser sa trame. Les caractères s'accusèrent, les situations se dessinèrent, le problème moral se posa.
Le privilège d'une vieille amitié nous permettait de suivre les progrès du livre. Et nous admirions ce bel exemple d'énergie, donné par une femme de soixante-dix-huit ans, qui, malgré l'âge et la souffrance, poursuivait son labeur et continuait à tracer son sillon. Il y avait toutefois des heures de doute et de lassitude. Et nous nous permettions alors d'amicales instances pour activer l'effort et hâter l'achèvement de l'œuvre. Quinze jours avant le terme fixé pour la clôture du concours, le dernier chapitre seul restait à écrire. Mais un message inquiétant vint nous informer que Laure Conan était très sérieusement malade. Accouru auprès d'elle, nous apprîmes que les médecins déclaraient une opération inévitable. A la douleur éprouvée par les parents et les amis se joignait un très vif regret. Qu'allait-il advenir de l'œuvre inachevée, qui promettait d'ajouter un brillant fleuron aux lettres canadiennes ? Il était sans doute permis d'espérer une issue heureuse. Mais dans le cas contraire ?... Consultés, les hommes de l'art affirmèrent que la malade pouvait, sans aggraver son état, écrire quelques pages. Elle eut ce rare courage moral. Malgré son angoisse et sa souffrance, elle commanda à son imagination et à sa pensée, et, dans le lit où elle était clouée, elle écrivit ce chapitre final, où le drame intime auquel elle nous a fait assister s'achève par la victoire de la fidélité à la France nouvelle fondée par les aïeux sur les rives du Saint-Laurent. Cela fait, et ses dispositions suprêmes étant prises, elle se confia avec une résignation admirable à la volonté de Dieu. Quelques jours plus tard, elle n'était plus. […] Québec, 20 avril 1925.
Lire le roman : La Sève immortelle
Laure Conan sur Laurentiana
L'Oublié
À l'oeuvre et à l'épreuve
La Sève immortelle
Angéline de Montbrun
Jean Le Gardeur de Tilly, « capitaine de milice incorporé dans les grenadiers », aux côtés de Monsieur de Lévis a été grièvement blessé à la bataille de Sainte-Foy. Il est toujours soigné à l’Hôpital général de Québec. Un jour, on lui présente mademoiselle Thérèse d’Autrée, une Française dont il tombe amoureux. Elle est la fille d’un colonel qui attend que sa femme ait recouvré la santé pour rentrer en France. Le frère de Jean et sa mère habitent toujours Saint-Antoine-de-Tilly. Vit aussi avec eux leur cousine, une dénommée Guillemette, fille de Monsieur de Muy, qui s’est éloignée de Québec quand les obus britanniques ont commencé à pleuvoir sur la ville assiégée. Un soldat britannique (l’armée anglaise tenait garnison au manoir) s’est épris d’elle et dispense ses faveurs à la famille Tilly afin de l’amadouer. Mais cette Guillemette, amoureuse de Jean, est très patriotique et lui résiste.
Un an passe. Montréal a capitulé, et Jean est maintenant presque guéri. Sa mère, ignorant son amour pour Mlle d’Autrée, voudrait qu’il épouse Guillemette. Mais il ne voit que Thérèse d’Autrée… Pour ne pas la perdre, il est prêt à abandonner sa patrie et à la suivre en France. Tout le monde lui fait voir qu’il est en train de trahir, qu’il manque à son devoir. Les événements vont l’amener à modifier son projet. Avant de s’embarquer, Jean, de plus en plus tiraillé entre l’amour et le devoir, se rend à Saint-Antoine pour saluer une dernière fois sa mère et son frère. Or, pendant le voyage, comme il est à peine remis, une blessure de guerre s’ouvre. Il doit donc écarter l’idée de suivre Mlle d’Autrée dans l’immédiat. De toute façon, il en est venu à cette idée, le patriotisme triomphant de l’amour. La mort dans l’âme, Mlle d’Autrée retourne seule dans son pays et meurt bientôt d’une pneumonie. Après une période de deuil, Jean décide de refaire sa vie avec Guillemette, elle qui a refusé le riche Anglais.
Laure Conan était pour ainsi dire mourante quand elle termina ce roman historico-patriotique Rien n’y paraît. Le roman me semble plus vif que ses précédents. Il y a beaucoup de dialogues, mais peu de longs rappels historiques ou de grands discours enflammés, si fréquents dans ce genre d’ouvrage. L’intrigue est très classique, peu surprenante (Les Anciens Canadiens, en plus léger). Le roman saisit un moment clef de notre histoire : après la Conquête, la plupart des nobles quittent la colonie. On perçoit la différence entre les Canadiens de souche et les Métropolitains de passage. On dirait presque que ces derniers éprouvent une haine viscérale de l’Anglais, ce qui n’est pas le cas des Canadiens qui semblent plus conciliants. Le roman est assez critique à l’égard de la mère patrie qui a abandonné la Nouvelle-France sans vraiment combattre.
Extrait de l’ avant-propos de Thomas Chapais
Il ne sera peut-être pas sans intérêt pour les lecteurs de ce livre de savoir dans quelles conditions il fut écrit. La regrettée Laure Conan en avait conçu l'idée il y a près de trois ans. Son intention était de le soumettre au concours pour le prix de littérature, institué par l'initiative de l'hon. A. David, secrétaire de la province. Elle nous en avait communiqué le plan, qui nous parut plein de promesses. Mais un accident vint la priver de l'usage de sa main droite et la força de suspendre son travail. Il lui fut donc impossible de présenter son œuvre au concours de 1923. Cependant, dès qu'elle le put, elle reprit sa plume. Lentement, le récit se développa. Chapitre par chapitre, le roman vit se tisser sa trame. Les caractères s'accusèrent, les situations se dessinèrent, le problème moral se posa.
Le privilège d'une vieille amitié nous permettait de suivre les progrès du livre. Et nous admirions ce bel exemple d'énergie, donné par une femme de soixante-dix-huit ans, qui, malgré l'âge et la souffrance, poursuivait son labeur et continuait à tracer son sillon. Il y avait toutefois des heures de doute et de lassitude. Et nous nous permettions alors d'amicales instances pour activer l'effort et hâter l'achèvement de l'œuvre. Quinze jours avant le terme fixé pour la clôture du concours, le dernier chapitre seul restait à écrire. Mais un message inquiétant vint nous informer que Laure Conan était très sérieusement malade. Accouru auprès d'elle, nous apprîmes que les médecins déclaraient une opération inévitable. A la douleur éprouvée par les parents et les amis se joignait un très vif regret. Qu'allait-il advenir de l'œuvre inachevée, qui promettait d'ajouter un brillant fleuron aux lettres canadiennes ? Il était sans doute permis d'espérer une issue heureuse. Mais dans le cas contraire ?... Consultés, les hommes de l'art affirmèrent que la malade pouvait, sans aggraver son état, écrire quelques pages. Elle eut ce rare courage moral. Malgré son angoisse et sa souffrance, elle commanda à son imagination et à sa pensée, et, dans le lit où elle était clouée, elle écrivit ce chapitre final, où le drame intime auquel elle nous a fait assister s'achève par la victoire de la fidélité à la France nouvelle fondée par les aïeux sur les rives du Saint-Laurent. Cela fait, et ses dispositions suprêmes étant prises, elle se confia avec une résignation admirable à la volonté de Dieu. Quelques jours plus tard, elle n'était plus. […] Québec, 20 avril 1925.
Lire le roman : La Sève immortelle
Laure Conan sur Laurentiana
L'Oublié
À l'oeuvre et à l'épreuve
La Sève immortelle
Angéline de Montbrun