Jean-Baptiste Proulx, L’enfant perdu et retrouvé ou Pierre Cholet, Montréal, Beauchemin 1892, 194 pages. (1ère édition : 1887)
D’abord, j’ai cru que c’était un roman. Déjà la préface nous prévient que nous allons lire un récit véridique. On fournit même un dessin de Pierre Cholet, l’enfant perdu et retrouvé. Une première version, « qui ne supportait pas la lecture », aurait été écrite par Cholet lui-même, lequel l’aurait fait lire à l’abbé Proulx après qu’un libraire lui eut refusé son récit. Proulx l’aurait réécrit et enrichi, à l’aide de Cholet lui-même, de certains documents d’archives et à partir du témoignage de gens qui étaient au courant de « l’affaire Cholet ».
Pierre Cholet est né à St-Polycarpe en 1840. En compagnie de son jeune frère Toussaint et de son cousin Louis, il est volé alors qu’il n’a que cinq ans. Le colporteur, qui s’est emparé des enfants, peut-être par vengeance, les vend à des marins dans le port de Montréal. Pour brouiller les pistes, ceux-ci changent le nom des enfants, de Cholet à Marin, et les amènent en France. Louis meurt pendant la traversée. Les deux frères sont confiés à une famille, éduqués sommairement, puis dès qu’ils ont une douzaine d’années, ils sont forcés à travailler sur les bateaux de la compagnie. Ils vieillissent, deviennent de jeunes hommes, ayant à peu près tout oublié de leur enfance, sinon qu’ils sont canadiens.
Un jour, comme leur bateau accoste Terre-Neuve, fatigués d’être traités comme des esclaves, ils désertent. Pour échapper à leurs maîtres, ils doivent se cacher en pleine forêt, quelque part au Labrador : le plus jeune des deux frères meurt. Ne reste que Pierre. Celui-ci, décidé à retrouver ses parents, entreprend une longue marche qui durera une dizaine d’années. D’abord, il réussit à gagner la Basse-Côte-Nord, puis l’Ile d’Anticosti et la Gaspésie. Ici commence la quête de ses parents, pour lui des Marin. Glanant une information ici et là, il se rend dans la baie des Chaleurs, revient vers Matane et se dirige vers Québec. Le plus souvent il vit de la charité des gens. De Québec, il se dirige vers les Cantons-de-l’Est, et se rend à Montréal. Il rencontre plusieurs Marin, mais aucun d’eux ne semblent connaître ses parents.
On l’envoie à Ottawa, à Cornwall, il remonte vers le Nord de l’Ontario, se rend aux États-Unis, avant de revenir à Cornwall où une famille l’a adopté. C’est quand il décide d’abandonner cette course folle qu’il retrouve ses parents. Une fille qui travaille avec lui à l'usine écoute son histoire, la raconte à ses parents qui font le lien avec les Cholet. On organise une rencontre et ses parents reconnaissent en lui leur fils perdu. Comme certains doutes sur son identité subsistent, malgré la forte ressemblance de Pierre avec ses frères, il doit convaincre messieurs le curé et le député. Quand tout le monde est rassuré, il reprend sa vie avec sa nouvelle famille, épouse une jeune fille et devient père.
Ne cherchez pas des qualités littéraires à ce récit! Il en est complètement dépourvu. L’histoire, qui a connu beaucoup de succès, est très mélodramatique. Le pathos déborde à chaque page. Le pauvre Cholet doit affronter l’hiver, la faim, certaines bêtes sauvages, le rejet social, avant de trouver le bonheur. On se promène d’un lieu à l’autre, on traverse le Québec et pourtant on lit bien peu de choses. L’auteur se contente d’étirer le fil narratif, sans description ou analyse.
Certains chercheurs se sont intéressés à cette histoire, entre autres Henri-Paul Boudreau. Un de ses descendants, Serge Cholette, a écrit un livre sur son ancêtre. On peut lire le texte sur internet. Le Centre d’histoire de la Presqu’ile a consacré certains articles à Cholet.
Extrait
Trois semaines plus tard, dans le temps le plus rigoureux de l'hiver, vers la fin de janvier, j'arrivais au grand portage de la Lièvre, après bien des pas et des fatigues. La nuit enveloppait la forêt de ses ombres ; j'apercevais, par intervalles, à travers les flocons de neige tombante, les lumières de l'hôtel ; puis une rafale de poudreries me replongeait dans l'obscurité. J'entendais partir de la maison, comme des cris d'hommes qui se querellent et se disputent. J'entrai, sept ou huit voyageurs, qui trainquaient à la barre, se turent soudain, et fixèrent sur moi leurs regards effrontés. Je tremblais comme une feuille. Un grand gaillard de six pieds, les épaules carrées et larges, s'avance et me dit d'un ton hautain : « Qu'est-ce que vous voulez? — Y a-t-il ici un nommé M. Marin. —Oui, c'est moi. Et je n'ai jamais eu peur d'un homme. » Je compris qu'ils avaient tous la tête chaude. « Moi aussi, continuai-je, je m'appelle Marin, j’ai été volé à l'âge de cinq ans, et je cherche mes parents. — Vous ne les trouverez pas ici. Ah ! c'est que, voyez-vous, vous n'êtes pas le premier qui essayez à me conter des histoires comme ça, pour se faire coucher et nourrir. Quand un homme me demande la charité pour l'amour de Dieu, je la lui donne ; quand il use de détours pour me tromper, sans cérémonies, je le mets à la porte. Mon ami, vous savez par où vous êtes entré, sortez par là. — Monsieur, veuillez considérer que personne ne peut résister dehors par un pareil temps. — Sortez, vous dis-je, sortez. » Je ne bougeais pas. Il s'élance sur moi, me met une main sur le chignon du cou et l'autre dans le bas des reins, et, assaisonnant son geste d'un bon coup de pied, il m'envoya voler au bas de la galerie, comme une mitaine. Je restai quelques minutes sur le flanc, tout abasourdi, sans pouvoir me relever. Je les entendais, en dedans, rire, crier, jurer et se chamailler. Grand Dieu, quel destin que le mien !
Je repris, harassé, le chemin du bois. Trois lieues me séparaient de la plus proche habitation. J'avais peur des loups ; il me semblait à tout moment voir briller au fond des taillis des yeux de feu. J'écoutais tremblant; je n'entendais que le sifflement du vent dans la tête des grands arbres, et, de temps en temps, l’écho affaibli des cris et des blasphèmes qui s'échappaient de l'hôtel. Découragé, effrayé, les cheveux droits sur la tête, je tombai à genoux dans la neige, et je fis ma prière. « Mon Dieu, mon Dieu, disais-je, ne m'abandonnez pas, car je vais mourir seul dans cette forêt ; et même les passants ne trouveront pas mon corps enseveli sous des monceaux de neige. » (p. 140-142)
D’abord, j’ai cru que c’était un roman. Déjà la préface nous prévient que nous allons lire un récit véridique. On fournit même un dessin de Pierre Cholet, l’enfant perdu et retrouvé. Une première version, « qui ne supportait pas la lecture », aurait été écrite par Cholet lui-même, lequel l’aurait fait lire à l’abbé Proulx après qu’un libraire lui eut refusé son récit. Proulx l’aurait réécrit et enrichi, à l’aide de Cholet lui-même, de certains documents d’archives et à partir du témoignage de gens qui étaient au courant de « l’affaire Cholet ».
Pierre Cholet est né à St-Polycarpe en 1840. En compagnie de son jeune frère Toussaint et de son cousin Louis, il est volé alors qu’il n’a que cinq ans. Le colporteur, qui s’est emparé des enfants, peut-être par vengeance, les vend à des marins dans le port de Montréal. Pour brouiller les pistes, ceux-ci changent le nom des enfants, de Cholet à Marin, et les amènent en France. Louis meurt pendant la traversée. Les deux frères sont confiés à une famille, éduqués sommairement, puis dès qu’ils ont une douzaine d’années, ils sont forcés à travailler sur les bateaux de la compagnie. Ils vieillissent, deviennent de jeunes hommes, ayant à peu près tout oublié de leur enfance, sinon qu’ils sont canadiens.
Un jour, comme leur bateau accoste Terre-Neuve, fatigués d’être traités comme des esclaves, ils désertent. Pour échapper à leurs maîtres, ils doivent se cacher en pleine forêt, quelque part au Labrador : le plus jeune des deux frères meurt. Ne reste que Pierre. Celui-ci, décidé à retrouver ses parents, entreprend une longue marche qui durera une dizaine d’années. D’abord, il réussit à gagner la Basse-Côte-Nord, puis l’Ile d’Anticosti et la Gaspésie. Ici commence la quête de ses parents, pour lui des Marin. Glanant une information ici et là, il se rend dans la baie des Chaleurs, revient vers Matane et se dirige vers Québec. Le plus souvent il vit de la charité des gens. De Québec, il se dirige vers les Cantons-de-l’Est, et se rend à Montréal. Il rencontre plusieurs Marin, mais aucun d’eux ne semblent connaître ses parents.
On l’envoie à Ottawa, à Cornwall, il remonte vers le Nord de l’Ontario, se rend aux États-Unis, avant de revenir à Cornwall où une famille l’a adopté. C’est quand il décide d’abandonner cette course folle qu’il retrouve ses parents. Une fille qui travaille avec lui à l'usine écoute son histoire, la raconte à ses parents qui font le lien avec les Cholet. On organise une rencontre et ses parents reconnaissent en lui leur fils perdu. Comme certains doutes sur son identité subsistent, malgré la forte ressemblance de Pierre avec ses frères, il doit convaincre messieurs le curé et le député. Quand tout le monde est rassuré, il reprend sa vie avec sa nouvelle famille, épouse une jeune fille et devient père.
Ne cherchez pas des qualités littéraires à ce récit! Il en est complètement dépourvu. L’histoire, qui a connu beaucoup de succès, est très mélodramatique. Le pathos déborde à chaque page. Le pauvre Cholet doit affronter l’hiver, la faim, certaines bêtes sauvages, le rejet social, avant de trouver le bonheur. On se promène d’un lieu à l’autre, on traverse le Québec et pourtant on lit bien peu de choses. L’auteur se contente d’étirer le fil narratif, sans description ou analyse.
Certains chercheurs se sont intéressés à cette histoire, entre autres Henri-Paul Boudreau. Un de ses descendants, Serge Cholette, a écrit un livre sur son ancêtre. On peut lire le texte sur internet. Le Centre d’histoire de la Presqu’ile a consacré certains articles à Cholet.
Extrait
Trois semaines plus tard, dans le temps le plus rigoureux de l'hiver, vers la fin de janvier, j'arrivais au grand portage de la Lièvre, après bien des pas et des fatigues. La nuit enveloppait la forêt de ses ombres ; j'apercevais, par intervalles, à travers les flocons de neige tombante, les lumières de l'hôtel ; puis une rafale de poudreries me replongeait dans l'obscurité. J'entendais partir de la maison, comme des cris d'hommes qui se querellent et se disputent. J'entrai, sept ou huit voyageurs, qui trainquaient à la barre, se turent soudain, et fixèrent sur moi leurs regards effrontés. Je tremblais comme une feuille. Un grand gaillard de six pieds, les épaules carrées et larges, s'avance et me dit d'un ton hautain : « Qu'est-ce que vous voulez? — Y a-t-il ici un nommé M. Marin. —Oui, c'est moi. Et je n'ai jamais eu peur d'un homme. » Je compris qu'ils avaient tous la tête chaude. « Moi aussi, continuai-je, je m'appelle Marin, j’ai été volé à l'âge de cinq ans, et je cherche mes parents. — Vous ne les trouverez pas ici. Ah ! c'est que, voyez-vous, vous n'êtes pas le premier qui essayez à me conter des histoires comme ça, pour se faire coucher et nourrir. Quand un homme me demande la charité pour l'amour de Dieu, je la lui donne ; quand il use de détours pour me tromper, sans cérémonies, je le mets à la porte. Mon ami, vous savez par où vous êtes entré, sortez par là. — Monsieur, veuillez considérer que personne ne peut résister dehors par un pareil temps. — Sortez, vous dis-je, sortez. » Je ne bougeais pas. Il s'élance sur moi, me met une main sur le chignon du cou et l'autre dans le bas des reins, et, assaisonnant son geste d'un bon coup de pied, il m'envoya voler au bas de la galerie, comme une mitaine. Je restai quelques minutes sur le flanc, tout abasourdi, sans pouvoir me relever. Je les entendais, en dedans, rire, crier, jurer et se chamailler. Grand Dieu, quel destin que le mien !
Je repris, harassé, le chemin du bois. Trois lieues me séparaient de la plus proche habitation. J'avais peur des loups ; il me semblait à tout moment voir briller au fond des taillis des yeux de feu. J'écoutais tremblant; je n'entendais que le sifflement du vent dans la tête des grands arbres, et, de temps en temps, l’écho affaibli des cris et des blasphèmes qui s'échappaient de l'hôtel. Découragé, effrayé, les cheveux droits sur la tête, je tombai à genoux dans la neige, et je fis ma prière. « Mon Dieu, mon Dieu, disais-je, ne m'abandonnez pas, car je vais mourir seul dans cette forêt ; et même les passants ne trouveront pas mon corps enseveli sous des monceaux de neige. » (p. 140-142)